Que notre joie demeure, Kevin Lambert, éditions Le Nouvel Attila

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 14/12/2023

Article paru dans d'A n°313

Que notre joie demeure, Kevin Lambert, éditions Le Nouvel Attila

20 x 14 cm, 368 p., 19,50 euros.

Qu’il soit un artiste maudit et intransigeant (le Howard Roark du roman de Ayn Rand dans La Source vive 1943) ou un personnage arrogant un peu fêlé, autant craint qu’admiré, (l’Anthony Royal du High-Rise de J. G. Ballard, 1975), les architectes des romans sont toujours des mâles mégalomanes, figures prométhéennes, riches et vaguement tordus. Mais surtout ils ne conçoivent que de grands bâtiments prestigieux, des tours en général. Même s’il en a perversement fait une femme, le roman de Kevin Lambert n’échappe pas à ce cliché avec son personnage de Céline Wachowski, une starchitecte québécoise de 67 ans, milliardaire, possédant des succursales à New York, Paris et Shanghai, vedette d’une série à succès sur Netflix – bref, un personnage à côté de laquelle même Zaha Hadid passerait pour Anne Lacaton. Mais passé cette déception – après tout l’auteur ne s’est pas donné pour tâche de témoigner de la vraie vie des architectes –, le roman se lit avec plaisir et finit même par offrir une sorte de parabole dans laquelle la place des architectes trouve finalement toute sa légitimité. Alors que Céline Wachowski construit le grand et prestigieux siège social d’une multinationale de la tech (on imagine Google ou Amazon), pour la première fois dans sa ville d’origine qui l’avait toujours boudée (on connaît la chanson…), la somptueuse mécanique du succès et de la notoriété va s’enrayer jusqu’à la chute brutale. Pourtant, le projet s’implante sur des friches industrielles, il est admiré pour sa beauté, loué pour ses vertus environnementales (on connaît la chanson…) et sera un formidable stimulateur pour l’économie et les emplois locaux. Mais en plein chantier, un article du New Yorker dénonce la gentrification que va générer cette opération et souligne l’hypocrisie de l’architecte qui, malgré son positionnement à gauche, ses discours inclusifs et bienveillants, s’enrichit sur l’exclusion des plus démunis. L’hystérie des réseaux sociaux s’empare de cette faille, soupçonne l’évitement fiscal et ses comptes offshore. Le mouvement s’amplifie au point que Céline Wachowski devient la cible des médias et fini par être remercier par les actionnaires de sa firme. Lors de sa fête d’anniversaire, où se côtoient stars et haute bourgeoisie locale, des activistes envahissent sa villa et la saccagent…
Kevin Lambert décrit un monde devenu manichéen mais dont les protagonistes ne cibleraient que les boucs émissaires. Lui évite heureusement le piège du manichéisme, notamment par l’ambivalence des intentions et des comportements qu’il donne à ses personnages, soulignant aussi bien l’impasse du néolibéralisme que des forces qui le contestent tout en annonçant clairement aux riches qu’ils peuvent commencer à avoir peur. Il place la figure de l’architecte au croisement de ces contradictions : utopiste sincère, elle n’en serait pas moins complice d’un système où l’intérêt général se perd dans les dividendes des actionnaires. Soulignons enfin que les très longues phrases de l’écrivain impulsent au récit une houle impétueuse où les multiples points de vue s’entrecroisent sans nous donner de piste autre que celle du chaos à venir.

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