Jean-Christophe Ballot, Un regard contemplatif pour mieux saisir le monde.

Rédigé par Guillemette MOREL-JOURNEL
Publié le 09/09/2007

Jean-Christophe BALLOT

Grâce à de longues études (architecture, cinéma, arts déco), ainsi qu'à de non moins longs (et nombreux) voyages qui l'ont mené, sur tous les continents, à photographier moult villes et paysages (Rome, Berlin, Bratislava, Casablanca, Singapour…), Jean-Christophe Ballot a peaufiné l'art de prendre son temps, de retenir dans ses images un condensé de la complexité du monde contemporain.

Il aura fallu douze ans d'enseignement supérieur à Jean-Christophe Ballot, né en 1960, pour faire d'une passion d'adolescent et d'un gagne-pain d'étudiant un métier et une expression artistique à part entière. Le cheminement de ce surdiplômé (architecte DPLG, UP 5, 1986 ; Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, section communication photographique, 1990 ; Femis, 1991) n'est donc pas celui d'un « homme pressé ». Entre temps, il est passé des personnages saisis sur le vif « ma référence était alors Cartier-Bresson », à des vues longues et lentes, à la chambre, d'espaces naturels ou artificiels, désertés par la présence physique des gens mais toujours habités par la mémoire de leur passage.


Car de toutes ses études, Jean-Christophe Ballot a, à chaque fois, retenu une leçon qui le guidait vers une autre quête. De l'école d'architecture, la prise de conscience de « l'importance des échelles dans l'espace ». Des arts déco, la patience, « la concentration – mais une concentration qui est le moyen de s'ouvrir à une perception plus large du monde ». Du cinéma, le métier de réalisateur (sa filmographie compte de nombreux documentaires sur l'art et sur les villes - Bologne, Venise ou Orléans) et « le besoin de raconter une histoire, l'attrait pour la narration » - même si ce récit est toujours plus suggéré qu'appuyé, ménageant une place pour l'imaginaire de l'observateur.


Artiste désormais reconnu par ses pairs (il est distribué par l'agence Métis) et par les institutions (ses œuvres figurent parmi de nombreuses collections publiques), Jean-Christophe Ballot reste un homme courtois et respectueux de la commande : « On ne mord pas la main qui vous nourrit. » S'il lui arrive encore de travailler pour tel architecte ou industriel du bâtiment « avec qui de bonnes relations perdurent depuis de nombreuses années », son écoute de la demande est dénuée de toute compromission. Cette rigueur professionnelle, qui va de pair avec une perception claire et assumée de ce qui est du ressort de la commande et de ce qui a trait à sa démarche artistique personnelle, dégage en fait de vrais espaces de liberté. La sérénité ainsi acquise lui permet de tracer son chemin à son rythme, sans rancœur ni sensation de n'avoir pu s'exprimer pleinement : « Il s'agit de bien distinguer les marges d'investissement de soi que chaque projet autorise », et, dans cet exercice où beaucoup croient se perdre, Jean-Christophe Ballot est parfaitement à son aise.


D'autres certitudes, qui sont plus des points de repère que des principes immuables, structurent sa démarche. D'abord, la revendication de son appartenance, en une période où les catégories tendent à se confondre, au monde des photographes plus qu'à celui des plasticiens, quand ceux-ci sont de plus en plus nombreux à utiliser le médium photographique. Tandis que, selon lui, les « photographes au sens strict » adoptent désormais des approches souvent « peu classiques », avec des vues rapides, peu composées, Jean-Christophe Ballot s'intéresse justement à la construction de l'espace dans les deux dimensions de ses images. Il élabore aussi parfois des « installations » (au sens de l'art contemporain) à l'occasion de ses expositions, où la mise en scène de ses Å“uvres -auxquelles il donne souvent un titre abstrait et non purement descriptif, ce qui participe d'une posture d'artiste - est en elle-même porteuse de sens. En cela, il se rapproche du travail de certains plasticiens. D'où une position, que d'aucuns jugeraient instable ou à tout le moins déstabilisante, entre deux communautés. Non sans humour, notre photographe dit s'y plaire, aimer cette sorte de décalage permanent.


Une seconde attitude relève de la même recherche de liberté (que ce soit par rapport à une corporation ou un style) : Jean-Christophe Ballot s'attache à fuir tout ce qu'il qualifie de « nouveau maniérisme » dans lequel certains se trouvent enfermés, par refus ou incapacité de se remettre en cause, ou par obéissance implicite aux lois d'un marché de l'art qui veut que l'on puisse reconnaître au premier coup d'œil la manière de tel créateur. Ainsi, cet homme que l'on a décrit plus haut comme profondément respectueux de la commande aime, non sans malice, « surprendre, répondre là où on ne m'attendait pas » : utiliser un format 20 x 25 cm là où l'on avait prévu, comme dans tel travail antérieur sur un sujet similaire, le 6 x 6, choisir la couleur quand on imaginait le plus « artistique » noir et blanc… et réciproquement.


Le choix des images que nous reproduisons ici participe de ce goût pour le contre-pied : qu'est-ce qui rapproche le souriant père de famille de l'artiste en résidence à Surabaya (1), où il photographie les bordels du port ? « Il n'était pas question pour moi d'accepter ce thème en le traitant sans égards. Généralement, on représente photographiquement la prostitution à partir de personnages, non sans une certaine dose de voyeurisme. Ma démarche a au contraire été de considérer que raconter un lieu permet de raconter la personne qui y habite (les prostituées exercent généralement dans ce qui constitue leur « domicile »). J'ai donc toujours photographié les chambres en faisant sortir leurs occupantes. Le travail sur les bordels de Surabaya comporte cinquante vues ; elles constituent une sorte de portrait de groupe sans personne.


En dehors de son appartenance au projet plus général de constat social sur la prostitution dans un grand port d'Indonésie, cette photo m'intéresse pour des raisons esthétiques : la composition des verticales et des horizontales, la frontalité radicale, le rapport des lumières (zénithale et par l'ampoule nue), enfin le jeu des matières, notamment les tissus des serviettes accrochées au mur et de la natte au sol. »


(1) Il a travaillé sur cette ville située à l'est de l'île de Java, dans le cadre du programme « Nusantara » (archipel en indonésien) de l'Agence française d'action artistique, en 1999.

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