Plan de masse du projet "l'architecture à l'état gazeux" |
Quatre
équipes prestigieuses étaient en lice pour répondre à l’épineux problème de la
réorganisation et de l’extension de la partie administrative du ministère des
Affaires étrangères, ou plutôt de sa densification. Comment rassembler sur ce
site d’autres services éparpillés dans la capitale sans que cela n’affecte ses
rituels ostentatoires ? |
Le Quai d’Orsay forme avec le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, et l’Hôtel de Lassay, résidence de son Président, une île placée entre la rue de l’Université et la Seine. Construit ex nihilo  au XIXe siècle, le ministère des Affaires étrangères se distingue cependant de ses voisins qui occupent des édifices réalisés pour la noblesse de l’Ancien Régime. Autre particularité : son jardin s’oriente au sud et la cour d’entrée desservant le corps principal du bâtiment est placée côté Seine, ce qui le distingue des hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain conçus au XVIIIe siècle en bordure du fleuve, qui s’organisent en sens inverse. L’ensemble des bâtiments – si l’on excepte quelques adjonctions du XXe siècle – a été construit entre 1844 et 1856 par Jacques Lacornée (1779-1856), un architecte qui a consacré une grande partie de son existence à ce projet complexe. Les jardins sont protégés de la ville par les communs qui accueillent bureaux et archives et suivent l’esplanade des Invalides et la rue de l’Université en formant une équerre. Le corps principal du bâtiment – qui n’héberge plus ni ministre, ni hôte de marque – possède deux accès placés aux extrémités. Chacune de ces entrées est complétée par un escalier permettant d’accéder à l’étage. Entre eux se disposent librement sur deux niveaux les enfilades de salles d’attente, de bureaux du ministre et de ses proches collaborateurs, des salons de réception… Des pièces d’apparat qui s’orientent indifféremment au sud vers le parc ou au nord vers la Seine.
Changer pour que rien ne change :
À la
suite du déplacement des archives diplomatiques à La Courneuve, le ministère a
décidé de recentrer ses activités éparpillées dans Paris. Il a lancé un
concours afin d’optimiser les espaces libérés et de créer 600 postes de travail
modulables ainsi que de nouveaux espaces communs. L’essentiel de ces
transformations se situant entre les deux ressauts formant au sud une cour en U
ouverte sur le jardin. Les quatre équipes invitées à cette consultation
devaient résoudre une question épineuse à laquelle s’était déjà confronté
l’architecte du XIXe siècle qui avait longtemps hésité à joindre ces deux
ressauts par une aile pour créer une cour carrée. Comment densifier sans pour
autant fermer brutalement la perspective depuis les jardins et les espaces de
réception ? Une question qui se pose aujourd’hui en d’autres termes : comment
changer pour que rien ne change ? Ce que demande par ailleurs, en de nombreuses
circonstances, tout maître d’ouvrage qui se respecte à son architecte… Sans
doute les lauréats répondent-ils le mieux à cette injonction. Leur intervention
est en effet minimale : les ressauts sont surélevés et dans l’entre-deux
s’installe un jardin d’hiver qui accueille les nouveaux espaces de travail sans
obérer la perspective du parc. Plus généalogique, Marc Barani revient sur le
dilemme de Jacques Lacornée et trouve une solution inédite en réalisant un tour
de force structurel. Comme à son habitude, Rem Koolhaas surprend, et propose
ici un étonnant tsunami de béton. Quant à Dominique Perrault, il réinterroge la
tradition française en terminant l’axe majeur par une sculpture monumentale,
lointaine cousine de l’Hercule Farnèse qui termine l’axe des jardins de
Vaux-le-Vicomte.
L’architecte
à l’état gazeux
Jean-marc
Ibos et Myrto Vitart (Lauréats)
Le site
reste pratiquement en l’état. Les deux ailes de la cour en U ont juste été
rehaussées et habillées d’élégantes robes de cuivre oxydé qui leur permettent
d’affirmer une continuité avec les massifs d’arbres entourant le tapis vert.
Dans l’entre-deux vient se glisser une boîte vitrée. Un jardin d’hiver qui
refuse de s’interposer et laisse généreusement pénétrer les vues depuis le
parc. Mais la réciproque n’est pas vraie. Du rez-de-chaussée et des services
communs en contrebas du jardin, comme des deux plateaux de bureaux paysagers
fermés par d’opulentes jardinières, les regards ne peuvent pas indiscrètement
se retourner vers les activités diplomatiques de réceptions et de cérémonies.
Ibos et Vitart vont poursuivre ici leur travail inlassable sur la transparence
et la dématérialisation, en portant paradoxalement une grande attention aux
matériaux et à leur articulation. L’utopie d’un espace totalement fluide, sans
murs ni cloisons, seulement contrôlé par les surfaces et les sous-faces, porte
ici la notion d’open space à son paroxysme. Ainsi, les deux plateaux de travail
ne se superposent pas et semblent comme flotter dans le vide pour laisser
entrer la lumière. Les poteaux chemisés d’inox poli tendent à l’invisibilité,
tandis que plafonds réfléchissants ou lumineux interagissent avec les sols
revêtus de pierre polie et parfois de vitrage pour proposer une large palette
de substances spatiales différenciées. À certains moments, sols et plafond entrent
en phase pour créer de subtils effets de mise en abyme qui introduisent de
l’infini dans le fini ; à d’autres, ils se déphasent pour définir des zones
d’intimité. Comme si construction rimait avec prestidigitation.
Masse
et puissance :
Marc
Barani
Semblant
répondre et s’opposer à Ibos et Vitart comme dans un débat public, Marc Barani
a travaillé avec et dans la masse. Il a sans doute éprouvé une certaine
empathie pour Jacques Lacornée, l’auteur du bâtiment originel. Comme s’il
s’agissait de s’identifier à lui et de poursuivre son projet. Ainsi il revient
sur les incertitudes de l’architecte du XIXe siècle, hésitant entre une cour en
U et une cour carrée, et propose une synthèse que ce dernier n’avait pas les
moyens de réaliser. Il ferme la cour tout en ménageant sous cette fermeture une
vaste fente horizontale permettant de laisser filer la perspective. Les
ressauts existants sont surélevés et un appendice central moins haut et moins
long vient s’avancer pour soulever une nouvelle aile qui s’affirme frontalement
face au parc. Une solution permise par un audacieux dispositif structurel : une
méga-poutre correspondant aux couloirs de desserte des nouveaux étages vient
prendre appui sur le piédestal en retrait et les deux ressauts latéraux. Elle
supporte une série de poutrelles qui par des câbles extérieurs viennent
suspendre les dalles. Une proposition proche de l’infrastructure qui fait
oublier les bureaux éclairés par de fines ouvertures verticales. L’ensemble est
ensuite habillé d’une pellicule de pierre fixée sur de légères plaques
d’aluminium alvéolé. Autre différence notable avec les lauréats, le choix
militant des bureaux encloisonnés. Un dispositif qui, selon ce concepteur,
permettrait au personnel du ministère de mieux s’épanouir et d’être plus performant
en échappant à la tension permanente suscitée par le regard de l’autre. Enfin,
sans passer par le jeu de la transparence et les reflets, la cour creusée de
patios entretient un sentiment d’ouverture presque vertigineux. Comme si
Piranèse entrait dans l’arène pour ferrailler avec Dan Graham…
Etonner
la catastrophe :
Oma
(Rem Koolhaas)
Que
dire de ce projet ? Trois longues barres parallèles montent progressivement du
sol du jardin jusqu’à l’étage d’archives dont les édicules aveugles ont été
percés. Un dispositif en terrasses qui n’est pas sans rappeler celui,
incontournable, d’Étienne Louis Boullée pour sa bibliothèque royale comme de
nombreux autres projets d’OMA, notamment l’Axel Springer Campus. Ces bandes
programmatiques sont ensuite recouvertes d’une toiture ondulante qui semble
faire écho au plafond acoustique de l’église de Jørn Utzon à Copenhague. C’est
elle qui distribue les vues, interdisant toutes violations visuelles de
l’espace cérémoniel, et qui diffuse par réflexion une lumière zénithale multidirectionnelle
sur l’ensemble des plateaux. Ce dispositif surprenant voudrait se déduire de
l’existant : un tsunami composé d’une succession de vagues de béton à hautes
performances monte ainsi à l’assaut de l’aile nord en poursuivant le mouvement
du jardin redessiné qui se creuse en son centre comme pour prendre son élan.
Théorie
du nuage :
Dominique
Perrault architecture
Plus
étonnant, Dominique Perrault délaisse le métal doré et propose une construction
qui, côté hôtel du ministre, se refuse à donner des indications sur ses
dimensions ou sur sa fonction. Elle s’affirme comme une composition abstraite
de cubes blancs en lévitation. Un projet qui n’est cependant pas isolé dans son
œuvre et qui s’inscrit dans la lignée de l’immeuble-pont conçu pour l’EPFL ou des
blocs pixélisés de la bibliothèque de Shanghai, tous deux non réalisés. La
structure composée de poteaux et de poutres métalliques, rappelant les
sculptures de Sol LeWitt, prend appui sur deux noyaux en béton pour se déployer
librement dans les trois directions de l’espace. Les facettes qui l’habillent
sont systématiquement composées, au nord, de plaques d’albâtre translucide, au
sud, de vitrages transparents. Dans cet intérieur nébuleux, les bureaux sont
aménagés en open space, tandis qu’ils se cloisonnent dans les parties
réhabilitées. Le sol se creuse comme une carrière de marbre pour éclairer les
espaces communs. Un second niveau de sous-sol est proposé pour accueillir les
parkings qui s’étendent sous le parc afin de permettre à ses arbres de recouvrer
leur pleine terre. L’intimité des espaces de réception est ainsi préservée par
un nuage comme ceux qui, selon Hubert Damisch, masquaient systématiquement les
points de fuite centraux des tableaux de la Renaissance évitant de suggérer aux
spectateurs l’idée angoissante de l’infini.
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