Léonard Lassagne et Colin Reynier de l'agence DATA |
DATA : une équipe soudée autour de Léo et Colin, de jeunes architectes qui ont collaboré à la fin des années 2000 avec Christian Hauvette avant de s’associer avec lui pour terminer la résidence étudiante de la ZAC de Rungis à Paris. Puis, de nombreux casinos dans la France profonde et une nouvelle relation de confiance importante. Cette fois, avec Rem Koolhaas, pour lequel ils suivent notamment le chantier de la Fondation Galerie Lafayette dans le quartier du Marais. Enfin, des réalisations en cours à Saclay comme à Paris et des participations régulières aux concours. Anatomie d’une irrésistible ascension. |
Lundi 19 juillet, 9 h 00 du matin : Léo et Colin sont là tous les deux et parlent chacun dans l’une de mes oreilles. Deux voix douces au débit rapide, imperceptiblement différentes, l’une peut être plus affirmative, l’autre plus ironique et critique. Ils me disent d’emblée que tous les lieux sont de passage, que les utilisateurs sont en transit dans une mobilité généralisée. Que plus personne aujourd’hui ne peut passer sa vie au même endroit. Ils affirment aussi que les bâtiments doivent être regardés comme des prothèses qui ne sont rien sans les corps qui viennent s’y adapter : de simples outils qui attendent, inertes, l’utilisateur qui viendra leur donner vie. Ils se défendent aussi de vouloir incarner leur agence, parce que la pensée n’appartient à personne et que, l’important, c’est le travail d’équipe autour des projets. L’attachée de presse, très nerveuse, essaie parfois de s’immiscer dans la conversation. Nous sommes dans l’ancienne Maison du directeur de la Sudac, une construction en briques débarrassée de ses planchers et dans laquelle ils ont su insérer une étonnante machine à voir, de métal et de verre. Après ce préambule, ils me proposent un parcours dans Paris qui sera aussi une remontée dans le temps. Nous voilà partis en quête des origines de l’agence, Colin est au volant de la grande berline noire des parents de Léo et la première rue sera en sens interdit… Zut, j’ai encore oublié de leur demander pourquoi ils s’appellent DATA. Nous commençons par la résidence étudiante de la ZAC de Rungis, un concours gagné par l’Atelier Hauvette, développé par la suite en association avec lui et enfin réalisé après sa mort par l’agence naissante. Des boîtes – « des caisses ! » pour reprendre l’expression du Maître – posées les unes sur les autres et des porte-à-faux à peine perceptibles, mais très compliqués à construire ! Passons sur la cour haussmannienne et son murrideau et regardons attentivement l’enveloppe en acier inox finement perforée et plissée. Elle vient recouvrir systématiquement une fenêtre sur deux, engendrant des ouvertures fantômes qui n’apparaissent qu’à la tombée du jour pour accorder à cet empilement son inquiétante étrangeté. Nous repartons en zigzaguant dans le temps vers le site d’un concours gagné récemment, près de la tour Albert, une réhabilitation/surélévation d’une station de contrôle de la RATP. Ils m’expliquent, pragmatiques, avoir été retenus parce qu’ils n’avaient pas recouvert les voies ferrées en face des logements à l’architecture presque balnéaire qui s’immisceront sur l’emplacement des anciens plateaux de bureaux. La chaleur de midi est étouffante et les rues embouteillées pour rejoindre à l’autre bout de Paris une déchetterie glissée sous le périphérique. Tiens, l’attachée de presse a disparu. Finissons notre odyssée chez les bobos chics du Marais et par l’histoire de leur rencontre avec OMA, qu’ils m’ont raconté au moins deux fois. Un BET ayant parlé d’eux lors d’une réunion, ils sont convoqués à Rotterdam par Ellen van Loon pour une audition. Convaincue par leurs compétences et leurs convictions, elle les engage immédiatement comme sherpas dans la jungle des réglementations françaises pour ouvrir la voie au projet de la Fondation Galerie Lafayette. Ils collaboreront directement avec Rem Koolhaas, présent presque tous les mois à Paris pour suivre l’évolution de son idée. Plutôt que de concevoir un espace d’exposition pour les collections des Galeries Lafayette, il leur a proposé de construire au coeur du Marais un lieu dédié à l’art en train de se faire. Un immeuble haussmannien en U sera réhabilité en résidence d’artiste. Dans sa cour viendra s’immiscer un étrange mécanisme prothétique, composé de quatre demi-planchers mobiles, montés sur crémaillères. Ces plateaux pourront en fonction de leur position prolonger ou non les espaces attenants libérés de tout cloisonnement et accorder à cet ensemble des configurations en adéquation avec ses multiples activités. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler, mais à une autre échelle, l’ascenseur habitable de la maison Lemoine qui monte et descend pour se connecter aux différents niveaux programmatiques de l’habitation : zone service, séjour, chambres. Un projet constructivement simple, mais qui pose de multiples problèmes réglementaires – comment, par exemple, évacuer cet espace recevant du public et pouvant se configurer de 49 manières différentes ? – dans un quartier jalousement surveillé par les architectes des Bâtiments de France. Et maintenant, permettez-moi de reprendre la trame de mon cours sur les fondamentaux, destinés aux étudiants de première année de l’École d’architecture de Paris-Val de Seine, en m’appuyant sur leurs travaux.
1980 Naissance de Colin Reynier à Carpentras.
1982 Naissance de Léonard Lassagne à Saint-Étienne.
2006 Rencontre dans l’atelier de Christian Hauvette de Colin Reynier, tout juste diplômé de l’ENSA Versailles, et de Léonard Lassagne, tout juste diplômé de l’ENSA Paris-La Villette.
2008 Ils remportent avec Christian Hauvette le concours lancé par la Semapa pour la résidence étudiante de la ZAC de Rungis à Paris. Ils le termineront seuls, après son décès en 2011.
2010 Création de DATA et rencontre avec Laurent Lassiaz, président du directoire du Groupe JOA. Ils gagnent la même année le concours pour le casino de Montrond-les-Bains et réaliseront par la suite les casinos de Giffaumont-Champaubert (2014) et de La Seyne-sur-Mer (2016) pour le groupe.
2012 Contactés par OMA pour suivre le projet de la Fondation des Galeries Lafayette, ils collaborent étroitement avec Rem Koolhaas. Citynove, la filiale immobilière des Galeries Lafayette, leur confiera plus tard le réaménagement de l’îlot du 37, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, actuellement en chantier.
LE MUR
Centre de valorisation et d’apport des encombrants, porte de Pantin, Paris – 2016
Commençons la leçon par le mur qui sépare et définit deux espaces. Ici, un enclos trapézoïdal délimite un dépotoir dans une zone indécise entre Paris et Pantin, face à l’affrontement titanesque de la cité de la musique de Portzamparc, qui dit la ville, et la philharmonie de Nouvel, qui dit le territoire. Réalisé en briques émaillées blanches et en briques de verre, le centre d’apport et de tri des encombrants se glisse sous les portiques du périphérique. Sa brique très savamment appareillée permet des effets de texture qui pondèrent la brillance et la froideur de l’émail. Trois des quatre murs sont concaves et apparaissent en plan presque incongrus. Il n’en va pas de même dans la réalité, où ces courbes permettent la transsubstantiation du dehors et du dedans. Ainsi, on se sent protégé par ces parois lorsqu’on les longe, tant leur mouvement semble chercher à nous étreindre. D’ailleurs, depuis la mise en service du centre, les flux de piétons se sont modifiés et intensifiés le long des parois blanches qui peuvent rappeler les souterrains du métro, comme si le bâtiment offrait hospitalité et clarté dans ce territoire hostile et sombre. Le phénomène inverse se produit dès que l’on franchit le seuil de l’enclos. La muralité du mur s’estompe sous la pression des briques de verre qui, à contrejour, deviennent lumineuses. Et lorsque l’on monte sur le quai surélevé pour jeter ses encombrants dans les bennes appropriées, on est livré au paysage et comme rejeté à l’extérieur. Intimité au dehors et extériorité au dedans : voici la réponse qu’attendaient ce contexte inhospitalier et ce programme avilissant. Le projet parvient à amener de la chaleur et de l’intimité sous cette infrastructure où l’on a que peu envie de s’aventurer, et à déployer de l’horizon dans ce huis clos méphitique.
[ Maître d’ouvrage : Ville de Paris, DPE-DPA – Ingénieur TCE : BETCI – BE environnement : CSD Ingénieurs – Design et graphisme : Studio Joran Briand – Surface : 1 400 m2 – Coût : 1,45 million d’euros HT – Livraison : 2016 ]
LE TOIT
Chai, à Mazan – 2014
Un premier projet, une commande directe : concevoir un lieu de stockage ainsi qu’un un espace d’accueil et de dégustation du chai viticole du domaine de Solence, à proximité du mont Ventoux, géré par de jeunes viticulteurs qui produisent un vin biologique. Pas de mur : il en existait déjà un dans ce paysage taillé en restanques. Un soutènement en pierres sèches dessinant une alcôve orientée au sudest sous la maison dominant ses terres. Juste une toiture, une dalle, vient s’encastrer dans la paroi existante au-dessus d’un sol en béton ponctué par quelques éléments de mobilier. À l’extérieur, un deck complète le dispositif. Il est protégé par une pergola, un simple filet de camouflage, bientôt recouvert par les feuillages des vignes qui poussent en toiture.
[ Maître d’ouvrage : Domaine Terres de Solence – Surface : 280 m2 – Coût : 400 000 euros HT – Livraison : 2014 ]
LE SOL
Réhabilitation et extension d’un ensemble immobilier classé, 37, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, Paris – en cours
À la suite de leur collaboration avec OMA sur la Fondation Galerie Lafayette, Citynove – la filiale immobilière du groupe – leur confie l’aménagement d’un îlot haussmannien attenant où était situé en sous-sol un restaurant d’entreprise. La dalle recouvrant le restaurant est déposée en vue d’être remplacée par une verrière, tandis qu’au sud les constructions les plus vétustes laisseront la place à une structure arachnéenne de métal et de verre qui laissera entrer la lumière. Le pari reste difficile – les étages supérieurs de certains immeubles sont occupés par des logements – et nécessite un travail d’orfèvre : les poutres de bois des planchers ont été diagnostiquées pour être, selon les cas, préservées, enfermées dans des sarcophages en béton ou supprimées… Les plateaux réaffectés ou créés seront réservés à des activités de restauration et de commerce alimentaire. Reliés par des escaliers mécaniques, ils permettront une traversée de l’îlot et s’inscriront dans le projet de parcours culturel et commercial qui relira la Fondation au BHV. Une opération de rentabilisation du sol urbain attentivement suivie par la Mairie de Paris dans un quartier où les rues sont complètement saturées par les flux de touristes et de promeneurs.
[ Maître d’ouvrage : Citynove-Groupe Galeries Lafayette – BE structure : Batiserf – Économie : Bureau Michel Forgue – BE fluide : BET Louis Choulet – Ingénierie enveloppe : Bauraum – BE Acoustique : Génie Acoustique – Surface : 3 500 m2 – Coût : confidentiel – Livraison : prévue pour 2017 ]
LA STRUCTURE
Réhabilitation/transformation de la Maison du directeur de l’usine Sudac en centre d’information et de concertation de la Semapa , Paris Rive Gauche – 2016
La Maison du directeur de la Sudac – promise à la démolition pour libérer un vaste parvis face l’usine d’air comprimé réhabilitée par Frédéric Borel en école d’architecture – a finalement été sauvée par les associations de quartier pour abriter le centre d’information de la Semapa. Ses planchers ont été déposés et son enveloppe en briques méticuleusement décapée et restaurée. Dans cette coquille vide est venue imperceptiblement s’immiscer une structure héroïque et sculpturale : un mur porteur fondé sur pieux pour porter à bout de bras, d’un côté, un escalier à double révolution, de l’autre, deux plateaux hémicirculaires en porte-à-faux. Au rez-de-chaussée, la grande maquette du quartier Seine Rive Gauche suspendue à des câbles peut être hissée pour s’encastrer dans le plafond et ainsi transformer cet accueil en espace de réception. Tandis que le premier étage chauffé et occultable par un rideau s’offre comme une bulle de verre en lévitation aux activités plus privées : consultations d’archives, réunions. Enfin, un plateau ouvert vient s’encastrer sous la toiture isolée, qui conserve la chaleur montant de la salle du dessous, pour accueillir des workshops et d’autres activités. Cet agencement machinique distribue ainsi trois substances spatiales différentes. La première, ouverte et lumineuse, reçoit sa lumière de toutes les orientations à travers l’ensemble des fenêtres et, par ses trois portes, capte les flux piétons qui animent le quai. La seconde, protégée, peut affirmer son intimité. Tandis que la dernière sait reprendre à son compte la rêverie bachelardienne sur le grenier. À l’extérieur, la maison – dont l’enveloppe n’a pas changé, mais dont le programme a basculé – se nimbe, surtout de nuit, du mystère que savent distiller les inquiétants pavillons peints par Magritte ou par Delvaux.
[ Maître d’ouvrage : Semapa – Ingénieur TCE : BETCI – Ingénierie enveloppe : Bauraum – Design et graphisme : Studio Joran Briand – Surface : 400 m2 – Coût : 1,1 million d’euros HT – Livraison : 2016 ]
LES VOLUMES
Casinos
Rien ne semblait prédisposer cette équipe pragmatique à travailler sur des casinos. Bien que ces espaces aient complètement muté aujourd’hui. Pas de Jeanne Moreau en robe blanche, de croupiers en smoking, de vastes tables de roulettes, ni de grands espaces blancs ouverts sur la mer, comme dans La Baie des Anges, le film de Jacques Demy. Ce sont maintenant des lieux clos, souvent érigés dans d’anciennes friches industrielles loin de Nice, de Deauville, de Cannes ou de Monte-Carlo : des espaces agressivement colorés et bruyants, dans lesquels les joueurs sont plongés en apnée, solitaires face à leur machine. Une société gérant des salles qui cherchait à changer son image, sous l’impulsion de son nouveau président, les a donc contactés par une relation commune. Une nouvelle rencontre qui leur a permis de construire en divers sites hautement improbables – Montrond-les-Bains, Giffaumont-Champaubert, La Seyne-sur-Mer – des boîtes recouvertes de résilles métalliques. Les plans rappellent les édifices publics pavillonnaires rêvés par Jean-Nicolas-Louis Durand à l’aube du XIXe siècle comme les hangars décorés de Robert Venturi. Des compositions qui organisent les salles de jeux et leurs activités périphériques – auditorium, salle d’exposition, restaurant… – autour de cours et de patios plantés ou qui s’ouvrent sur le paysage. Comme s’il fallait donner une consistance culturelle et ludique à l’attraction compulsive et stérile qui pousse le joueur vers sa machine. Mais c’est moins le monde obsessionnel du jeu que la potentielle labilité programmatique donnée à ces lieux par leur cadre juridique qui a intéressé les architectes. Des baux emphytéotiques permettent en effet aux sociétés de construire et d’exploiter des salles sur une vingtaine d’années avant que les constructions ne reviennent aux pouvoirs publics, libres de signer de nouveaux contrats d’exploitation ou de changer d’affectation. Regardons maintenant le casino de Montrond-les-Bains (2012) et sa structure élémentaire qui lui permettrait dès demain d’être transformé en centre culturel. Ou celui de La Seyne-sur-Mer (2016) et de son restaurant panoramique qui cadre implacablement la baie de Toulon, posé sur une dalle préexistante au-dessus du sol pollué d’une ancienne friche portuaire. Des programmes, des espaces, des territoires « liquides » pour reprendre l’expression de Zygmunt Bauman. Oui, tous les lieux sont de passage !
[ Maître d’ouvrage : Casino de Montrond-les-Bains, JOA – Architecte d’opération : ATLAS – BE structure : BE Martin – BE fluide : Egis – Économie : E2CA – BE acoustique : Génie Acoustique – BE environnement : CSD Ingénieurs – Surface : 4 000 m2 – Coût : 10,6 millions d’euros HT – Livraison : 2012 ]
[ Maître d’ouvrage : Casino de La Seyne-sur-Mer, JOA – BE structure : Batiserf –
BE fluide : Artelia – Économie : Mazet & Associés – BE acoustique : Génie Acoustique
– Surface : 5 100 m2 – Coût : 14,5 millions d’euros HT – Livraison : 2015 ]
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N° 256 - Septembre 2017
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