Royan, l'image absolue. Cartes postales de la ville moderne |
La carte postale serait-elle cette « image absolue » que décrit le cinéaste Serge Daney ? David Liaudet s'en empare pour le titre de sa publication Royan, l'image absolue. Cartes postales de la ville moderne, et nous invite ainsi à comprendre le rôle de cette missive cartonnée, illustrée d'une photographie, dans la diffusion de l'architecture. Créée en 1870, la carte-poste est d'abord vendue par l'administration éponyme, pour revêtir bientôt, au début du XXe siècle, et sur une face, un cliché photographique – en Belgique, on lui préfère d'ailleurs le nom de carte-vue. Après la Seconde Guerre mondiale, en France, elle accompagne grandement le développement du pays. Colorisés ou en couleurs, les clichés qu'elle porte représentent un territoire qui se reconstruit, puis se réorganise en logements et équipements de masse sous l'égide des décisions volontaristes de son État et de ses municipalités. |
La
carte postale promotionne une modernité en marche et de nouvelles
identités urbaines. Par sa diffusion, l'illustration qui accompagne
sa missive devient le fer de lance d'une propagande politique et/ou
touristique. Il faut dire qu'elle assume, sans prétention, tous les
sujets ayant trait à ces constructions publiques, y compris les
grands ensembles (1). Elle offre la lecture d'un progrès matériel
et social. Si son support illustre les chantiers, petits et grands,
le contenu de sa correspondance brève à découvert témoigne par
l'ordinaire, voire l'intime, d'une architecture parfois difficile Ã
nommer : « Sur la carte, mon bâtiment est en photo à gauche
en bas (en regardant celle-ci). En dessous de la flèche, tu vois la
fenêtre de ma chambre et à côté, la porte-fenêtre de mon salon.
De ma cuisine, je vois le C.E.S. qui est en photo à droite et en bas
de la carte [...] » (2). Et voilà qu'au gré d'un marché aux
puces, de casiers de brocanteurs, le nom d'une commune choisie au
hasard, se dévoilent des vues inédites d'équipements, de
reconstructions, quartiers, cités balnéaires, villes olympiques,
stations de ski, villes nouvelles, d'une période faste aujourd'hui
quelque peu tombée dans l'oubli.
Royan,
l'image absolue
rend hommage à l'architecture de ces Trente Glorieuses. Son contenu
est le fruit de la démarche spontanée de l'amateur éclairé qu'est
son auteur David Liaudet, plasticien et professeur de l'École des
beaux-arts du Mans. Ce dernier collectionne les images d'architecture
depuis plusieurs années, et a créé, pour les diffuser et éduquer
le regard, le blog « Architectures de cartes postales »
(www.archipostcard.blogspot.fr). Détruite par les bombardements
américains de janvier 1945, la ville balnéaire n'est pas, comme
Saint-Malo ou Giens, l'objet d'une reconstruction dite « Ã
l'identique ». À l'instar de la ville du Havre, Royan est
choisie par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme
comme terrain d'expérimentation de la modernité. Menés sous la
houlette de l'architecte en chef bordelais Claude Ferret, les
chantiers sont systématiquement photographiés par le MRU. Et les
éditeurs de cartes postales accompagnent le mouvement, mais de façon
singulière. Ils offrent, par une série de dispositifs, une
représentation idéalisée de la ville. Des vues des ruines
circulent, mais les chantiers sont occultés. Fait étonnant, des
perspectives de maquettes sont largement diffusées (front de mer,
Grande Conche, rue de la République, plage de Foncillon). Et les
vues générales du projet réalisé en reprennent les cadrages.
Lorsqu'elle porte l'architecture à hauteur du piéton, la carte
postale évince souvent la figure de l'habitant. Les premiers plans
des front de mer, boulevard Aristide Briand, église Notre-Dame
(Guillaume Gillet arch. ; Bernard Lafaille ing.), marché couvert
(Louis Simon et André Morisseau, arch. ; Bernard Lafaille et René
Sarger ing.), palais des congrès (Claude Ferret arch.) sont
davantage occupés par des automobiles, preuve que la ville est bel
et bien pensée à l'aune d'un nouvel urbanisme. L'obsession de David
Liaudet l'invite à lever le voile sur certains trucages des éditeurs
et à rendre compte de la manière dont se fabriquent de fausses
images...
Fruit du plaisir de la collection, son blog est une mine. On saisit que la carte postale d'architecture répond aux heures de gloire de l'acte de bâtir. Elle sert un discours et fonde simultanément, par son usage extrêmement banal, un imaginaire collectif commun et une culture architecturale populaire. Son dos invite au désir de connaître les noms de ses maîtres d'œuvre. David Liaudet présente les réalisations de plus de quatre-vint dix architectes, ingénieurs, constructeurs, designers classées par noms d'auteurs, d'Émile Aillaud à André Wogenscky en passant par Marcel Breuer, Georges Candilis, Pascal Haüsermann, Jacques Kalisz, Raymond Lopez, Fernand Pouillon, Jean Prouvé et bien d'autres... Ses exposés sont complétés par ses propres recherches. Il y montre également les contributions d'artistes œuvrant dans le champ de l'architecture (Pierre Székely, Gio Ponti). Il y dévoile l'identité des auteurs de certains clichés, des photographes reconnus (Lucien Hervé, Pierre Joly et Véra Cardot). Il pourrait ainsi écrire Les Folles Années de l'architecture à travers la carte postale, 1945-1975 (3). Son initiative le conduit naturellement à des démarches de sauvegarde. Il fait éditer, à cette occasion, de nouvelles … cartes postales. En juin 2011, avec la complicité de son concepteur Claude Parent, il parvient par exemple à faire inscrire le centre commercial de Sens aux Monuments historiques. Le contenu de ses découvertes fascine tout autant qu'il interroge. Il prouve que l'architecture des Trente Glorieuses fut extrêmement bien diffusée. Mais comment se fait-il que la connaissance qui la concerne soit encore aussi lacunaire ? La carte postale intéresse, en retour, l'écriture de l'histoire de l'architecture. Et, si l'on en croit certains exemples contemporains – issus du blog –, la promotion de l'architecture par ce biais serait toujours à l'œuvre.
Royan, l'image absolue. Cartes postales de la ville moderne, David Liaudet, Éditions Le Festin, 80 pages, 15€.
Notes
(1) Mathieu Pernot, Le Grand ensemble. Le point du Jour Éditeur, 2007.
(2) Opus cit.
(3) En référence à B. Forissier, Les Folles Années du cinéma à travers la carte postale, 1935-1960. Paris, aux Éditions de l'amateur, 1981.
Dum Dum, Lukasz Wojciechowski, éditions çà & là 21 x 15 cm, 272 p., 25 euros [...] |
La couleur des choses, Martin Panchaud, Éditions çà et là , 17 x 23 cm, 236 p., 24 euros [...] |
Que notre joie demeure, Kevin Lambert, éditions Le Nouvel Attila20 x 14 cm, 368 p., 19,50 euros. [...] |
Tentatives périlleuses, Treize tragédies architecturales, Charlotte van den Broeck, Héloïse d’… [...] |
La Grande révolution domestique, Dolores Hayden, Éditions B4214 x 22 cm, 376 p., 29 euros. [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |