« Aucun n’a signifié avec une telle force la révolution de l’architecture, parce qu’aucun n’a été si longtemps, si patiemment insulté. » Qui aurait cru que ces paroles déclamées par Malraux à la mort de Le Corbusier seraient encore d’actualité cinquante ans plus tard ? Des livres récemment publiés provoquent aujourd’hui un buzz médiatique international en concentrant leurs recherches uniquement sur les amitiés de Le Corbusier avec quelques personnages sulfureux des années 1930, suggérant que l’architecte aurait été un comploteur cryptofasciste.
L’un des plus grands génies de son siècle savait certes se faire horripilant, opportuniste et péremptoire. Il a fréquenté bolcheviques, fascistes, socialistes, pétainistes, antisémites, juifs ou résistants. Il a naïvement cherché à convaincre Pétain que le pavillonnaire néorégionaliste était une absurdité, il a célébré des négresses dansantes ceintes de bananes et fait relier son exemplaire de Don Quichotte dans la peau de son défunt chien Pinceau. Il a préféré l’amitié d’un artisan à celle des grands bourgeois, mais il est mort sans fortune et jamais ne s’est fait le complice d’aucun crime fasciste. Des adeptes du complot ne craignant aucun anachronisme voudraient nous faire croire sérieusement que Corbu était un chef nazi. Littérairement stimulante, la rumeur ferait sourire si l’énorme polémique qu’elle suscite n’était prétexte à condamner l’architecture moderne et à générer des amalgames stupides et dangereux. Staline, Hitler et Pétain ont toujours combattu l’architecture moderne et celle-ci n’a pu s’épanouir que dans les démocraties de l’après-guerre. Si elle a été récupérée et pervertie autant par un étatisme aveugle que par un libéralisme cynique, c’est sans doute qu’elle contenait aussi les germes d’une certaine horreur urbaine. Mais il y a plus de cinquante ans, les architectes ont les premiers su faire la critique de cette idéologie. Aucun d’entre eux n’oserait proposer le plan Voisin de 1925 comme solution urbaine. La pensée et l’œuvre de Le Corbusier sont bien plus multiples et ouvertes que les caricatures qu’on en fait souvent et restent d’une richesse inépuisable et précieuse.
Emmanuel Caille
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