Georges Fessy.

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 08/09/2002

Georges FESSY

Autodidacte, Georges Fessy est venu à la photographie en empruntant un parcours singulier. Né à Lyon en 1937, c'est à l'encontre de sa volonté de devenir photographe qu'il entre à l'Ecole des textiles et qu'il travaille sept années en usine pour les grandes soieries lyonnaises.

Tôt le matin ou le soir après le travail, il consacre tout son temps à la photo. Il est ensuite plusieurs années photograveur en atelier avant de pouvoir enfin se consacrer à la photographie. Il travaille pour la publicité industrielle pendant quatre ans à Lyon avant de tenter sa chance à Paris. En 1972, il ouvre son studio rue du faubourg Saint- Antoine, toujours pour la publicité - « il fallait dans la même journée photographier un soutien-gorge et une presse de plusieurs tonnes ! » – et pour la mode, mais se sent mal à l'aise dans ce milieu qu'il trouve superficiel. Ce n'est qu'à quarante-sept ans qu'il réalise sa première commande plus personnelle. Elle lui apporte une reconnaissance immédiate. La commande du Centre Georges Pompidou qui lui a demandé l'année dernière de photographier l'ensemble des bâtiments choisis pour l'exposition Jean Nouvel a pris valeur de consécration.

E.C. : Malgré votre intérêt pour l'architecture, vous n'y aviez jamais consacré de reportage avant 1984. Comment êtes-vous venu à ce premier travail aux Salines royales d'Arc-et-Senans ?

Georges Fessy : Un jour, en regardant le « Dom Juan » de Marcel Bluwal à la télé, j'ai été impressionné par le lieu où se déroulait la scène finale. J'ai mis du temps à trouver où ces scènes avaient été tournées, et c'est un ami, l'historien Claude Manceron qui m'appris qu'il s'agissait des Salines royales d'Arc-et-Senans. J'y suis allé, et là, j'ai eu un choc, ça a été une découverte déterminante pour moi, j'y suis retourné plusieurs fois et je rêvais d'y consacrer un travail. Quelque temps après, alors que je m'ennuyais ferme à photographier des objets industriels dans mon studio, un ami architecte m'appelle pour me dire que Richard Edwards, qui était alors directeur des salines, souhaitait faire réaliser un grand reportage sur le site. J'ai eu carte blanche pendant quatorze mois et je me suis lancé à corps perdu dans cette aventure qui a été pour moi un moment d'enthousiasme formidable. Comme Richard Edwards venait de créer les éditions du Demi-Cercle avec Hubert Tonka, j'ai tout de suite enchaîné avec les monographies de bâtiments de Jean Nouvel, Henri Gaudin ou Portzamparc.

 

E.C. : Les photographes sont généralement au service des architectes et des revues. De la publicité, d'où vous venez, aux photos d'architecture, n'y a-t-il pas un lien, une ambiguïté qui vous gêne ?

G.F : Si. J'ai bien conscience qu'il nous faut vendre un produit et plus les années passent, et plus je me sens en contradiction avec cette situation. C'est un combat contre moi-même, j'ai de moins en moins envie de photographier les bâtiments comme des objets. On oublie trop souvent l'environnement, les gens qui font vivre cette architecture. Les architectes veulent toujours que je photographie des espaces vides et dépouillés. Combien de fois n'ai-je pas dû déménager des meubles et des bric-à-brac de choses qui auraient fait désordre ? Lorsque l'on entre dans un bâtiment, il y a une vérité qui n'est pas celle que l'on retrouve sur le papier glacé des revues.

 

E.C. : Le regard porté sur l'architecture n'est-il pas devenu stéréotypé ?

G.F : Oui, il est complètement standardisé. Une fois, Hubert Tonka me montrait des clichés qu'un architecte, à sa manière, avait pris de son bâtiment et me dit : « pour lui, l'architecture c'est aussi ça, du désordre, des déformations, des perturbations ». J'étais choqué, j'ai mis du temps à comprendre, mais aujourd'hui je vois bien ce qu'il voulait dire. Nous, on essaie de rester dans l'épure du dessin de l'architecte, on garde les verticales parallèles. Mais bien sûr, il y a aussi un grand bonheur visuel à retranscrire ces géométries précises et ces formes rigoureuses.

 

E.C. : Mais une position intermédiaire ne serait pas une solution.

G.F : Oui, on perdrait la pertinence des deux regards, la solution n'est pas un équilibre entre les deux, il faudrait montrer les deux et, pour cela, il faut du temps et de la place. Chaque fois que j'arrive dans un bâtiment nouveau, c'est un plaisir de découvrir chaque espace, d'observer les pleins et les vides. On passe un ou plusieurs jours sur un bâtiment et à la fin, on ne montre que deux ou trois photos et il ne reste presque rien de cette expérience.

 

E.C. : Le cadre de la commande pour l'exposition Jean Nouvel au Centre Pompidou était-il moins contraignant ?

G.F : Non parce qu'en plus, le format horizontal m'était imposé ! Mais en même temps, c'était une chance extraordinaire de travailler sur autant de bâtiments d'un même architecte, de mettre en valeur des récurrences, des renvois d'une œuvre à l'autre. C'était un bonheur de retourner dans des bâtiments que j'avais photographiés il y a des années, et de voir comment ils avaient changé.

 

E.C. : Selon le principe de cette rubrique, c'est vous qui avez choisi cette photo du bâtiment de Jean Nouvel à Lucerne. Pourquoi ce choix ?

G.F : Parce que, justement, il y a la rigueur du cadrage et en même temps cette situation un peu cocasse avec ces hommes qui rentrent dans le bâtiment. Je cadrais consciencieusement la photo lorsqu'ils sont passés et j'ai à peine eu le temps de déclencher. Cette photo n'est pas un constat, ces hommes perturbent le regard bien sage, propre et froidement descriptif que l'on s'impose trop souvent, pourtant l'architecture est bien là, peut-être est-elle même encore plus présente ?

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