Projet lauréat de Kengo Kuma, vue du ciel |
Où va l’architecture ? Après Réinventer Paris et au moment où une voie clairement libérale a été plébiscitée aux élections présidentielle et législative, cette consultation lancée par la Semapa au-dessus des voies ferrées de la gare d’Austerlitz apporte quelques éléments de réponses. |
Ce concours pour la réalisation d’un programme hôtelier au-dessus des voies ferrées qui séparent la Bibliothèque François-Mitterrand de la Halle Freyssinet est d’abord intéressant pour des raisons techniques. La faible hauteur des rives longeant les voies empêche en effet de construire sur ce tronçon une dalle générique en préalable à des opérations immobilières comme cela s’est fait jusqu’à présent dans le secteur. Les équipes de maîtrises d’oeuvre ont donc été amenées à intégrer à leur projet des solutions de franchissement de la faille, au-dessus de laquelle il n’est possible de travailler que 4 heures par jour, quand aucun train ne circule sur les voies. Comme l’immeuble de Marc Mimram, en chantier plus loin, qui répond de manière héroïque à cette question en proposant une accumulation de ponts habités. Les réponses les mieux adaptées peuvent cependant être beaucoup moins spectaculaires. Elles consistent à couvrir rapidement le vide par une dalle spécifiquement calculée pour porter des constructions légères, c’est-à-dire majoritairement en bois.
Scénarios et castings
Mais c’est surtout par le mode de sélection des équipes en compétition que cette consultation sort de l’ordinaire. Depuis le tsunami de Réinventer Paris, les concours ont complètement muté et se conjuguent selon des formules proches des PPP. Ainsi, pour être sélectionnés, les architectes devaient s’associer à des opérateurs pour proposer, plus qu’un programme, un véritable scénario et un casting permettant au jury d’appréhender la plausibilité de la proposition. Et les associations de grands noms d’architectes ne suffisent plus : ces derniers doivent désormais partager l’affiche avec des opérateurs qui, auparavant presque anonymes, sont maintenant des figures ou des marques presque tout aussi porteuses de fictions. Ainsi, pour l’équipe lauréate, ce n’est pas de Kengo Kuma dont parle la presse populaire quand elle rend compte du résultat de la compétition, mais de l’opérateur Xavier Niel : le sulfureux patron de Free et le créateur de Station F, le gigantesque incubateur de start-up inséminé dans la Halle Freyssinet. Ou de la Compagnie de Phalsbourg, qui a su faire parler d’elle à l’occasion de Réinventer Paris, en portant le projet de loin le plus outrancier : les Milles Arbres de Sou Fujimoto, plantés sur le périphérique. Ailleurs, ce sera l’hôtelier Mama Shelter et le très institutionnel critique d’art Jérôme Sans – cofondateur du Palais de Tokyo et directeur du pôle artistique de la pointe amont de l’île Seguin – qui voleront la vedette à Daniel Vaniche et Franklin Azzi, une écurie soutenue par Bouygues. Une situation révélatrice de l’engagement des opérateurs et des promoteurs dans la fabrique de la ville, qui s’engouffrent dans le vide laissé vacant par les pouvoirs publics. Peu importe la starisation des opérateurs quand elle est portée par des architectes de haut niveau comme dans cette consultation exemplaire, mais en sera-t-il toujours le cas ?
TEXTURE
KENGO KUMA AND ASSOCIATES & MARCHI ARCHITECTES [ LAURÉATS ]
Comme toujours chez Kengo Kuma, le projet se présente comme une intervention très proche des arts plastiques, une réflexion sur un matériau et un mode d’assemblage. Ici, une texture uniquement composée d’éléments pliés de bois et parfois de bronze, qui se disposent en quinconce pour se transformer en façade munie de balcons-jardinières débordant de plantes. Et cette façade plissée, animée de subtiles variations, parvient à s’infléchir et à s’invaginer jusqu’à former un véritable relief collinaire : une vallée reliant en diagonale la Bibliothèque François-Mitterrand à la Halle Freyssinet, traversée par un pont. Les différents programmes vont ensuite s’immiscer dans ce paysage vertical et enveloppant qui rappelle la peinture sur rouleau chinoise ou japonaise. Ainsi à la base la texture se délite-t-elle pour permettre un socle vitré de deux niveaux qui donne au bâtiment l’impression de léviter, comme les rochers en apesanteur de la planète Pandora imaginés par James Cameron dans Avatar. Il est coupé par un passage en Y qui dessert les lobbies des programmes d’hébergement, un café coworking, une salle de fitness et un restaurant animé par La Bellevilloise. Tandis que les étages sont occupés par un hôtel quatre étoiles de la chaîne américaine One Hotel – le premier de cette marque créé en France – et une auberge de jeunesse nouvelle génération, un Slo Living Hostel du groupe New Nomads. L’ensemble est couronné par des jardins suspendus et un restaurant « signature ».
[ Maître d’ouvrage / mandataire : La Compagnie de Phalsbourg – Coinvestisseur : Station F (Xavier Niel) – Architectes : Kengo Kuma and Associates & Marchi Architectes – Assistance à maîtrise d’ouvrage : RedMan – Paysagistes : Atelier Georges & Horticulture & Jardins – Exploitant hôtelier : One Hotels – Exploitant auberge de jeunesse : Slo Living Hostel – Exploitant coworking : Nuage Café – Offre culturelle et restauration : La Bellevilloise – BET structure béton : Arcadis – BET méthodes : Freyssinet – BET structure bois : Oteis – BET sécurité incendie : BTP Consultants – BET acoustique : Lamoureux ]
POUTRES APPARENTES
DANIEL VANICHE ARCHITECTES ASSOCIÉS (DVVD) & FRANKLIN AZZI ARCHITECTURE (FAA)
Une trame de poutres métalliques coupée par un joint de dilatation diagonal vient porter les deux immeubles en L qui composent un îlot ouvert et répondent aux deux éléments principaux du programme. D’un côté, un Mama Shelter – tout à fait dans la logique d’implantation de cet hôtelier qui recherche des quartiers décalés pour sa clientèle branchée –, de l’autre, une auberge familiale, des apparts en colocation et des espaces de coworking. En terrasse, un restaurant où officiera un chef invité qui cuisinera les légumes fournis par l’incontournable jardin potager et la start-up idoine qui garantit sa rentabilité. L’architecture sait s’effacer devant les interactions promises par les différents usages proposés. Elle décline l’idée d’une ossature en bois qui s’enchâsse dans une boîte vitrée. À la fois protégée des intempéries et exposée aux regards, cette structure sait montrer aux passants les poutres apparentes qui scandent l’intimité des chambres comme dans les appartements du Marais.
[ Maître d’ouvrage / Mandataire : Bouygues Immobilier – Architectes : Daniel Vaniche et Associés (DVVD) & Franklin Azzi Architecture (FAA) – Architecte intérieur : Franklin Azzi Design – Paysagiste : Atelier Roberta – Exploitant hôtelier : Mama Shelter – Exploitant résidence jeunes actifs : Coucou – Exploitant espaces de services : Nextdoor – Exploitant permaculture urbaine : UrbAgri – Directeur artistique : Jérôme Sans – BET structure : SETEC Bâtiment – BET environnement : ALTO Ingénierie – BET acoustique : AVEL Acoustique – BIM Manager : SETEC – Charpente métallique : Victor Buyck – Charpente bois : Mathis ]
SIXIÈME FAÇADE
CHARTIER DALIX
Les architectes ont largement surélevé leur bâtiment de manière à créer un effet de velum. Une sixième façade sur laquelle trois blocs à peine distincts viennent s’asseoir autour d’une cour : les deux équipements hôteliers et le générateur de start-up. La construction s’arrache du sol et vient flotter à 8 mètres de hauteur pour offrir une vaste halle polyvalente permettant une continuité visuelle entre la bibliothèque et la halle. Au-dessus se superposent les lignes blanches des étages de presque 3 mètres de hauteur sous plafond, qui troublent encore la perception et jouent habilement sur les proportions pour donner à l’édifice son relief, sa présence. Derrière ces balcons filants se perçoivent les larges plaques de verre fixes qui se déhanchent et se plissent aléatoirement. Une construction légère permise par une structure mixte : poteaux métalliques et planchers bois. Le rez-de-chaussée s’organise autour d’un vaste passage semi-public dont l’ouverture zénithale sur la cour peut être occultée. Il dessert de part et d’autre les lobbys – notamment celui de NH Hoteles, la chaîne espagnole d’hôtels d’affaires pour laquelle OMA a travaillé à Rotterdam –, une cantine et la galerie Mathgoth, spécialisée dans le street art, dont les artistes interviendront périodiquement sur les parois des noyaux de desserte. En toiture, des serres, abritant un restaurant, dessinent un attique évanescent sur l’avenue de France. Tandis que sur la promenade plantée, 500 m2 de pleine terre dévolus aux cultures maraîchères et exploités par l’entreprise Sous les Fraises promettent une production de plus de 3 tonnes de fruits et légumes par an.
[ Maître d’ouvrage / Mandataire : Nexity – Architectes : Chartier Dalix – Exploitant hôtelier : l’hôtel NHOW pour le groupe NH – Exploitant auberge de jeunesse et partie culinaire : MELT – Exploitant services vélos électriques : Green On – Exploitant agriculture urbaine : Sous les Fraises – Interventions artistiques : Galerie Mathgoth – BET généraliste : Egis – BET environnement : Terao – Conception et animation : Usbek & Rica – Autres intervenants prestataires : Spicesoft (créateur d’applications digitales liées aux métiers de l’immobilier) Stimergy (chaudière numérique), Demeter & New Fund, allocations de ressources sur les éco-énergies, les smart-cities ]
SYMBOLISME ET MARKETING
CHARTIER-CORBASSON & FRESH ARCHITECTURE
Ce projet refuse de célébrer la légèreté et préfère oeuvrer dans le tellurique, comme pour donner un ancrage à la promenade plantée qui s’étend en corniche au sud-ouest. Ses perspectives le présentent comme une superposition aléatoire de portiques creusés dans une colline à la végétation luxuriante. Une image qui sait efficacement renvoyer aux architectures excavées de Pétra en Jordanie, aux Buttes- Chaumont de Jean-Charles Alphand ou encore à L’Île des morts, le célèbre tableau d’Arnold Böcklin, le peintre symboliste suisse. Le programme vient intelligemment se stratifier dans ce relief construit : commerces, espace de coworking et résidences hôtelières du groupe Ascott : les Citadines – des appart’ hôtels de luxe – et une résidence LYF, pour Live Your Freedom, très ciblée sur la génération Y née après les années 1980, avec le tout-informatique pour atteindre sa majorité au troisième millénaire. On regrettera cependant le décalage entre le très prégnant jardin romantique présenté par les images 3D et les triviaux jardins partagés décrits par la notice architecturale.
[ Maître d’ouvrage / Mandataire : Kaufman & Broad – Investisseur : The Ascott Limited – Architectes : Chartier-Corbasson & Fresh Architecture – Conception exploitant agriculture urbaine : Jardins de Gally – Exploitant hôtelier : LyF, Live your Freedom – Exploitant résidence hôtelière : New GEN de Citadines – Programmation commerciale : Convergences CVL – Animation culturelle : Galerie Itinérance – Conception espaces restauration : Spooms – BET structures complexes : Terrell – BET développement durable : Arp Astrance – BET techniques et pilotage : Artelia – BET acoustique : Avel acoustique – Préfabrication bois : Techniwood – BIM Manager : Syntesia – Économiste : G.V. Ingénierie ]
EXTRUSION
JEAN-PAUL VIGUIER ET ASSOCIÉS, ARCHITECTURE ET CARLO RATTI ASSOCIATI
Le projet se présente comme l’extrusion de la parcelle, un volume ensuite sculpté par les lignes de prospect, découpé par une cour carrée et creusé par une diagonale permettant la liaison visuelle entre la bibliothèque et la Halle Freyssinet. Cette forme est quadrillée de poutres treillis qui lui permettent de fonctionner comme un véritable pont habité. Les programmes viennent ensuite remplir ce contenant structurel taillé en pointe de diamant. D’abord, un café cantine et des commerces autour d’un jardin. Puis, sur l’avenue de France, un hôtel Okko quatre étoiles avec un club rassemblant les services annexes où les clients pourront, sans payer de supplément, prendre un verre, travailler ou utiliser l’espace forme. Et, sur la promenade plantée, une résidence étudiante Student Factory, reprenant à dessein le nom donné par Andy Warhol à son atelier. Enfin, en partie haute, une ferme suspendue de plus de 2 000 m2 exploitée par Sinny et OoKo, dont la production permettra notamment d’alimenter le restaurant et les commerces du rez-de-chaussée. L’enveloppe sait se modifier pour accompagner la programmation spatiale et le parti formel. Ainsi le rez-de-chaussée transparent est surtout qualifié par un plafond métallique et brillant cherchant à créer un effet de velum. Tandis que les façades vitrées savent se recouvrir d’un épiderme composé de claies de bois qui filtrent la lumière dans les chambres. Elles redeviennent transparentes en toiture afin de permettre les cultures sous serres et, en fonction de la lumière, de montrer leur découpe acérée ou, au contraire, d’affirmer leur immatérialité.
[ Maître d’ouvrage / Mandataire : Vinci Immobilier – Architectes : Jean- Paul Viguier Architecture & Carlo Ratti Associati – Partenaire : Woodeum – Exploitant hôtelier : Okko Hôtels – Exploitant résidence étudiante : Student Factory – Créateur de tiers-lieux : Sinny & OoKo – BET structure : Terrell – BET environnement : Le Sommer Environnement – BET : EDEIS (anciennement SNC-Lavalin) – BET acoustique : AVLS – BET contrôle technique : Qualiconsult – Entreprise générale : TPI ]
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N° 256 - Septembre 2017
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