Mathieu Bernard-Raymond |
C'est un parcours fulgurant. A trente ans à peine, Mathieu Bernard-Reymond a réussi à s'imposer comme l'un des photographes plasticiens les plus prometteurs de sa génération. Lauréat du prestigieux prix CCF pour la photographie, il a déjà exposé dans les plus grands festivals ses images aux couleurs un peu passées qui sondent notre rapport à l'espace.
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d'A : Qu'est-ce qui vous a mené vers la photo ?
Mathieu Bernard-Reymond : Lorsque j'ai commencé mes études à l'Institut d'étude politique de Grenoble, je pensais davantage m'orienter vers les métiers de l'écrit. Du journalisme, je me suis intéressé au photojournalisme et à cette manière dont la photo a été utilisée dans l'histoire. Je me suis aussi penché sur la situation de la photographie, aujourd'hui, en tant que source d'information. Ça m'a donné envie d'en faire. Mais je me suis rendu compte de l'impossibilité d'être photojournaliste en étant complètement objectif. Et puis le rapport à la vérité qui existe dans l'expression plastique m'intéresse davantage que celui inhérent au métier de journaliste.
d'A : Quels étaient alors les photographes qui vous intéressaient ?
M.B.-R. : Au début, je dirais des classiques comme Raymond Depardon ou Henri Cartier-Bresson. Avec le temps, j'ai découvert d'autres photographes moins connus, dont j'ai apprécié le discours différent. A l'instar de William Eggleston, de Robert Adams et de toute l'école de la nouvelle topographie américaine. J'ai aimé leur regard sur l'espace, sur la manière de l'habiter, mais aussi sur l'évolution de ce regard en fonction de la prise de possession d'un lieu ou de la manière dont on le pervertit. Finalement, habiter un espace se révèle une tentative un peu vaine de l'être humain. Car sa présence sur Terre est temporaire. Je dois avouer que j'aime le côté dérisoire de cette tentative que j'observe avec tendresse. C'est un peu voué à l'échec et donc très poétique en soi. Or, à mes yeux, la photo doit être un médium contenant de la poésie, du mystère ou de la mélancolie.
d'A : Comment ce point de vue se traduit-il dans vos images ?
M.B.-R. : Je suis passé à la couleur, mais aussi à des méthodes proches de celles de la photographie contemporaine comme le moyen ou le grand format. J'ai adopté l'utilisation du trépied. Je peux ainsi prévisualiser les images, les créer dans ma tête avant de les faire. En me libérant de l'idée qu'un cliché est forcément une image projetée à travers un négatif qui s'imprime sur un papier, mes photos sont devenues plus malléables. C'est pourquoi je peux utiliser et mélanger différentes techniques.
d'A : Comment travaillez-vous ?
M.B.-R. : Mes prises de vues se font toujours avec un appareil argentique avant d'être scannées et numérisées. J'utilise l'ordinateur comme un laboratoire photo, notamment pour le montage. La série " Intervalle " montre des personnages identiques évoluant dans un même espace. J'ai récupéré ces derniers – photographiés dans différentes positions – et je les ai ensuite regroupés dans une image unique. La série " Disparition " figure des paysages et des vues d'architecture parfois modifiées. J'aime que le spectateur abandonne cette question du trucage, ce désir de savoir si c'est vrai ou pas. Il s'agit d'image et donc de manipulation. Même si les photographies sont originales.
d'A : Les bâtiments sont souvent désincarnés dans vos clichés.
M.B.-R. : Ces bâtiments attendent qu'on les investisse de quelque chose. C'est pour cela que je parle des personnages de mes séries comme de " visiteurs ". Moi-même, j'ai sans cesse l'impression d'être en visite, même quand je suis à côté de chez moi. Car je suis là pour regarder le lieu d'un angle particulier. D'ailleurs, il y a toujours quelque chose qui fait qu'on n'appartient pas vraiment au milieu où on se trouve. J'aime les bâtiments simples dans leur construction, leurs lignes et leur situation. J'aime aussi qu'ils aient la même ambiguïté que je celle que je recherche dans mes images. C'est pourquoi j'utilise l'ordinateur.
d'A : Utilisez-vous des logiciels d'architectes ?
M.B.-R. : Non, mais ce n'est pas l'envie qui me manque. Ça fait partie de mon travail de prendre un outil informatique et de le tirer vers une application artistique ou créative.
d'A : Quelle collaboration envisageriez-vous avec un architecte ?
M.B.-R. : Je viens de lancer un projet spécifique à l'habitation. Il s'agit d'une fiction photographique qui raconte l'histoire d'un homme désirant construire sa maison au sommet d'une éolienne. Ce personnage va donc chercher le lieu idéal pour le faire mais aussi commander des plans à des architectes afin qu'ils réalisent ses rêves. Photographier le travail d'un architecte me plairait aussi. Mes photos rendraient compte de l'architecture du bâtiment mais aussi de ma propre perception des choses.
d'A : Quel regard portez-vous sur l'architecture contemporaine ?
M.B.-R. : Ce qui se fait est passionnant. Les formes organiques, complexes, rendues possibles grâce à l'ordinateur, m'intéressent particulièrement. Les chiffres prennent enfin du sens. Ils sont poétisés par la technologie.
d'A : A quoi ressemblerait votre espace idéal ?
M.B.-R. : L'espace idéal, c'est l'air ! Cet espace où les lois de la physique sont différentes est magique parce que tout pourrait s'y produire !
Le site de l'artiste : <www.monsieurmathieu.com>
A lire : " Mathieu Bernard-Reymond ", éditions Actes Sud-Fondation CCF pour la Photographie, 96 pages, 21,50 euros.
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