Non, vous n’êtes pas dans un décor d’un remake
de Peyton Place, la série américaine culte des années
1960. Vous êtes dans une vraie ville, la plus dense
de France après Levallois-Perret, avec des chaussées
pavées que vous traversez dans de vrais clous qui
entrent en résonance avec ceux, plus petits, des
guidages podotactiles pour dessiner de sages compositions abstraites sur cet impeccable calepinage.
Un fois que vous avez quitté l’avenue de Paris et
ses parallèles, vous ne verrez que peu d’automobiles dans cette commune très bien desservie par
le métro, le RER et les lignes de bus et où la municipalité applique une politique de mobilité douce
favorisant vélo et Vélib’ en taxant notamment, bien
avant la capitale, le stationnement des scooters et
des motos. Des plantations achèvent d’accorder Ã
ces espaces publics parfaitement entretenus le caractère d’espaces privés habités par de vrais adultes et
de vrais enfants qui paraissent s’y sentir heureux…
Après avoir suivi l’imposant cours Marigny, vous
dépasserez la mairie et, après le conservatoire-médiathèque d’Henri Gaudin, vous tournerez à droite
pour suivre l’avenue de Fontenay en vous dirigeant
vers l’ouest. À l’angle de la rue du Château, vous
parviendrez sur le site de la consultation. Un long
rez-de-chaussée, occupé par des commerces de
proximité, est coupé par l’entrée de l’actuel centre
culturel et sportif qui s’enfonce sous terre. Ce
grand socle recouvert de jardins participatifs suivi
d’un petit parc public vient s’encastrer dans une
équerre de hauts immeubles de sept à six étages
qui, avec la barre située de l’autre côté de la rue
du Château, forme un U. Ce grand ensemble de
béton des années 1970 avec ses grandes baies vitrées
et ses balcons filants protégés par un barreaudage
métallique très simple, parfaitement intégré à la
ville, distille une ambiance de luxe, de calme et
de volupté… ce qu’il serait bien incapable de faire
dans un autre contexte.
Mais engageons-nous dans le grand escalier qui descend au sous-sol dans un hall triste et sombre desservant, d’un côté, la salle de spectacle octogonale Ã
la scène inadaptée; de l’autre, le centre sportif qui
s’enfonce encore d’un niveau. Là , un long couloir
distribue : sous les commerces de l’avenue, les salles
d’escrime et de gymnastique; sous la toiture, une
grande salle de sport éclairée par une verrière orientée au nord et donnant sur l’espace planté arrière.
Odeur de transpiration, décrépitude des enduits,
ouvertures condamnées, chauffe-eau électrique
vétuste et inadapté, absence d’un nombre suffisant
de sorties de secours limitant le nombre des usagers à une centaine : la mairie a cependant choisi
de réhabiliter et de mettre aux normes ces espaces,
mais de reprendre la toiture et de reconstruire entièrement le théâtre en le remontant au niveau du sol.
Malgré des contraintes, les équipes en lice nous
laissent entrevoir des mondes possibles très différents. AJC développe une vision paysagère et
romantique renvoyant à Arnold Böcklin et à L’Île
des morts : des strates telluriques se soulèvent,
s’enfoncent dans la terre ou se sédimentent tandis
qu’une falaise surgit d’une gorge devant un pré en
pente douce. Nicolas Guillot semble méditer sur
une architecture ouverte et protectrice quand Rudy
Ricciotti joue sur la séduction des formes et des
matières, en proposant des courbes suaves et sensuelles rappelant celles de Niemeyer ou d’Aalto
mais réalisées en béton de terre. Tandis que MVRDV
voit son bâtiment comme un jeu d’ouvertures sur
l’extérieur et sur lui-même et que l’Atelier du Pont
aborde la question de la mise en abîme en s’emparant du thème de la boîte dans la boîte.
SOLS CROISÉS
Architectes : AJC – Atelier Joulin Chochon (mandataire) LAURÉAT
Scénographe : Changement à Vue
BET : Khephren (structure), Alto Ingénierie (fluides), Jean-Paul Lamoureux (acoustique), MD Conseil (sécurité), Mazet et associés (économie)
Ce qui frappe d’emblée dans ce projet, c’est son
caractère infrastructurel : comme s’il s’agissait moins
d’édifier une salle de spectacle que de soulever des
tonnes de terre pour reconstruire à Vincennes les jardins suspendus de Babylone. Les architectes sont partis des immeubles du grand U autour de l’opération,
lesquels fonctionnent comme une gigantesque caisse
de résonance où le moindre gazouillis de moineau
peut réjouir des centaines d’oreilles tandis que des
cris d’enfants ou d’ivrognes peuvent les torturer…
Ainsi tout commence par un sol planté unitaire qui
monte en pente douce au-dessus des salles de sport et
des commerces : c’est d’abord un parc public ouvert Ã
certaines heures de la journée puis des jardins partagés
accessibles aux seuls associatifs, une occupation quasiment silencieuse séparée de l’immeuble qui les jouxte
par une judicieuse bande plantée. Tandis que dans la
faille, entre les deux programmes, le sol descend pour
définir un rez-de-jardin rejoignant premier sous-sol.
Le théâtre refuse de s’affirmer comme un objet et se
présente comme un empilement de strates arborées,
ce qui lui permet de minimiser l’impact de sa cage
de scène sur les rues et les logements. Mais il se
redresse vers le cœur d’îlot et prend l’aspect d’une
falaise montant du fond du rez-de-jardin comme
du fond d’une douve. Cette paroi escarpée, creusée
d’une trame de trous carrés qui attendent leur faune
et leur flore, possède aussi un rôle acoustique : elle
absorbe les bruits des activités en surface et évite
de les renvoyer vers les habitations. Une maison
de verre cristalline, accueillant l’espace « bistronomique » demandé par le programme, vient compléter par une légère note architecturale cette composition essentiellement paysagère.
L’entrée très vitrée du complexe se place à l’angle des
rues, elle s’ouvre sur le « tiers-lieu » qui s’immisce
dans les trois dimensions de l’espace pour desservir
le théâtre, les salles de sport et les bureaux des associations. À la fois accueil, billetterie, salle d’exposition, bar, restaurant, il descend à l’arrière vers le
rez-de-jardin, rejoint par une rampe les jardins partagés, et rassemble tous les espaces animés et bruyants
pour les mettre en vitrine sur l’avenue.
ENCHÂSSEMENT DE TOITURES
Architecte : Nicolas Guillot (mandataire)
Scénographe : Architecture et Technique
BET : B27 Ingénierie (TCE), Gamba (acoustique)
Comme celui des lauréats, ce projet ne se propose
pas comme un objet. Il se présente d’emblée comme
un enchâssement de toitures ou d’auvents qui
s’avancent vers la ville pour inviter les flux de promeneurs à pénétrer dans le théâtre et dans les salles
de sport. Tout semble conçu pour attirer et pour
accompagner le public vers ces différentes activités
en suivant des cheminements clairs et fluides…
Ainsi l’auvent le plus bas se place-t-il dans la continuité de la sous-face des gradins de la salle de
spectacle, pour pousser les visiteurs à descendre et
à s’asseoir dans l’amphithéâtre du tiers-lieu librement ouvert sur le hall d’accueil. Son plafond
recouvert de plaques de tôle laquées et cintrées
permet de réfléchir vers l’avenue et la ville les activités qui s’y déroulent en permanence.
Malgré le traitement architectural malhabile du
second auvent – qui recouvre la salle de spectacle
et sa cage de scène et rappelle le graphisme des dessins animés japonais de science-fiction des années
1970 –, ce projet laisse entrevoir la promesse d’une
architecture qui renoncerait au marquage et au
bornage pour s’affirmer comme une pure puissance d’accueil…
MUR ONDULANT
Architectes : Rudy Ricciotti (mandataire), Quatro Architecture (opération)
Paysagiste : Land’Act
Scénographe : Scenarchie
BET : Lamoureux & Ricciotti Ing. (structure), ACFI (fluides), Thermibel (acoustique), Albert & Compagnie (énergie), VPEAS (économie)
Lui aussi très sensible au voisinage, Rudy Ricciotti conserve la salle de spectacle en sous-sol, un parti qui lui permet d’obtenir le projet le moins haut et de minimiser au maximum l’impact de la masse du nouveau théâtre sur les vues et la lumière des immeubles voisins. Un épais ruban de béton de terre s’enroule autour de la salle et de ses espaces annexes, rappelant les courbes d’Alvar Aalto pour la Maison de la culture d’Helsinki. Une de ces circonvolutions vient occuper l’angle des deux rues par un subtil déhanché qui signale de loin l’édifice. Tandis que de fines ouvertures verticales viennent découper ce mur épais à la manière des incisions de Lucio Fontana, sans porter atteinte à sa muralité.
À ce jeu de courbes s’oppose le traitement des espaces orthonormés des salles de sport qui forment une construction indépendante. Ces deux entités antinomiques sont réunies par une nappe de verre à double courbure jetée sur une très fine armature en lamellé-collé. Cette couverture transparente protège une agora dont l’organicité est surjouée par un traitement en terrasses de vignes qui distribuent efficacement les différents niveaux.
FENÊTRES SUR FENÊTRES SUR FENÊTRES…
Architectes : MVRDV, Nathalie de Vries (mandataire)
Paysagiste : Mutabilis, Paysage & Urbanisme
Scénographe : Ducks Scéno
BET : Edeis (TCE), Theatre Projects (acoustique), Acces Sarl (sécurité)
Après les variations sur sol, le mur et le toit, voici celles sur la fenêtre. L’agence hollandaise propose deux volumes distincts, simplement juxtaposés. Le plus bas correspond aux salles de sport existantes sur lesquelles s’étendent les jardins associatifs, le plus haut occupe l’angle et rassemble le tiers-lieu et le théâtre. Pour minimiser l’importance de ce dernier volume, ses façades se recouvrent de briques en terre crue spécifiquement mises en œuvre pour composer des figures fugitives jouant avec l’ombre et la lumière. Cette masse est ensuite fortement découpée. D’abord par un bandeau vitré qui la soulève du sol pour donner directement accès au théâtre et à sa billetterie. Ensuite par deux hautes baies, l’une ouverte au sud sur la ville l’autre au nord sur le jardin, qui dessinent une grande galerie traversante. Ce vaste espace très lumineux est occupé par un escalier sculptural qui met en communication les différents niveaux programmatiques – jardin partagé, foyers, salle de spectacle – et qui descend vers les sous-sols tandis qu’une large ouverture horizontale permet de suivre les évolutions des joueurs dans la salle de sport en contrebas. Enfin le fond de scène de la salle de spectacle se vitre pour que la ville puisse servir de décor ; il peut aussi s’ouvrir pour inverser le dispositif et le transformer en théâtre de verdure.
LE VOLUME DANS LE VOLUME
Architectes : Atelier du Pont (mandataire)
Scénographe : Ducks Scéno
BET : Quadriplus (TCE), Peutz (acoustique), Plan02 (environnement), Casso & Associés (sécurité), Cyprium (économie)
Le volume bas des salles enterrées et celui de la salle de spectacle se recouvrent uniformément d’une enveloppe vitrée. Portée par une structure en bois, cette double peau de verre se plisse à l’extérieur pour accorder à ces deux parallélépipèdes un aspect cristallin.
Bordée à l’ouest par le tiers-lieu qui prend cette fois l’aspect d’une rue intérieure, au sud par une circulation et au nord par les espaces de répétition, la salle de spectacle toute vêtue de bois apparaît en transparence derrière les vitrages, un dispositif qui avec le jeu des reflets permet de minimiser l’impact du bâtiment sur son environnement.
Les toitures des deux volumes sont plantées et accessibles. Sur la plus basse s’étendent les carrés réservés à la culture participative, sur la plus haute, un espace paysager. Tandis qu’à l’arrière le sol est remodelé pour permettre au rez-de-jardin de descendre au niveau du premier sous-sol.