Musée Louvres-Lens - SANAA |
Sélectionner vingt architectures parmi des milliers d’autres, c’est générer plus de frustration que de satisfaction. Chacun regrettera l’absence d’œuvre de tel ou tel architecte. Certaines sont même assez surprenantes, mais elles s’expliquent en partie par la question posée au jury : des concepteurs ont par exemple une production de très grande qualité, mais pas forcément de réalisations qui, par la singularité de leur commande ou de leur invention, soient vraiment emblématiques des enjeux actuels. La sélection n’échappe pas non plus à un phénomène de redoublement de l’effet médiatique : lorsqu’un bâtiment d’un ou d’une même architecte est choisi plutôt que tel autre parce qu’il a davantage été médiatisé. À l’inverse, certains ont peut-être pâti de leur surexposition, comme la Fondation Louis-Vuitton ou le Mucem de Marseille. Si des architectes comme Christian de Portzamparc ou Dominique Perrault sont en outre absents, c’est aussi parce que leurs œuvres les plus importantes des vingt dernières années ont été conçues hors de France, que l’on songe à la Cidade das Artes de Rio de Janeiro ou à la Philharmonie Luxembourg pour l’un et à l’université Ewha de Séoul pour le second. |
À la charnière de deux mondes
Le choix de la période 2000-2020 est arbitraire et ne correspond pas à un mouvement ou à une évolution particulière. Mais la fenêtre temporelle qu’elle découpe révèle de façon saisissante ce qui a changé en vingt ans. La plupart des architectures choisies témoignent ainsi de préoccupations qui annoncent les années à venir : transformation, réhabilitation, sobriété, low-tech, déconsommation de matériaux, notamment en second œuvre... Il est d’ailleurs révélateur que les deux premières réalisations (par ordre chronologique), distantes de quelques centaines de mètres à Nantes, et livrées en même temps au tournant du siècle, forment par contraste un condensé de cette évolution. Le palais de justice des Ateliers Jean Nouvel et le Lieu unique de l’atelier Construire. Le premier, emphatique et virtuose scénographie urbaine, appartient clairement au XXe siècle, quand le deuxième marque le début de la reconversion des sites industriels, ici de l’usine LU, avec une inventivité frugale, joyeuse et ludique qui a fait florès jusqu’à aujourd’hui.
Où est l’écologie ?
Cette sélection est-elle à la hauteur des enjeux environnementaux d’aujourd’hui ? Non, semble répondre Dominique Gauzin-Müller dans son article « Une sélection du déni climatique » (p.34-37).
Fondatrice avec l’architecte Philippe Madec et l’ingénieur Alain Bornarel du mouvement de la Frugalité heureuse, elle fustige l’aveuglement des choix qui ont été faits et l’absence de certaines figures radicales de la frugalité. Mais, encore une fois, ces vingt bâtiments représentent une époque. La conscience de l’urgence écologique de 2002 n’était pas celle de 2020.
Évoquer la question climatique sans aborder les bouleversements esthétiques qu’elle va générer serait évidemment une erreur. Ce qui était beau hier ne le sera sûrement plus selon les mêmes valeurs demain. Les bâtiments construits en France par les pionniers de l’écologie ont-ils produit une nouvelle esthétique, à l’image, par exemple, de ceux du Germano-Burkinabè Francis Kéré ? Non, semble avoir répondu le jury, en dehors de Gilles Perraudin, héraut du renouveau de l’usage de la pierre massive. Mais la révolution écologique n’est pas forcément là où on l’attend : si l’on envisage les vertus environnementales au-delà des questions de matériaux, et davantage par les réponses intrinsèquement architecturales qu’elles apportent, alors la majorité des bâtiments de cette sélection répond, à sa manière, aux questions climatiques. Huit des vingt réalisations sont par exemple des transformations de bâtiments existants, et certaines ont une valeur symbolique très forte, comme les transformations de la base sous-marine de Saint-Nazaire de l’agence allemande LIN et du bâtiment de Kalisz à Pantin par Antoinette Robain et Claire Guieysse. On imagine que le résultat aurait été fort différent si l’on avait considéré les années 1980-2000. Alors, certes, l’agence qui a été la plus plébiscitée par le jury, celle d’Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal, utilise peu de matériaux biosourcés, peu de paille, de terre et de pierre, mais leurs structures en béton sont des modèles d’économie de matière, leurs matériaux de second œuvre sont réduits à l’essentiel, la gestion thermique est réglée par une organisation nouvelle de l’espace et un équilibre entre un grand apport de lumière et son occultation par des moyens aussi simples que des rideaux isolants. Surtout, les bâtiments qu’ils conçoivent ou transforment sont facilement encore retransformables pour d’autres usages et donc, par essence... durables. Ces qualités se retrouvent dans la plupart des autres réalisations de la sélection : le volume capable du « lieu de vie » de Muoto à Saclay ou du centre culturel et sportif Wangari-Maathai de Bruther à Paris, les doubles façades des logements d’Armand Nouvet rue des Orteaux, à Paris 20e, la réduction au minimum nécessaire des éléments de second œuvre et de décoration de la restructuration de l’usine des frères Perret à Montataire de Pierre Hebbelinck et HBAAT. Les vertus environnementales, n’est-ce pas aussi la manière dont l’Atelier du Rouget de Simon Teyssou et associés répond à une commande – ici une simple halle d’accueil touristique à Mandailles-Saint-Julien – en l’envisageant comme une partie d’un tout englobant l’ensemble du village, du traitement des sols à la transformation d’un vieux garage ou d’une vieille maison ? On sait combien la dispersion des interventions sans concertation, l’accumulation sans logique d’aménagement de bâtiments, de mobilier urbain et autres traitements dits « paysagers » est source de désordre et de surcoûts potentiels. Ici, comme dans la maison de santé de Bernard Quirot à Vézelay, c’est moins la charpente en bois locale de la halle qui est gage de durabilité que la perspective holistique qu’offre le projet d’architecture.
Écritures singulières et renouveau de la question constructive
Cette sélection montre également la grande diversité de la production architecturale en France. Le Mémorial de Notre-Dame-de-Lorette de Philippe Prost, la gare de tramway de Barani, le chai de Solan de Gilles Perraudin, le Lieu unique, les logements d’Armand Nouvet ou ceux de Sophie Delhay sont autant d’écritures très différentes.
Un point commun cependant les rassemble : le souci renouvelé pour les questions constructives. Un point duquel la génération précédente, qui a profondément refondé l’architecture française du dernier quart du XXe siècle, s’était tenue éloignée. Chez Henri Ciriani ou Christian de Portzamparc, et surtout Jean Nouvel, la rationalité, ou tout du moins la rigueur architectonique, est peu présente en amont de la conception. Elle est au contraire essentielle chez Perraudin, Lacaton et Vassal, Barani, Nouvet, Bruther ou Teyssou, quoique leurs écritures soient très différentes les unes des autres. Doit-on accorder cette évolution à l’exemplarité de certaines agences étrangères, la commande ayant été très accueillante en France pour elles depuis trente ans ? Herzog & de Meuron sont ainsi nommés deux fois parmi les vingt, et les Espagnols de RCR ont de peu manqué d’y être aussi avec le musée Soulages. L’extrême rigueur constructive des deux Suisses, indépendamment de leur grande inventivité, a incontestablement exercé une forte influence sur la scène française. Comme celle de Renzo Piano auparavant, elle a probablement aidé à une prise de conscience de cette faiblesse de la production nationale. À cet égard, la présence parmi la sélection du Louvre-Lens des Japonais de SANAA et l’absence du musée du Quai-Branly des Ateliers Jean Nouvel est éloquente : d’un côté une architecture qui se fond dans le paysage, dont la structure apparemment simple et répétitive demande une grande subtilité dans la résolution de ses articulations, de l’autre une scénographie virtuose et emphatique qui semble avoir une foi illimitée dans la capacité des majors du BTP français à résoudre toutes les facéties constructives des architectes, quel qu’en soit le coût.
Où sont les femmes ?
Avec un jury composé de onze femmes pour vingt-quatre hommes, la sélection comprend presque la moitié (9/20) de réalisations conçues par une équipe comportant au moins une femme, mais dont seulement deux – Robain-Guieysse et Sophie Delhay – sont uniquement constituées de femmes, contre dix uniquement masculine. On regrette que la parité soit loin d’être atteinte, bien que certains membres du jury aient volontairement voté uniquement pour des femmes. Si l’on imagine par ailleurs quels auraient été les résultats sur la période 1980-2000, la projection sur les vingt prochaines années permet d’être optimiste.
Rephotographier
Pour que ce numéro exceptionnel de d’architectures ne soit pas simplement un « best of », mais davantage une occasion de nous interroger sur un paysage architectural en pleine transformation, nous avons voulu rephotographier les vingt bâtiments habités, vivants et tel qu’ils ont vieilli. Certains sont entretenus, d’autres moins, les habitants les transforment à leur manière et ils ne ressemblent plus toujours aux belles images inhabitées auxquelles nous sommes habitués dans les revues. Il nous a fallu demander des autorisations pour les prises de vue de tous les bâtiments, ce que tous les propriétaires ont généralement accordé avec plaisir, à l’exception du palais de justice de Nantes dont la présidence a exigé que nous payions pour le photographier, ce que nous avons refusé par déontologie. Nous avons commandé des clichés à des photographes qui ne sont pas forcément des professionnels de la photographie architecturale, et nous en avons réalisés nous-mêmes. La représentation de l’architecture est aujourd’hui uniformément et mondialement codifiée selon une même esthétique. Comme toute la presse architecturale, le magazine d’architectures n’échappe pas à ces conventions qui sont, par ailleurs largement plébiscitées par les lecteurs, qui aiment à voir magnifié ce qu’ils admirent. Cet effet est aujourd’hui renforcé par la consultation des sites internet de type ArchDaily ou Dezeen qui ont besoin, du fait de leur petit format, d’images claquantes et rapidement likeable. Nous avons pris le risque de montrer différemment ces architectures. Elles sont donc à la fois célébrées par leur présence dans la sélection et interrogées dans leur confrontation à la réalité. Les bâtiments, notamment les logements, sont livrés dans la pureté des intentions de leurs auteurs, et c’est ensuite dans la diversité des manières d’habiter que leurs qualités d’usage sont mises à l’épreuve. Cet exercice ne bouscule pas seulement nos propres habitudes d’éditeur, elles exigent aussi du lecteur qu’il se défasse de son appétence naturelle pour la séduction immédiate...
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