Résidence Julia Tachet, Charles-Henry Tachon |
Au regard des évolutions réglementaires sur les émissions de CO2 et l’économie circulaire, on assiste à une polarisation des débats sur les techniques constructives. Les arguments opposant filières contre filières ont tendance à faire oublier la pertinence du mix de matériaux. Dans ce contexte, quel avenir peut-on réserver aux bétons ? D’un côté, les grands industriels apportent quelques innovations avec les « bas carbone » tout en conservant une part hégémonique dérangeante. De l’autre, certains architectes et designers engagés dans la R&D se réapproprient la question de la matière pour développer des techniques constructives alternatives : parfois pour des raisons formelles, parfois pour des motifs d’engagement écologiques. Cependant, au-delà des discours et en fonction d’une réalité économique, la « poétique du béton » reste intacte auprès des maîtres d’œuvre. Dans ce dossier qui dévoile les mises en œuvre et les formulations les plus récentes, nous avons interrogé des bureaux d’études et des architectes afin de tracer l’avenir des bétons de demain. |
L’avenir des bétons en question
Le béton est-il amené, dans ses compositions les plus communes, à disparaître ? Sachant que les cimenteries représentent 7 ou 8 % des émissions de gaz à effet de serre sur la planète, la question est légitime. Pourtant, le béton reste le matériau fétiche des architectes. Pigmenté dans la masse et décliné dans toutes les teintes, matricé, il peut s’adapter aux exigences de chaque réalisation, en jouant avec la nature des granulats, les adjuvants et des traitements de surface. Aujourd’hui, son bilan carbone autant que les ressources naturelles qu’il consomme sont au cœur des débats, publics et professionnels. Béton plus ou moins armé, précontraint, autoplaçant, préfabriqué ou coulé en place… Les bétons architectoniques conservent le podium en termes de facilité de construction et de performances structurelles. Depuis l’arrivée des bétons haute performance (BHP) dans les années 1970 puis celle des bétons fibrés type Ductal, ils occupent une part hégémonique appelée à céder du terrain. Depuis une dizaine d’années, bien avant l’arrivée de la RE2020, les grands groupes se sont penchés sur la question du carbone, en développant à plus grande échelle l’exploitation des co-produits issus des hauts-fourneaux. Les bétons aujourd’hui dits « bas carbone » à base de clinker valorisent les déchets des aciéries et permettent – en fonction des modes de calculs – de réduire leur empreinte CO2. « Cette technique des laitiers des hauts-fourneaux existe depuis un siècle partout dans le monde, précise Mouloud Behloul, directeur Innovation et Construction durable chez LafargeHolcim France. Mais les quantités de laitiers vont baisser si demain Arcelor ferme des usines de hauts-fourneaux. On mettra autre chose que du laitier. De nouvelles formulations en préparation devraient sortir dans quelques années. » En parallèle, les principaux groupes communiquent sur l’instauration de plateformes qui permettent d’exploiter les gisements de granulats issus de la déconstruction et ce, afin de s’inscrire dans une logique d’économie circulaire. Mais là aussi, du chemin reste à parcourir. « Les bétons de démolition représentent environ 18 millions de tonnes par an. Alors que la demande de granulats pour le béton se situe autour de 100 millions de tonnes, poursuit Mouloud Behloul. On pense qu’à terme, il n’y aura plus besoin de granulats naturels car il y aura suffisamment de bétons de démolition. Pour l’instant, la demande reste symbolique : dans certains esprits, un granulat recyclé serait moins qualifié qu’un granulat naturel. Et il y a une question de coût : le granulat recyclé n’est pas moins cher, au contraire. » Questionner la vertu des bétons, c’est s’interroger sur les sables disponibles, leur provenance, mais aussi sur les ciments employés. Les argiles calcinées et les métakaolins qui disposent déjà de FDES représentent des solutions prometteuses : bien que moins disponibles, celles-ci pourraient être développées dans les processus industriels.
La désobéissance au béton Bois, pierre, terre coulée, terre projetée, recyclée, pisé, adobe : on assiste à une remise en question des bétons par les architectes et les designers et à un questionnement inédit sur leur formulation. Il y a ceux qui cherchent à en prescrire moins pour s’orienter vers le mix de matériaux (avec planchers et parois bois) et ceux qui participent au développement de techniques alternatives pour s’en passer le plus possible, sans renoncer à mettre en œuvre des éléments massifs. Leurs projets expérimentaux sont d’ailleurs régulièrement publiés dans les pages de d’a. Dans une tribune du 4 mars dernier, les architectes Léa Hobson, Étienne Delprat et Tibo (« architecte et activiste, Notre-Dame-des-Landes ») ont lancé l’appel « Abandonnons le monde des lobbies et du béton ». Relayé par la revue Topophile, le message a été signé par plus de 80 personnalités dont une majorité d’architectes et ingénieurs : « Nos professions sont submergées par une accumulation de réglementations, de normes, de certifications et autres labels. Ce cadre ultracontraignant, centré sur la technique et la sécurité, empêche la créativité, l’autonomie, ainsi que le déploiement d’une réflexion sur leurs politiques sous-jacentes. Il ne tient qu’à nous d’interroger, de détourner et de sortir du cadre pour défendre ce qui nous semble juste : privilégier les lieux et leur singularité, expérimenter les savoir-faire locaux, prendre le temps de concevoir et de questionner l’acte de bâtir. Questionner, désobéir, résister, défendre, et ainsi initier les ruptures nécessaires. » Cette prise de position s’accompagne de la parution d’un essai du théoricien critique et marxiste Anselm Jappe. À travers son dernier ouvrage Béton, arme de construction massive du capitalisme, il dénonce les catastrophes qu’il engendre sur bien des plans ; révéler le rôle qu’il a joué dans la perte des savoir-faire et dans le déclin de l’artisanat ; enfin démontrer comment ce matériau s’inscrit dans la logique de la valeur et du travail abstrait. Nouvelles formules En remettant en cause les modes constructifs imposés, certains architectes et designers ne se contentent plus de « prescrire » du béton. La défiance instaurée vis-à -vis des industries les pousse parfois à formuler eux-mêmes de nouveaux matériaux, à faire du béton sans vraiment faire du béton – que ce soit avec le concours de laboratoires spécialisés pour qualifier les agrégats mais aussi grâce à l’implication d’entreprises téméraires pour leur mise en œuvre. On assiste à une multiplication de tests, formulations, carottages et éprouvettes autour des bétons géosourcés : bétons secs et damés, bétons de chaux ou de chamotte (de l’argile brute cuite utilisée pour les briques réfractaires). En parallèle, les méthodes de mises en œuvre sont totalement revues, avec une valorisation des techniques de construction alternatives, parfois très anciennes. Quant aux bétons biosourcés, ils se développent également dans un cadre législatif favorable, mais sont encore restreints à des applications non structurelles. Composés de fibres de bois, de lin, de chanvre ou encore de miscanthus, ils servent surtout pour l’isolation, les enduits ou l’absorption acoustique. Si des tentatives sur les blocs porteurs sont en cours, les qualités techniques des bétons biosourcés les limitent à un simple récit sur la matière. Bons ou mauvais calculs ? Depuis plusieurs décennies, les réglementations et labels poussent autant la construction à évoluer qu’à se complexifier. Mais celle-ci gagne-t-elle en qualité ? Des cibles HQE en passant par le Passivhaus qui obligeait à calculer un projet en kWh par mètre carré par an, l’heure est actuellement aux analyses des cycles de vie (l’ACV dynamique – et non statique – entrera en vigueur dès le 1er janvier 2022), aux fiches de déclaration environnementales et à l’évaluation de l’empreinte carbone – devenu un but légitime à atteindre autant qu’un opaque argument marketing. La complexification des calculs sert l’approche ingénierie tout en obligeant bien heureusement les filières à se remettre en cause – y compris la filière béton. Cependant, la qualité architecturale repose sur des critères moins quantifiables : le rapport au site, à des savoir-faire d’entreprises et d’artisans, à un tissu économique et à une diversité de contextes géographiques et climatiques incompatibles avec toute tentative de généralisation. |
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