Cyrille Weiner « La réalité comme support pour l’imaginaire ».

Rédigé par Yasmine YOUSSI
Publié le 08/05/2005

Cyrille WEINER

Il avait pensé faire archi, on l'a plutôt poussé vers les sciences éco. Qu'à cela ne tienne, Cyrille Weiner, membre du collectif Tangophoto, est revenu à l'architecture par la photo. Dans sa ligne de mire : l'usage des lieux, qu'il sonde aujourd'hui en s'intéressant aux constructions de Patrick Bouchain. L'occasion de découvrir son travail à la Villa Noailles d'Hyères.

d'a : Vous appartenez au collectif Tangophoto…

Cyrille Weiner : C'est un groupe international, assez atypique, créé en 1996, au début de l'Internet, désormais composé de dix photographes : quatre à Paris, un en Suisse, un autre à Berlin, deux à New York, un à Buenos Aires et un à Milan. Dès le départ, l'idée a été d'être un réseau international qui échange et promeuve des travaux personnels à travers le Net. Même si nous sommes géographiquement éloignés les uns des autres, nous travaillons vraiment ensemble via le Chat, par exemple. Nous avons ainsi mené plusieurs projets collectifs qui ont été présentés à travers le monde, notamment à la dernière Biennale de Canton. Notre point commun ? S'attacher au réel en essayant de trouver des chemins entre photo documentaire et création contemporaine, sans être dans le photo-journalisme. On peut nous voir comme un laboratoire d'expériences, non seulement sur la photo et le réel, mais aussi sur la façon dont les photographes peuvent s'organiser pour trouver une alternative à l'indépendance ou aux grandes agences. Nous y parvenons à travers un réseau ouvert relié à des institutions culturelles, à la presse ou à des éditeurs.

 

d'a : Parlez-nous de votre collaboration à l'exposition de Patrick Bouchain.

C.W. : Jean-Pierre Blanc, le directeur de la Villa Noailles, et l'architecte Florence Sarano – tous deux commissaires de cette exposition – ont eu l'idée de présenter le travail de Patrick Bouchain sous forme de triptyque, avec une vidéo, un regard extérieur sur son architecture via la photo, et une salle de maquettes et de dessins. Ils m'ont donc demandé de photographier ses constructions, que je ne connaissais pas jusque-là. Je ne fais aucune différence entre une commande et un travail personnel. C'est toujours une opportunité pour enrichir mes recherches. Avec Patrick, nous avons tout de suite évoqué l'idée de travailler sur l'usage des lieux. C'est une problématique à laquelle je m'intéresse depuis quelque temps et que j'aborde en confrontant la ville planifiée avec la manière dont elle est vécue par ses habitants de façon intime. Patrick Bouchain a toujours dit qu'il ne travaillait pas pour les concours mais pour des personnes.

 

d'a : Comment avez-vous procédé pour cette série ?

C.W. : J'ai commencé par une journée de repérages techniques afin d'avoir une idée d'ensemble. La vraie découverte des lieux s'est faite après, quand j'y suis retourné pour les photographier. Là, j'ai vraiment pu entrer dedans, les comprendre, les sentir et les apprécier. J'ai ensuite revu Bouchain, et ce qu'il m'a dit allait dans le sens de ce que je voulais faire : partir d'une vision réaliste, mais que la réalité devienne support pour l'imaginaire. Tous ses bâtiments le permettent. C'est d'ailleurs leur point commun. Lorsqu'il s'agit de travailler sur l'usage d'un bâtiment, cela pose toujours la question de l'échelle, de la représentation des corps, à quelle taille ou à quelle distance. Mais l'usage n'implique pas forcément qu'on fasse le portrait des gens. Leurs traces sont cependant toujours là, et on sent l'utilisation qu'ils font de l'espace. Une fois le travail réalisé, Patrick Bouchain a fictionnalisé l'ensemble en imaginant une scénographie – installée dans la piscine de la Villa Noailles – qui rappelle les cabinets de lecture.

 

d'a : Les lieux de spectacle réalisés par Bouchain ne prennent-il pas tout leur sens au moment des représentations ?

C.W. : Non. Ces lieux vivent aussi en dehors des spectacles. Représentation et architecture existent de manière autonome, et on peut les apprécier même quand il ne se passe rien de concret. Peut-être même plus encore dans ces cas-là. Même vide, le Caravansérail a une incroyable présence.

 

d'a : Parlez-nous des autres séries sur lesquelles vous travaillez.

C.W. : Avenue Jenny est une série que j'ai commencée en 2001 et sur laquelle je travaille encore aujourd'hui. Elle porte sur un quartier pavillonnaire à la frontière entre Courbevoie et Nanterre, frontière justement marquée par l'avenue Jenny. Un programme d'aménagement urbain a été lancé, qui consiste à rentabiliser cet espace de liberté situé derrière La Défense. Le quartier s'est donc petit à petit retrouvé grignoté par des immeubles. J'ai raconté l'histoire de ce lieu et de ses habitants en travaillant sur l'ambiguïté de la mise en scène. Je m'intéresse beaucoup à la ville qui naît ex nihilo. C'est tout l'enjeu de la série le Bout du monde. Il s'agit d'une plage de Camargue où il n'y a ni eau, ni électricité. Ce qui n'empêche pas les campeurs de venir s'y installer. Ils recréent alors une ville à ciel ouvert et reproduisent des habitudes urbaines. Chacun marque son espace, son territoire. Pour le coup, c'est une véritable architecture nomade, réalisée avec beaucoup d'ingéniosité. C'est une métaphore de la ville qui se renouvelle comme la vie. Les Longs Murs, la mer a été réalisée dans le cadre d'une commande publique du Fonds national d'art contemporain de la ville de Marseille et d'Euroméditerranée, qui porte sur la frontière urbano-portuaire qui va d'Arenc à l'esplanade du fort Saint-Jean. J'ai longé ce no man's land où se croisent, sans pour autant se rencontrer, des populations très diverses. 

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