Hôtels de charme, parfums et rillettes *
L'agriculture qualitative et le tourisme sont peut-être les seuls marchés sur lesquels la France pourra encore dans les années à venir se montrer à son avantage. Entre 2000 et 2013, le nombre de touristes chinois dans le monde étant passé de 10 à 100 millions, cela nous laisse quelques perspectives de croissance. Mais une chose est sûre : ils ne pourront pas tous monter sur la tour Eiffel. Le défi qui nous attend n'est cependant pas seulement d'augmenter nos capacités d'accueil mais d'y parvenir sans « disneylandiser » notre cadre de vie. À la fin du roman de Houellebecq, La Carte et le Territoire, le héros Jed Martin sort de sa villa après trente ans de réclusion volontaire et constate – nous sommes en 2036 – que la campagne s'est transformée en vaste village vacances. Il n'est alors plus nécessaire, comme chez Disney, de pasticher un passé fantasmé, puisqu’une fois nettoyé, aseptisé, « géraniumisé », et ses habitants transformés en hôtes d'accueil vantant les « saveurs authentiques », le vrai s'est métamorphosé en décor.
Dans notre précédent numéro, nous tentions d'alerter sur l'accélération de la destruction du paysage rural et périurbain. Cet environnement représente pourtant un patrimoine au riche potentiel de développement, notamment pour le tourisme. Mais le muséifier serait une autre forme de destruction, tant pour les habitants, que l'on imagine mal s'épanouir dans un territoire transformé en supermarché du loisir à ciel ouvert, que pour le tourisme, car les touristes se lasseront tôt ou tard de ces décors.
Le défi serait donc de parvenir à concilier développement et préservation du patrimoine paysagé et architectural. En d'autres termes, imaginer comment de nouveaux lieux de travail, entrepôts, supermarchés, équipements ou logements pourraient trouver leur place dans des lieux attractifs pour le tourisme et participer à un patrimoine vivant. Est-ce nécessaire de dire que sans agriculteurs, paysagistes et architectes, sans une politique publique d'envergure, tout cela ne sera pas possible ?
Emmanuel Caille
* « N'ayant guère à vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes – ce que l'on appelle un « art de vivre » –, la France avait résisté sans difficultés à ces aléas. », in Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, aux Éditions Flammarion, 2010.