Portrait des architectes |
Loin de l'effervescence des grandes métropoles, Michel Malcotti et Catherine Roussey construisent une œuvre moderne et rigoureuse où chaque projet ne se laisse pas réduire à quelques images stylées. Les programmes et les budgets modestes de ces opérations ne les découragent pas de consacrer le temps nécessaire à un dialogue patient avec les multiples intervenants de la vie locale. Leurs bâtiments en témoignent. |
Si vous n'êtes pas de la région, il est difficile de ne pas fredonner la chanson de Brel en arrivant en gare de Vesoul. De là , il faut une bonne demi-heure pour rejoindre Luxeuil-les-Bains en voiture et dénicher l'agence des architectes Michel Malcotti et Catherine Roussey, une maison bourgeoise, sobre et discrète. A l'image de leurs réalisations qui se fondent dans le paysage d'une vallée, se lovent au pied d'une tour, se cachent au fond d'une cour ou derrière un bouquet d'arbres… Point de fumeux discours parisianiste sur le mimétisme pourtant. Les deux architectes créent des bâtiments simples, une architecture sans signes ostentatoires : vocabulaire moderne et épuré, matériaux « traditionnels ».
Mais si, pour éviter toute sur-signification, les réalisations se font presque trop discrètes, elles ne sont pas dénuées d'une écriture qui leur est propre. Il faut ainsi souvent découvrir les réalisations de Malcotti et Roussey sous de multiples points de vue pour saisir toute la richesse de leur composition et entrevoir la diversité des tracés et des espaces articulés au sein d'un même bâtiment. En effet, les deux architectes refusent l'idée de la forme globale, du « projet–objet » pour lui préférer une logique d'assemblages de volumes et d'usages multiples et variés. Pour ces raisons, les photographies peinent à restituer leurs qualités.
Bâtir à l'échelle du passant
Comme pour mieux adapter la taille du bâtiment à l'échelle du passant et de son habitant, l'équipe fragmente souvent les programmes en autant d'entités aux formes et aux fonctions différentes. Celles-ci créent ensuite, dans leurs combinaisons, une architecture d'échelle réduite, plus compréhensible et appropriable. Pour offrir une richesse perceptive et usuelle. Les façades sont pensées comme autant d'éléments indépendants, parfois hétéroclites.
Ce double travail – atomisation du plan et différenciation des façades – traduit la volonté affichée des architectes d'établir entre leurs réalisations et les utilisateurs un rapport simple, sensible et diversifié. Revendiquée, cette ambition trouve certainement sa source dans leur formation, à l'école d'architecture de Nancy dont ils sortent tous les deux diplômés en 1978. Ils évoquent en effet avec nostalgie cette époque où les sciences sociales étaient une pierre angulaire de la formation en architecture, où Michel Foucault et Gilles Deleuze étaient des références incontournables.
Michel Malcotti évoque ainsi avec plaisir le temps où de nombreux jeunes architectes s'engageaient en professionnels ou en amateurs dans la recherche. Si Catherine Roussey, son associée, fréquentait assidûment les cours d'architecture, lui préférait les colloques et les débats du Collège de France et de la faculté de lettres. Riches de ces expériences variées, ils décidèrent, dès la fin de leurs études et sans aucune expérience en agence, de se confronter eux-mêmes à la pratique en fondant leur propre structure à Luxeuil-les-Bains.
Les premières années sont celles où, néophytes, ils apprennent le métier « à la sueur », avec les premières commandes. Très tôt, ils trouvent dans la région des petits projets sur lesquels ils font leurs armes, comme des opérations DSQ (Développement social du quartier), initiées dans les années 1970-80 par les Offices HLM. Réalisant l'échec de certains grands ensembles, ces dernières font alors appel à des équipes d'architectes pour les revaloriser et leur adjoindre de petits programmes ou équipements. A Luxeuil ou ailleurs, Malcotti et Roussey s'engagent donc dans le diagnostic, la programmation et la conception de quelques micro-architectures, avec le souci d'une inscription sociale forte dans la vie des quartiers.
Ces premières expériences leur permettent d'élaborer une réflexion en prise directe avec les commanditaires, sur des sites qu'ils connaissent bien. Exerçant presque exclusivement dans la Haute-Saône, ils profitent de cette proximité géographique pour observer la manière dont leurs bâtiments prennent vie, constater dans la durée les réussites et les erreurs, dans une quête de savoir et une remise en cause permanente. Malcotti et Roussey conçoivent principalement des projets aux budgets très modestes et par conséquent obtenus sans concours.
De la perception lointaine à la pratique intime
Le souci de contextualisation guide les esquisses initiales du projet, mais les architectes n'en délaissent pas pour autant l'échelle de l'usager, créant pour lui une architecture qui prend en compte le détail, le mobilier, cette petite échelle étant perçue comme « un minimum de politesse pour les gens qui habitent nos bâtiments ». Ainsi, leurs projets s'établissent toujours et nécessairement dans une réflexion naviguant du micro au macro, de la perception lointaine à la pratique intime, depuis la rue jusque dans les recoins du bâtiment. Malcotti et Roussey proposent donc une approche composée de l'architecture, cherchant d'abord à mettre en tension, à « articuler » comme ils le répètent souvent, des volumes modestes, souvent traités différemment.
Si le dialogue est un élément constitutif de toute pratique architecturale, il est chez eux particulièrement important. En effet, outre l'attention portée aux attentes des usagers qui est une clé de leur méthode de conception, les architectes prônent également une architecture qui dynamise la vie sociale. Ils multiplient ainsi les petits lieux, les espaces intimes et ouverts à la fois, propices à l'échange et aux rencontres. « La vie s'y développera, les liens se tisseront, les usagers évolueront ». A l'écoute de Malcotti et Roussey et de leur souci permanent de l'utilisateur, des touchantes et infimes attentions qu'ils lui adressent, on pense inévitablement aux théories des années 1960, du Team X à l'Atelier de Montrouge, dont l'équipe livre, humblement et dans un vocabulaire architectural plus « moderne », une version actualisée, adoucie et régionalisée. (Alexandre Cocco et Eric Foulon)
Maison de retraite, Pesmes.
S'inspirant de l'architecture vernaculaire des habitations et baraquements environnants, la maison de retraite de Pesmes se situe aux abords du village. Caché derrière quelques arbres, construit comme une accumulation de petits volumes complémentaires, le bâtiment ne laisse pas percevoir ses 1900 m2 (« la forme globale impose moins que ses parties »). A l'intérieur, l'organisation spatiale cherche à favoriser la vie sociale, en créant, au sein d'un schéma global assez simple (un plan en U), une multiplication de petits accidents qui viennent pimenter le parcours et y créer quelques poches, autant de prétextes à de petites réunions ou papotages improvisés. Conçu dans une analogie urbaine qui n'est pas sans rappeler l'orphelinat d'Amsterdam d'Aldo van Eyck, le bâtiment met en résonance une rue, quelques placettes intérieures ou extérieures et une place principale située à l'entrée. Servant de salle commune, celle-ci est baignée de lumière naturelle et ouverte sur le clocher de l'église, ce qui permet aux occupants, trop souvent isolés et oubliés, de rester en contact, au moins visuel, avec leur village et un de ses symboles forts.
Pôle éducatif, Clairegoutte.
Depuis les collines environnantes, le groupement scolaire ressemble à un petit hameau. Edifié sur l'initiative d'un groupement intercommunal, il se situe au milieu d'un ensemble de villages, créant ainsi un nouveau pôle vers lequel pourraient s'étendre, ou plutôt se rejoindre, les communes environnantes partenaires du projet. Au paysage donc, l'architecture emprunte ses codes, comme pour mieux s'y fondre : quatre toitures à double pente, évoquant les toitures des maisons environnantes, viennent chapeauter partiellement un bâtiment plus discret, qui se déploie en longueur sur la parcelle. Ces quatre « clochers », signes forts dans le paysage, le sont aussi dans la pratique plus intime du bâtiment, puisqu'ils accueillent les activités collectives - préaux, salle de motricité ou de réunion - et structurent le plan : école primaire d'un côté, école maternelle de l'autre, desservies chacune par une lumineuse rue intérieure.
Maison d'accueil pour jeunes handicapés, Luxeuil-les-Bains.
Placé en léger décaissé, le foyer pour jeunes handicapés de Luxeuil offre, depuis la rue, une façade discrète simplement rythmée par quelques murs de briques et animée de quelques redents. Derrière cette séquence de pleins et de vides s'organise, dans le bâtiment, la succession d'unités identiques comprenant chacune une salle de travaux pratiques, une zone de discussion et un petit patio permettant aux résidents et à leurs surveillants de profiter de la lumière naturelle et du beau temps. Peut-être plus encore que face aux autres réalisations de Malcotti et Roussey, le visiteur sera surpris par la dissemblance des façades. Ainsi, contrastant avec le côté rue discret et uniforme, la façade du jardin témoigne d'une plasticité moderne affirmée.
Ludothèque, Luxeuil-les-Bains.
Nichée au pied d'un immeuble, dont elle occupe d'ailleurs une partie du rez-de-chaussée, la ludothèque est conçue dans le cadre des opérations DSQ (Développement social du quartier), initiées dans les années 70-80 par les Offices HLM. Elle vient requalifier la tour et son petit square, des espaces auparavant sordides ou délaissés. Misant sur des matériaux massifs et de qualité, offrant aux enfants quelques pièces dédiées à la pratique de l'escalade, du baby-foot et d'activités diverses, la ludothèque a très vite réussi à attirer des jeunes des autres quartiers périphériques, à redonner une meilleure image de la tour et de la ZUP environnante, plutôt excentrée et coupée du reste de la ville.
Extension des Archives départementales, Vesoul.
Plus qu'une simple extension, le projet de Malcotti et Roussey englobe les trois bâtiments existants et crée, autour d'eux et entre eux, une zone de consultation, de conservation et de présentation dédiée au public. Situé dans un quartier difficile, le bâtiment oppose aux tags ou diverses marques de vandalisme une façade sobre toute de tôle perforée qui, depuis l'extérieur, laisse passer quelques taches de lumières, et offre à l'intérieur une transparence légèrement voilée. La circulation dans l'édifice s'organise autour d'un grand meuble mutlifonctionnel qui se déploie dans l'espace, tantôt consigne, support d'exposition, passage ou banque d'accueil. A l'échelle de l'usager, ce meuble incite à circuler, pour mieux profiter des différentes salles : consultation, expositions, fichiers… Comme dans les chambres de la maison de retraite de Pesmes, les abords des fenêtres sont traités en épaisseur, créant ainsi de microlieux entre intérieur et extérieur, offerts aux usagers pour qu'ils puissent se poser quelques instants et profiter du dehors.
Biographie :
> Naissance en 1952 de Catherine Roussey à Selles et de Michel Malcotti à Crosey-le-Petit
> Diplômes en 1978 à l'école d'architecture de Nancy
> Activité en libéral depuis 1979
> Architectes au CAUE de Haute-Saône jusqu'en 1985 pour Catherine Roussey, jusqu'en 1992 pour Michel Malcotti
> Depuis janvier 2004, Michel Malcotti est architecte conseil auprès de la DDE de la Haute-Marne
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