Mathieu Pernot |
Depuis plusieurs années le photographe Mathieu Pernot, membre de la Galerie Vu, interroge l'histoire en s'intéressant à l'architecture d'une ville, d'un quartier ou de certains bâtiments. La Galerie 779 à Paris accueille aujourd'hui ses dernières images, réalisées avec Anna Malagrida dans le quartier du Barrio Chino à Barcelone.
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d'Architectures : Qu'est-ce qui vous a poussé à abandonner le génie civil pour la photographie ?
Mathieu Pernot : Je n'aimais pas ça ! À la fin de mes études je me suis rendu compte qu'il fallait que je me donne les moyens de faire ce qui m'attirait. C'est comme ça que je me suis inscrit à l'école de la photographie d'Arles. Je suis ensuite resté dans cette ville pour poursuivre un travail sur les gitans et sur le camp voisin de Saliers, où ces derniers étaient enfermés pendant la Seconde Guerre mondiale.
d'A : Comment êtes-vous passé du travail sur les gitans, nomades par excellence, à celui sur les implosions de barres d'immeubles ?
M. P. : Il y a eu une étape intermédiaire. à partir du travail sur le camp de Saliers, je me suis mis à étudier les différents types d'enfermement tels qu'ils existent aujourd'hui et donc à l'architecture des prisons. J'en ai visité plusieurs en France. À cette occasion, j'ai réalisé une série de photos à la chambre, en noir et blanc, qui sera présentée aux Rencontres d'Arles en juillet prochain. Ces images donnent à voir différents espaces pénitentiaires tels les coursives, les chemins de ronde ou les quartiers d'isolement. Ce projet qui portait sur le bâti m'a amené à observer les grands ensembles. Je me suis alors rendu compte qu'il y avait deux mouvements inversement symétriques actuellement : on fait pousser les prisons alors qu'on fait tomber les grandes barres.
d'A : Comment se caractérise l'architecture des prisons ?
M. P. : Je suis un grand lecteur de Foucault. D'un point de vue photographique, Surveiller et punir, son livre sur la prison, m'a passionné. Il y évoque un modèle utopique d'architecture carcérale, le « panopticon », élaboré par un architecte britannique du XIXe siècle. Ce dernier avait imaginé un centre de détention dans lequel la totalité des prisonniers seraient contrôlés d'un seul point de vue. Ce qui nécessite un dispositif très précis, doté d'un point central d'où un gardien invisible pourrait voir toutes les cellules, rendues transparentes par un système de lumière, de contre-jour, ou de grilles. La façon dont on construit les prisons hérite de cette utopie. J'ai cherché à comprendre comment, photographiquement, le regard peut asseoir le contrôle et la discipline. On ne voit donc pas les détenus sur mes photos. Seuls les gardiens, en train d'observer, apparaissent. Ces clichés fonctionnent par l'absence et le spectateur observe des gens en situation d'observer. Il y a, en prison, une telle emprise du regard qu'elle en devient un lieu parfait pour le voyeur.
d'A : Revenons à votre série sur les implosions de barres d'immeubles.
M. P. : Ce sont des images-sculptures qui représentent le moment très précis où l'immeuble, encore debout, vacille. L'instant d'après il n'y a plus rien. On pourrait presque parler de cet instant décisif si cher à Henri Cartier-Bresson. Ce n'est pas seulement un immeuble qui tombe mais aussi une utopie d'urbanisme. Et c'est la mise à mort de cette modernité qui m'intéresse. Ce qui est terrible, c'est qu'on se rend vite compte que derrière chaque immeuble démoli il y en a un autre. Comme si ça n'allait jamais s'arrêter. Je ne pense pas que les problèmes de ces quartiers soient du seul ordre urbanistique. La preuve, à la cité Radieuse – qui est à mes yeux une barre HLM –, les gens vivent très bien parce qu'ils sont intégrés et qu'ils ont du travail. C'est toujours un peu simplificateur de croire qu'il suffit de désosser les grandes barres pour changer les choses.
d'A : Votre exposition à la Galerie 779 aborde également la question de la déconstruction.
M. P. : Elle donne à voir un travail sur le quartier du Barrio Chino à Barcelone, réalisé à quatre mains avec Anna Malagrida. Ce quartier ancien, malfamé, devenu mythique pour avoir été évoqué par Jean Genet dans Le Journal d'un voleur, a connu le même sort que le quartier des Halles dans les années 1970. Là aussi, il est question de la reconquête d'un centre historique, pauvre, pour le transformer en centre commercial et rues piétonnes. Avec Anna, nous avons pratiquement fait œuvre d'architecte puisque nous avons reconstruit une ville aveugle à partir de photos de pignons et de façades d'immeubles désossés, sur lesquelles subsistent encore le papier peint ou les traces d'escalier. L'ensemble se présente sous la forme d'une installation de 10 mètres de long, rassemblant quatorze images de différents formats.
d'A : Vous tournez finalement beaucoup autour de l'architecture.
M. P : La photographie est pour moi un médium intéressant par la manière dont elle peut questionner la mémoire. Et les bâtiments fixent souvent un basculement de l'histoire. Être photographe permet de faire face à cette histoire, aux choses qui sont en train de changer. Atget est vraiment photographe quand il immortalise le vieux Paris sur le point de disparaître. Et les Becher le sont quand ils photographient les usines désaffectées en Allemagne. Il y a aussi tout un contexte politique dans mon travail. Prenez les implosions par exemple. Ce qui est remarquable, ce sont les moyens mis en œuvre pour démolir ces immeubles. On pourrait le faire mécaniquement. Mais on décide de transformer cela en mise à mort publique. Comme si le béton était criminogène et qu'on voulait par ce geste répondre à toutes les questions liées à l'insécurité. En même temps, il y a quelque chose de très visuel et de purement photographique là -dedans. Pour moi c'est toujours l'intérêt de l'image qui prime.
À lire : « Mathieu Pernot », coll. Atelier, Centre national de la photographie, 24 pages, 7,62 euros.
<www.mathieupernot.com>
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