Bétons en transition, 3/5 Regards croisés : entretien avec les agences Graal et Scalene

Rédigé par Benoit JOLY
Publié le 02/04/2021

à gauche : Cité des Cèdres, Scalène; à droite : Centre de Loisirs, Graal

Article paru dans d'A n°288

Deux agences, deux points de vue, mais un constat qui vaut d’être entendu, celui de la « vérité de la structure Â». Nous avons demandé à deux agences comment elles envisagent l’usage du béton dans leur pratique. D’un côté, l’architecte Luc Larnaudie de l’agence toulousaine Scalene et, de l’autre, l’architecte Nadine Lebeau de l’agence parisienne Graal. 

D’A : Quel avenir réservez-vous à l’emploi des bétons dans vos projets ? 

Nadine Lebeau (Graal) : Le béton appartient au triumvirat moderniste des matériaux (acier, béton, verre) et comme tel il subit aujourd’hui une mise à niveau nécessaire telle que l’architecture contemporaine est en train de l’orchestrer depuis une décennie. La vérité de la structure s’impose aujourd’hui à nouveau comme principale arme pour gagner la bataille contre l’isolation par l’extérieur à tout prix. Dans ce cadre, le béton est pour nous le garant d’une certaine continuité de la culture constructive dont la France est la principale héritière. Le béton permet de garantir à la fois la lisibilité constructive d’un ouvrage et sa durabilité. Oui : sa durabilité, car dans le contexte actuel de crise économique profonde, où l’entretien et la maintenance destinée aux bâtiments sont presque nuls, il est important de réfléchir sérieusement au cycle de vie global d’un bâtiment, d’autant plus que le gros Å“uvre occupe environ 50 % du prix de construction. Nous croyons fortement que l’avenir du béton est très prometteur car il est à ce jour le seul matériau qui s’intègre dans la condition ordinaire dans laquelle nous baignons. Il permet de combiner d’une part la possibilité d’une mise en Å“uvre approximative et de l’autre un mélange entre ce qui tient et ce qui protège. Comme le match Ricciotti-Madec l’a statué [émission « Interdit d’interdire, Pour ou contre le béton ? Â» diffusé sur RT France, ndlr], ce qui sera important n’est pas de questionner s’il faut ou non construire en béton mais plutôt de réfléchir à ce que l’on met dedans. 

 

Luc Larnaudie (Scalene) : La matière a une place fondamentale dans notre métier. La responsabilité de l’architecte sur l’acte de bâtir est d’offrir des lieux du quotidien, des lieux pour des moments de vie. Bâtir, c’est avoir la conscience que la matière mise en Å“uvre interagit avec celui qui la côtoie. C’est un enrichissement au quotidien. Les bétons sont liés à l’histoire de l’homme et ses besoins. C’est un matériau capable de s’adapter aux contraintes structurelles, acoustiques, d’inertie, géométriques, et de déclencher des émotions par ses textures et les camaïeux de ses couleurs. Pour une civilisation des écrans, le béton est aussi un repère. Il invoque le besoin de toucher. Les bétons permettent de concilier frugalité, durabilité et exigence architecturale. Leurs compositions comme leurs mises en Å“uvre se sont considérablement sophistiquées, autorisant une grande précision et une multitude de possibilités. Ces qualités, associées à des savoir-faire séculaires, procurent les garanties pour les exigences de livraison. Plutôt que de multiplier les couches, plutôt que d’empiler sans conscience puis de maquiller, la mise en place des bétons exige d’être présents sur le chantier ; elle engage tous les acteurs, de la maîtrise d’ouvrage jusqu’à l’entreprise. En faisant le choix du béton, l’architecte place au centre des enjeux l’aspect sensible, les aspérités et l’imprévisibilité de la matière, préfère l’épaisseur à l’anecdote, la profondeur au lisse. 


Quand on décide de l’employer, tout l’enjeu est d’échapper aux caricatures et aux stéréotypes liés d’un côté à la reconstruction d’après-guerre et de l’autre à des mises en Å“uvre possibles uniquement dans l’exception. Sur le chantier des logements sociaux dans le quartier des Cèdres à Blagnac, l’économie de matière engendrée par les bétons apparents évite la mise en Å“uvre de couches multiples et les rend accessibles. Sur des projets en cours, par la structure et les voiles qui s’expriment, nous nous affranchissons de décors posés en aval pour conserver la relation immédiate à la matière. 


D’A : Quelle part accordez-vous au mix de matériaux dans vos recherches ? 

Nadine Lebeau (Graal) : Comme le rappelle l’architecte Hendrik Petrus Berlage, « tant dans les arts que dans la nature, on est d’abord confronté à la loi de la pesanteur Â», et le béton nous intéresse car il nous permet de nous ancrer au sol, à son territoire. De la même manière, lors de la conception de nos bâtiments, notre priorité est d’exploiter au maximum le système constructif qu’impose un matériau. Accompagner la matérialisation d’une intention est pour nous nécessaire à la bonne réussite du projet. La volonté de subir sans malice un système constructif nous amène souvent à devoir combiner plusieurs matériaux entre eux, dans le but de créer une architecture où le langage n’est pas prédéterminé par une exigence obscure ou par simple intuition mais par une logique constructive inhérente aux conditions de nécessité du projet. Nous sommes effectivement confrontés à ce questionnement sur plusieurs de nos projets dernièrement. Par exemple la construction d’une pension de famille située à Paris en aplomb de la petite ceinture a pour principe d’unir à un exosquelette en béton préfabriqué (bas carbone lié d’agrégats issus du réemploi) un remplissage par béton de chanvre et de planchers mixtes bois-béton. Cette attitude est pour nous fondamentale si nous voulons dépasser la querelle postmoderniste dans laquelle nous nous trouvons encore, où la séparation entre hard-core et soft-core nous oblige à réfléchir à un matériau par son aspect plutôt qu’à ses possibilités intrinsèques. 


Luc Larnaudie (Scalene) : Scalene tente de dégager le bon équilibre entre matériaux bruts, savoir-faire locaux et calepinage d’éléments manufacturés. C’est le principe du bon matériau au bon endroit : bâtiment et lieu. Pour un hôtel en construction à Blagnac, le béton est utilisé dans ses dimensions structurelles et d’inertie. Il est associé à des façades en mur à ossature bois préfabriquées en atelier. Celles-ci sont habillées de bardage miroir qui nous permet d’intensifier la relation avec le parc classé dans lequel le bâtiment se faufile. Nous réalisons aussi un ensemble de 32 maisons dans un terrain pentu, pour lesquelles le béton est utilisé en paroi de retenue des terres, en contenant les rez-de-chaussée de celles-ci, tandis que leurs étages sont en MOB. Nous défendons la mise en Å“uvre des matériaux bruts comme matière d’architecture. 


Luc Larnaudie (Scalene) : Scalene tente de dégager le bon équilibre entre matériaux bruts, savoir-faire locaux et calepinage d’éléments manufacturés. C’est le principe du bon matériau au bon endroit : bâtiment et lieu. Pour un hôtel en construction à Blagnac, le béton est utilisé dans ses dimensions structurelles et d’inertie. Il est associé à des façades en mur à ossature bois préfabriquées en atelier. Celles-ci sont habillées de bardage miroir qui nous permet d’intensifier la relation avec le parc classé dans lequel le bâtiment se faufile. Nous réalisons aussi un ensemble de 32 maisons dans un terrain pentu, pour lesquelles le béton est utilisé en paroi de retenue des terres, en contenant les rez-de-chaussée de celles-ci, tandis que leurs étages sont en MOB. Nous défendons la mise en Å“uvre des matériaux bruts comme matière d’architecture. 

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