Jardin d’hiver (en attendant le printemps)
Soumis aux meilleures intentions du monde, le logement collectif est assujetti à un nombre croissant de règles et d’exigences qui le confinent dans cette typologie conventionnelle en voie d’épuisement. Cet appauvrissement est aggravé par l’inexorable réduction des surfaces de vie au sein même des logements : le rayon de giration des personnes à mobilité réduite et l’épaisseur des murs isolés selon les canons des plans climat ont fini par absorber la surface des pièces de vie. C’est ainsi qu’après avoir absorbé la salle à manger, le salon s’attaque à l’entrée et la cuisine en second jour. Subissant ces injonctions, certains se résignent, quand d’autres décident de faire de l’architecture en inventant par la contrainte.
Ainsi, bien que sclérosée dans ses stéréotypes – du T1 au T5 –, la morphologie de l’appartement est peut-être en voie d’implosion sous la pression de l’inventivité de quelques architectes. À défaut de ne pouvoir encore réellement agir sur le noyau dur de la commande – séjour-cuisine-chambre-salle de bains –, l’imagination des architectes se porte en ses marges, comme pour mieux en souligner l’obsolescence : le dessin des loggias, jardins d’hiver, baies, espaces communs et publics tente de donner aux habitants la liberté que leur vieux modèle T ne parvient plus à leur offrir. Une autre manière pour eux de rappeler qu’habiter ne peut se réduire aux limites de son « chez-soi » : on habite aussi sa cour, sa rue, sa ville et son paysage.
C’est pourquoi la façade est plus que jamais devenue le lieu d’un enjeu : l’interface où s’élabore, harmonieusement ou non, la relation entre l’habitant et le monde. Elle est trop souvent réduite à l’habillage décoratif du moment, comme ce kit balcons « pluggés » façon color block sur vêture bois que l’on voit tant depuis quelques années. Ce qui se tisse entre intérieur et extérieur est infiniment plus complexe et dépasse la question architecturale, en même temps qu’elle la définit dans ses dimensions esthétique et politique.
Emmanuel Caille