Luc BOEGLY |
Luc Boegly fait partie de cette petite dizaine de professionnels qui, en France, tirent le portrait de la production contemporaine à la demande des agences d'architecture, des institutions ou, de plus en plus rarement, des revues. Comparant son rôle auprès de l'architecte à celui du traducteur auprès du romancier, il s'interroge sur l'avenir de son métier à l'ère du tout-numérique. |
La formation de Luc Boegly à la très technique école Louis Lumière ne le destinait pas spécialement à s'orienter vers l'architecture : c'est à la suite des visites sur les lieux évoqués dans la littérature japonaise qu'il va peu à peu s'intéresser à ce qui constitue l'espace.
Tout en complétant ses études par un cycle de sémiologie à la Sorbonne, il commence à photographier Paris pour un magazine touristique. Remarqué par Stéphane Couturier, il rejoint l'agence Archipresse, puis continuera son activité en indépendant tout en s'investissant dans l'association Ville ouverte, qui promeut la photographie urbaine. Au contact de ses commanditaires – architectes, comme Jacques Ferrier, Philippe Gazeau, Quirot-Vischard, ou institutionnels, comme l'Émoc1, l'Union des arts décoratifs –, il s'est construit une culture du bâti si pointue qu'on jurerait qu'il possède le diplôme d'architecte !
Un technicien de l'image ?
La photographie d'architecture est contraignante et ingrate : soumise aux contraintes climatiques inexistantes en studio, moins rémunérée que la photographie publicitaire, elle décourage vite les jeunes photographes. Handicap supplémentaire, elle permet difficilement de « faire œuvre » : « Le seul moyen que l'on suggère parfois serait de prendre l'architecture comme prétexte à une expression personnelle. Mais que se passera-t-il à l'image lorsque vous ajouterez une esthétique tourmentée à un bâtiment déconstructiviste ? » Pour Luc Boegly, qui réalise son travail personnel ailleurs, le photographe doit plutôt adopter une posture d'effacement par rapport au bâtiment, et le contexte précis de cette commande rend hors de propos toute expression trop marquée. D'autant que les architectes – peut-être par manque de culture de l'image – ont une vision bien arrêtée de ce que doit être une vue d'architecture : « L'architecte ignore ce qu'il peut tirer du photographe et ne lui demande généralement que des images formatées de son bâtiment : vues redressées, sous un ciel bleu. Alors qu'il y aurait mille autres façons de montrer l'architecture, elles ne sont pas acceptées par l'architecte. Il ne voudra jamais que l'on présente son bâtiment sous la pluie et grisâtre, même si à Paris cette condition climatique se rencontre les deux tiers de l'année. »
Un traducteur d'architecture
La photographie d'architecture est aussi l'occasion d'une rencontre difficile, celle de deux ego évoluant dans des professions dites « artistiques ». L'architecte préférerait sans doute ne voir dans son photographe qu'un simple technicien dénué de sensibilité, enregistrant des vues de son bâtiment comme on reproduit un tableau. À rebours de cette image comme de celle de l'artiste
invité à « venir voir », Luc Boegly se présente plus volontiers comme un traducteur d'architecture établissant un lien privilégié avec son auteur. « Je commence toujours un reportage par la visite des lieux avec l'architecte. Pour moi, le photographe doit s'intéresser à tout le process. L'enjeu de la photographie d'architecture, ce n'est pas simplement les formes et les articulations des volumes entre eux, c'est de montrer le cheminement du concept au bâti. Mon reportage – une trentaine d'images que je valide et non pas une flopée de photos dans lesquelles l'architecte doit piocher – est réussi quand l'architecte est à la fois étonné et réconcilié avec son bâtiment, au terme d'un chantier souvent conflictuel. » Car le photographe ramène l'architecte à la réalité. « Lors de la réalisation d'un projet, de nombreux points échappent au concepteur, que ce soit les abords du bâtiment ou la mise en place du mobilier pour laquelle il n'a pas été mandaté. Lorsque nous parcourons le bâtiment ensemble, on regarde ce qui n'a pas été réussi ou ce qui fonctionne très bien. C'est souvent au moment de la visite qu'il s'aperçoit du contexte d'implantation du bâtiment, se rend compte de l'environnement qu'il avait évalué différemment lors de la phase du projet. »
Le réel détruit par le numérique ?
Fondateur de toute la photographie, ce lien au réel est remis en cause par la technologie numérique : « Insensiblement, nous retouchons les images de plus en plus : on nettoie les taches, les abords, on essaye de retrouver le rouge que l'architecte souhaitait pour ses panneaux de façades. » Puis les manipulations vont plus loin :
« Les éléments de sécurité posent problème : les sorties de secours imposées par les réglementations pompiers font-elles ou non partie du projet ? On peut se poser la question. À force de retouches, les métiers de photographe d'architecture et de perspectiviste 3D convergent. Les agences préfèrent les images de synthèse et jouent de leur ressemblance de plus en plus troublante avec la réalité – notamment dans leur book. Lorsque leur coût sera égal à celui d'un reportage photographique, elles choisiront les images qui se rapprochent le plus de la vision imaginaire du projet. » Lorsque ce jour arrivera, y aura-t-il beaucoup de voix dans la profession pour déplorer cette défaite de la réalité ?
« L'œuvre architecturale s'inscrit dans la réalité du bâti et de ses contingences. Il serait question, à l'image du traducteur d'un écrivain étranger, d'exprimer au plus juste l'intention de l'architecte et, pourquoi pas, de l'étonner… ».
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