Concours pour la modernisation du site du Quai d'Orsay

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/10/2018

Plan de masse du projet "l'architecture à l'état gazeux"

Article paru dans d'A n°266

Quatre équipes prestigieuses étaient en lice pour répondre à l’épineux problème de la réorganisation et de l’extension de la partie administrative du ministère des Affaires étrangères, ou plutôt de sa densification. Comment rassembler sur ce site d’autres services éparpillés dans la capitale sans que cela n’affecte ses rituels ostentatoires ?

Le Quai d’Orsay forme avec le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, et l’Hôtel de Lassay, résidence de son Président, une île placée entre la rue de l’Université et la Seine. Construit ex nihilo  au XIXe siècle, le ministère des Affaires étrangères se distingue cependant de ses voisins qui occupent des édifices réalisés pour la noblesse de l’Ancien Régime. Autre particularité : son jardin s’oriente au sud et la cour d’entrée desservant le corps principal du bâtiment est placée côté Seine, ce qui le distingue des hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain conçus au XVIIIe siècle en bordure du fleuve, qui s’organisent en sens inverse. L’ensemble des bâtiments – si l’on excepte quelques adjonctions du XXe siècle – a été construit entre 1844 et 1856 par Jacques Lacornée (1779-1856), un architecte qui a consacré une grande partie de son existence à ce projet complexe. Les jardins sont protégés de la ville par les communs qui accueillent bureaux et archives et suivent l’esplanade des Invalides et la rue de l’Université en formant une équerre. Le corps principal du bâtiment – qui n’héberge plus ni ministre, ni hôte de marque – possède deux accès placés aux extrémités. Chacune de ces entrées est complétée par un escalier permettant d’accéder à l’étage. Entre eux se disposent librement sur deux niveaux les enfilades de salles d’attente, de bureaux du ministre et de ses proches collaborateurs, des salons de réception… Des pièces d’apparat qui s’orientent indifféremment au sud vers le parc ou au nord vers la Seine.


Changer pour que rien ne change :


À la suite du déplacement des archives diplomatiques à La Courneuve, le ministère a décidé de recentrer ses activités éparpillées dans Paris. Il a lancé un concours afin d’optimiser les espaces libérés et de créer 600 postes de travail modulables ainsi que de nouveaux espaces communs. L’essentiel de ces transformations se situant entre les deux ressauts formant au sud une cour en U ouverte sur le jardin. Les quatre équipes invitées à cette consultation devaient résoudre une question épineuse à laquelle s’était déjà confronté l’architecte du XIXe siècle qui avait longtemps hésité à joindre ces deux ressauts par une aile pour créer une cour carrée. Comment densifier sans pour autant fermer brutalement la perspective depuis les jardins et les espaces de réception ? Une question qui se pose aujourd’hui en d’autres termes : comment changer pour que rien ne change ? Ce que demande par ailleurs, en de nombreuses circonstances, tout maître d’ouvrage qui se respecte à son architecte… Sans doute les lauréats répondent-ils le mieux à cette injonction. Leur intervention est en effet minimale : les ressauts sont surélevés et dans l’entre-deux s’installe un jardin d’hiver qui accueille les nouveaux espaces de travail sans obérer la perspective du parc. Plus généalogique, Marc Barani revient sur le dilemme de Jacques Lacornée et trouve une solution inédite en réalisant un tour de force structurel. Comme à son habitude, Rem Koolhaas surprend, et propose ici un étonnant tsunami de béton. Quant à Dominique Perrault, il réinterroge la tradition française en terminant l’axe majeur par une sculpture monumentale, lointaine cousine de l’Hercule Farnèse qui termine l’axe des jardins de Vaux-le-Vicomte.


L’architecte à l’état gazeux

Jean-marc Ibos et Myrto Vitart (Lauréats)

Le site reste pratiquement en l’état. Les deux ailes de la cour en U ont juste été rehaussées et habillées d’élégantes robes de cuivre oxydé qui leur permettent d’affirmer une continuité avec les massifs d’arbres entourant le tapis vert. Dans l’entre-deux vient se glisser une boîte vitrée. Un jardin d’hiver qui refuse de s’interposer et laisse généreusement pénétrer les vues depuis le parc. Mais la réciproque n’est pas vraie. Du rez-de-chaussée et des services communs en contrebas du jardin, comme des deux plateaux de bureaux paysagers fermés par d’opulentes jardinières, les regards ne peuvent pas indiscrètement se retourner vers les activités diplomatiques de réceptions et de cérémonies. Ibos et Vitart vont poursuivre ici leur travail inlassable sur la transparence et la dématérialisation, en portant paradoxalement une grande attention aux matériaux et à leur articulation. L’utopie d’un espace totalement fluide, sans murs ni cloisons, seulement contrôlé par les surfaces et les sous-faces, porte ici la notion d’open space à son paroxysme. Ainsi, les deux plateaux de travail ne se superposent pas et semblent comme flotter dans le vide pour laisser entrer la lumière. Les poteaux chemisés d’inox poli tendent à l’invisibilité, tandis que plafonds réfléchissants ou lumineux interagissent avec les sols revêtus de pierre polie et parfois de vitrage pour proposer une large palette de substances spatiales différenciées. À certains moments, sols et plafond entrent en phase pour créer de subtils effets de mise en abyme qui introduisent de l’infini dans le fini ; à d’autres, ils se déphasent pour définir des zones d’intimité. Comme si construction rimait avec prestidigitation.


Masse et puissance :

Marc Barani

Semblant répondre et s’opposer à Ibos et Vitart comme dans un débat public, Marc Barani a travaillé avec et dans la masse. Il a sans doute éprouvé une certaine empathie pour Jacques Lacornée, l’auteur du bâtiment originel. Comme s’il s’agissait de s’identifier à lui et de poursuivre son projet. Ainsi il revient sur les incertitudes de l’architecte du XIXe siècle, hésitant entre une cour en U et une cour carrée, et propose une synthèse que ce dernier n’avait pas les moyens de réaliser. Il ferme la cour tout en ménageant sous cette fermeture une vaste fente horizontale permettant de laisser filer la perspective. Les ressauts existants sont surélevés et un appendice central moins haut et moins long vient s’avancer pour soulever une nouvelle aile qui s’affirme frontalement face au parc. Une solution permise par un audacieux dispositif structurel : une méga-poutre correspondant aux couloirs de desserte des nouveaux étages vient prendre appui sur le piédestal en retrait et les deux ressauts latéraux. Elle supporte une série de poutrelles qui par des câbles extérieurs viennent suspendre les dalles. Une proposition proche de l’infrastructure qui fait oublier les bureaux éclairés par de fines ouvertures verticales. L’ensemble est ensuite habillé d’une pellicule de pierre fixée sur de légères plaques d’aluminium alvéolé. Autre différence notable avec les lauréats, le choix militant des bureaux encloisonnés. Un dispositif qui, selon ce concepteur, permettrait au personnel du ministère de mieux s’épanouir et d’être plus performant en échappant à la tension permanente suscitée par le regard de l’autre. Enfin, sans passer par le jeu de la transparence et les reflets, la cour creusée de patios entretient un sentiment d’ouverture presque vertigineux. Comme si Piranèse entrait dans l’arène pour ferrailler avec Dan Graham…


Etonner la catastrophe :

Oma (Rem Koolhaas)

Que dire de ce projet ? Trois longues barres parallèles montent progressivement du sol du jardin jusqu’à l’étage d’archives dont les édicules aveugles ont été percés. Un dispositif en terrasses qui n’est pas sans rappeler celui, incontournable, d’Étienne Louis Boullée pour sa bibliothèque royale comme de nombreux autres projets d’OMA, notamment l’Axel Springer Campus. Ces bandes programmatiques sont ensuite recouvertes d’une toiture ondulante qui semble faire écho au plafond acoustique de l’église de Jørn Utzon à Copenhague. C’est elle qui distribue les vues, interdisant toutes violations visuelles de l’espace cérémoniel, et qui diffuse par réflexion une lumière zénithale multidirectionnelle sur l’ensemble des plateaux. Ce dispositif surprenant voudrait se déduire de l’existant : un tsunami composé d’une succession de vagues de béton à hautes performances monte ainsi à l’assaut de l’aile nord en poursuivant le mouvement du jardin redessiné qui se creuse en son centre comme pour prendre son élan.


Théorie du nuage :

Dominique Perrault architecture

Plus étonnant, Dominique Perrault délaisse le métal doré et propose une construction qui, côté hôtel du ministre, se refuse à donner des indications sur ses dimensions ou sur sa fonction. Elle s’affirme comme une composition abstraite de cubes blancs en lévitation. Un projet qui n’est cependant pas isolé dans son œuvre et qui s’inscrit dans la lignée de l’immeuble-pont conçu pour l’EPFL ou des blocs pixélisés de la bibliothèque de Shanghai, tous deux non réalisés. La structure composée de poteaux et de poutres métalliques, rappelant les sculptures de Sol LeWitt, prend appui sur deux noyaux en béton pour se déployer librement dans les trois directions de l’espace. Les facettes qui l’habillent sont systématiquement composées, au nord, de plaques d’albâtre translucide, au sud, de vitrages transparents. Dans cet intérieur nébuleux, les bureaux sont aménagés en open space, tandis qu’ils se cloisonnent dans les parties réhabilitées. Le sol se creuse comme une carrière de marbre pour éclairer les espaces communs. Un second niveau de sous-sol est proposé pour accueillir les parkings qui s’étendent sous le parc afin de permettre à ses arbres de recouvrer leur pleine terre. L’intimité des espaces de réception est ainsi préservée par un nuage comme ceux qui, selon Hubert Damisch, masquaient systématiquement les points de fuite centraux des tableaux de la Renaissance évitant de suggérer aux spectateurs l’idée angoissante de l’infini.


Les articles récents dans Concours

Revitaliser Concours pour la nouvelle salle polyvalente du Cendre (Puy-de-Dôme) Publié le 15/11/2024

Penchons-nous sur ce petit concours exemplaire visant à reconstruire une salle polyvalente. Un nouv… [...]

Espaces communs Concours pour l’astrolabe, la scène des musiques actuelles d’Orléans, Fleury-les-Aubrais Publié le 15/10/2024

Ouf, cette fois pas de bunker, ni de lanternes magiques, la plupart des équipes abonnées à ce ty… [...]

Insérer une enclave sécurisée dans une ville en devenir. Concours pour la construction d’un pôle de conservation pour la Bibliothèque nationale de France à Amiens Publié le 27/08/2024

Comment inscrire une partie de la collection de la Bibliothèque nationale, un espace sécurisé en … [...]

Le texte et la trame - Cité des imaginaires, grand musée Jules-Verne : dialogue compétitif organisé par la métropole de Nantes Publié le 03/07/2024

Un dialogue compétitif qui attire l’attention par la cohérence entre son site, son programme et… [...]

Exercices de virtuosité - Concours organisé par Paris Habitat pour la construction de 12 à 14 logements sociaux, rue Beaunier, Paris 14e Publié le 29/04/2024

Paris Habitat a invité quatre jeunes équipes d’architectes pour insérer une douzaine de logem… [...]

Quatre écrins pour une relique - Concours pour la rénovation et l’extension du musée de la Tapisserie de Bayeux Publié le 01/04/2024

Comment présenter dans les meilleures conditions possibles une bande de lin brodée datant du XIe&… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Novembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
44    01 02 03
4504 05 06 07 08 09 10
4611 12 13 14 15 16 17
4718 19 20 21 22 23 24
4825 26 27 28 29 30  

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…