J.-M. Bichat, J.-P. Castel, P. Germe, P. Bouvier, P. Chavannes. |
Les agences Patrick Germe et JAM sont associées depuis une vingtaine d'années dans la conception de projets urbains et de logements. Entre le professeur et ses anciens élèves, s'est construite une pratique collective où le dessin du tissu urbain s'affirme comme l'enjeu majeur de la production architecturale. |
Germe & JAM, c’est un peu comme pour Les Trois Mousquetaires : le titre ne dévoile pas immédiatement toutes les subtilités de l’histoire et le nombre des héros. Patrick Germe, Jean-Marc Bichat, Paul Bouvier et Philippe Chavanes ont constitué une structure collective… de manière séparée. Le premier, diplômé d’UP8 en 1976, fut l’enseignant des trois autres à l’école de Versailles, à la fin des années 1980. Avec Vincent Marniquet et Mireille Roulleau, partis depuis, les jeunes architectes créent leur agence JAM (de jam-session, « faire un bœuf » en jazz), afin de confirmer dans la durée leur collaboration lors du concours PAN-Université en 1991, projet mentionné. Jean-Pierre Castel les rejoint en 2006, l’année qui suit l’attribution du prix des jeunes urbanistes. Germe et JAM partagent locaux, moyens et projets, même si chaque agence conserve également son activité propre. Les interactions sont telles que chacun peut en revendiquer une part de paternité, comme par exemple dans les projets urbains de l’une où s’insère le projet architectural de l’autre. Pour un peu, on leur prêterait le même cri de guerre que les soldats du premier roi versaillais.
Ce « collectif d’architecture » défend surtout une vision commune de la pratique architecturale qui se développe à la fois dans le projet de ville, la construction d’édifices et la conception d’espaces publics. Mais contrairement à l’usage professionnel, il n’y a pas trois domaines distincts dans l’agence. Les architectes défendent tout simplement le projet architectural comme le lieu de l’articulation de ces différentes échelles. Ils s’appuient sur les acquis et les enseignements de leurs maîtres ou collègues, Bernard Huet d’un côté, Jean Castex, Philippe Panerai et David Mangin de l’autre ; mais ils mettent aussi en œuvre un dépassement de ces principes. Car ce lieu de « médiation entre la ville et l’architecture » (Bernard Huet), qui avait l’ambition d’être le « projet urbain », est aujourd’hui essentiellement devenu la sanctuarisation de la séparation des pratiques et des échelles. « Aujourd’hui, on observe deux alternatives, explique Jean-Marc Bichat. L’urbanisme de plan-masse définit à l’extrême les volumes, et l’urbanisme libéral se limite à définir des capacités immobilières. » Dans les deux cas, le grand absent est le tissu urbain. De cette question, Germe & JAM en a fait le cœur de son travail, à savoir la maîtrise des interactions entre édifices, parcelles et voirie. La parcelle devient le véritable lieu de « médiation » du projet ; c’est l’unité cruciale de l’espace résidentiel et de ses usages subséquents, c’est là où s’organise la mitoyenneté, donc la valeur associative des choses et les conditions de leur évolutivité, ce qu’ont justement oublié les macro-lots. Le projet se fonde sur l’identification, le dépassement critique et la juxtaposition de types architecturaux, qu’ils soient contextuels ou hérités des grandes morphologies modernes : « tours à cour », « villas », « immeubles plots », « immeubles panoramiques », « rangées », « maisons mitoyennes, à patio, superposées », etc. Au lieu de réglementer doctement le bâti comme dans la plupart des ZAC actuelles alignant les œuvres singulières, Germe & JAM s’attachent, eux, à définir la valeur du vide à travers l’organisation de la parcelle, de sa distribution et de ses espaces, objets d’usages et de conventions partagées.
Tandis que Patrick Germe livrait, en 1998, 103 logements à Vitry-sur-Seine (94), expérimentant la question de l’immeuble dans la grande échelle paysagère, Servon-sur-Vilaine (deuxième couronne de Rennes) a servi à JAM d’expérience initiatique, l’agence ayant assuré successivement de 1996 à 2009 les études urbaines, la révision du POS, le suivi de ZAC et la maîtrise d’œuvre du bâti et des espaces publics. C’est d’ailleurs souvent dans des zones périurbaines que se situent les projets, là où justement la stratification de la ville aboutit à des espaces disloqués, fragmentaires et caractérisés par des ruptures violentes d’échelles. Le travail concerne donc aussi à ce titre le renouvellement de grands ensembles, où la redéfinition des espaces et du foncier reste le levier majeur de transformation. L’espace non bâti peut rester très ouvert, mais à condition que soit identifié son statut de domaine public qualifié et continu. La production architecturale suit cette logique d’une grande rigueur dans la détermination des éléments distributifs. Dans la séquence qui conduit de la rue au logement, la cour commune, qu’elle soit ouverte, profonde, étroite ou monumentale, est souvent privilégiée comme espace d’entrée unique (piétons, vélos, voiture ensemble !) et de distribution des différentes circulations verticales. Elle fabrique non seulement un seuil par rapport à l’espace public, mais également la pratique d’un espace collectif, lieu de sociabilité et d’identité. L’architecture trouve alors des dispositifs simples mais savamment articulés pour disposer des qualités de lumière et de vue engendrées par le dispositif urbain : à La Courneuve, les cours ouvertes articulent les immeubles sur un grand mail public ; à Marseille, la petite coursive à l’est dans les premiers étages protège du boulevard et bascule à l’ouest au dernier niveau pour donner des terrasses aux duplex vers le grand paysage. Les immeubles se caractérisent souvent par un effet de masse prononcé dans les étages supérieurs, à la recherche d’une intériorité pour ces volumes ouverts à toute lumière, tandis que les niveaux inférieurs sont largement ouverts, qualifiant l’habitabilité du sol par la transparence des rez-de-chaussée.
Cette redéfinition de la pratique du projet, articulant les échelles de la conception architecturale à travers cet étroit mais crucial intermédiaire qu’est la parcelle, c’est un peu un « combat de rue », car en réalité il n’existe pas de commande pour cela. Les architectes vont, fleurets à la main, au-devant ou au-delà de la stricte définition du marché dont ils sont attributaires. Il resterait peut-être à en écrire le manifeste.
Dessiner l'espace public d'une ville contemporaine faite de larges étendues monofonctionnelles, ville-jardin, ville-parc, un espace résidentiel appropriable privativement, collectivement, dense, ouvert, complexe, évolutif.
ZAC Seine Gare, Vitry-sur-Seine (94)
Cette consultation lancée par l’EPA Orsa en dialogue compétitif, dans le cadre du projet urbain des Ardoines du Grand Paris, concerne le renouvellement urbain d’une zone d’activités économiques située en secteur inondable, entre la gare RER de Vitry et la Seine. Elle ambitionne le maintien de l’activité productive au cœur d’un quartier urbain dense associant environ 4 000 logements, du tertiaire, des équipements publics et des commerces.
Lauréat de la consultation, l’atelier a ici l’occasion de développer son travail sur les tissus urbains en interrogeant les typologies de la densité (COS moyen de 2,5) et de la mixité fonctionnelle. Les grands tracés territoriaux et de la Seine favorisent les formes de la densité verticale, tandis que la consolidation et le raccordement des aires urbaines existantes orientent vers diverses typologies de densité horizontale, imbriquant programmes tertiaires et/ou logements au sein de grandes parcelles en lanières. Cet urbanisme « ouvert » de la densité intègre le temps court et le temps long, permettant la substitution progressive, le renouvellement aux différentes échelles d’opération, tout en maîtrisant les logiques d’ensemble du tissu urbain.
Maître d’ouvrage : EPA Orsa pour la Ville de Vitry-sur-Seine – BET : généraliste VRD et hydraulique, Mageo ; écologue, ZOOM ; paysagiste, agence Hilaire – Surface : 39 ha – Programme : 550 000 SP (107 000 activités, 112 000 bureaux, 13 000 commerces, 25 000 équipements, 293 000 logements
Construire, révéler, urbaniser la géographie, les voies d'eau, les infrastructures, les grandes voies.La valeur urbaine de la grande échelle : habitabilité, intériorité, monumentalité, qualité paysagère et environnementale.
43 logements, projet urbain Axe Sud, ZAC Clemenceau, ZAC Rabelais-Rouault, Rennes (35)
Germe & JAM ont engagé en 2000 la recomposition de l’axe sud entre rocade et centre-ville. L’aménagement des 2,5 kilomètres de cette grande voie urbaine donne une nouvelle figure à la relation entre la ville-centre et son territoire. Dans la partie nord du projet, la ZAC Rabelais-Rouault traite des interfaces entre un quartier de petites maisons rennaises et la nouvelle avenue.
Chaque projet de la ZAC imbrique cet habitat individuel réinterprété avec l’habitat collectif caractéristique de la nouvelle échelle urbaine. Dans l’immeuble de Germe, la cour d’entrée assemble en un même espace les parcours (entrées piétonnes, vélos, voitures), les typologies (collectif haut et petit plot), les fonctions. Si les percements en façade composent des ouvertures diverses et des masses pleines, ils correspondent cependant à des usages ou à des orientations différentes dans les logements.
Maître d’ouvrage : Archipel Habitat – BET : structure, EVP ; fluides, HAY ; économie, CDLP – Entreprise générale : Eiffage Ouest – Surface : 3 664 m² Shon – Coût : 5,116 millions d’euros HT
Désenclaver, desservir, mailler, densifier, équiper. Statuer sur l'espace, articuler domaines public et privé comme condition d'usage et d'appropriation. Intégrer les valeurs architecturales et urbaines des morphologies modernes. Aménager les grands ensembles comme foyers du développement territorial et urbain.
119 logements à Marseille (13)
Situé sur une parcelle traversante à proximité du stade Vélodrome, le projet s’insère dans une étude plus vaste de reconfiguration des franges du boulevard Schloesing, dans un contexte de renouvellement urbain et de densification résidentielle. Pour tirer le meilleur parti des conditions existantes – nuisances sonores du boulevard, mistral, ensoleillement, contexte géographique et paysager, échelles urbaines différenciées entre boulevard et canal… –, JAM propose de réviser le plan-masse envisagé initialement en constituant une cour-jardin protégée comme espace central du projet. Un immeuble haut situé au nord protège du mistral et l’immeuble en longueur aligné sur le boulevard assure la fonction de bouclier acoustique, alors qu’une disposition en peigne s’ouvre du côté du canal, à l’ouest. La desserte par coursives s’inverse au gré des étages : les logements, la plupart traversants, bénéficient alors de protections acoustiques ou d’un confort d’été avec un ensoleillement contrôlé. Finalement assez proche de la configuration des immeubles démolis, le projet réinterprète le mouvement architectural de la reconstruction de Marseille.
Maître d’ouvrage : SNI Sud-Est – Maître d’œuvre associé : Anne Monteux – BET TCE : Auxitec – Entreprise : Vigna – Surface : 9 485 m² Shon – Coût : 12,4 millions d’euros
Une démarche visant à la formation progressive de tissus urbains contemporains, fondée sur la maîtrise des interactions entre parcelles, édifices et voirie. L'édifice comme système de l'espace : la typologie, objet de construction/la géographie, objet de partition/la distribution, objet de l'espace public. Le tissu urbain comme processus : permanences et évolutions/découpages, formes et tracés/ identification et dépassement critique des types pour un partage des questions d'architecture.
Ont répondu au questionnaire : Jean-Marc Bichat, Paul Bouvier, Philippe Chavanes, Jean-Pierre Castel et Patrick Germe
Germe & JAM : Un cantou corrézien, le pavillon du Brésil, Beauvais cathédrale inachevée, l’hôtel Ivoire d’Abidjan.
Germe & JAM : Ce sont toujours les nôtres aujourd’hui.
Germe & JAM : À rien. Non, à tout !
Germe & JAM : Voir, comprendre, étudier, penser, par le dessin.
Germe & JAM : Le narcissisme, l’approximation, le désabusement.
PG : La mauvaise humeur. / PB et JPC : L’indécision. / JMB : Courir après le temps.
Germe & JAM : L’accident , l’isolement intellectuel.
Germe & JAM : Une école.
Germe & JAM : Mies, Loos, Lewerentz, Prouvé, GaudÃ, Siza.
Germe & JAM : Le Panthéon de Rome, la place Dauphine, le fort d’Amber [au Rajasthan], Carnac…
Germe & JAM : Zaha Hadid, Daniel Libeskind, Édouard François, Roland Castro…
PC et JMB : La musique de Charlie Mingus, de l’ordre dans l’ensemble et du tumulte dans les détails.
Germe & JAM : L’Été où il faillit mourir de Jim Harrison, Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauvignier, Indignez-vous de Stéphane Hessel, Retour à Reims de Didier Éribon.
JAM : Un instrument de musique, une caisse de bordeaux, un disque de Coltrane. / PG : Un bateau.
Germe & JAM : Rome.
Germe & JAM : Le dessin d’architecture apaisant et vivant, oui. La profession, non.
PC et JMB : Musicien. / PB : Paysan, entrepreneur. / JPC : Charpentier. / PG : Peintre.
Germe & JAM : L’espace comme une valeur civilisatrice.
Biographies
> 1952 : naissance de Patrick Germe.
> 1965 : naissances de Jean-Marc Bichat, Philippe Chavannes, Paul Bouvier.
> 1976 : Patrick Germe est diplômé architecte DPLG et enseigne à l'école d'architecture de Versailles.
> 1981: création de Germe atelier d'architecture et d'urbanisme. 1981 : Patrick Germe est lauréat du concours pour la restructuration urbaine des 4000 à La Courneuve avec Bernard Paurd (projet primé « pour l'architecture »).
> 1991 : Bichat, Chavannes et Bouvier sont diplômés de l'école d'architecture de Versailles.
> 1993 : 103 logements à Vitry-sur-Seine (projet nominé à l'Équerre d'argent 1998).
> 1994: création de JAM avec Vincent Marniquet et Mireille Roulleau (partis en 2004).
> 2005 : l'agence JAM est lauréate du Palmarès des jeunes urbanistes.
> 2006 : Jean-Pierre Castel (né en 1963) intègre l'agence. Celle-ci est lauréate du concours pour le quartier Clause-Bois Badeau à Brétigny-sur-Orge, étude de définition (lauréat « Nouveaux Quartiers Urbain », CRIdF 2009).
> Depuis 2007 : Patrick Germe enseigne à l'école d'architecture de la Villette.
> 2010 : concours de Blois gare.
> 2009 : concours pour le développement urbain d'Empalot, Toulouse.
> 2012 : dialogue compétitif pour Seine Gare à Vitry-sur-Seine.
> 2022 : décès de Patrick Germe
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N° 216 - Avril 2013
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