RRRrrrr !!! [R.R.] Rudy Ricciotti, un architecte sur tous les fronts

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 05/04/2004

Rudy Ricciotti

Article paru dans d'A n°136

Un livre, une exposition, une vidéo, projet prestigieux de musée à Marseille (le Mucem), l'année 2004 sera celle de Rudy Ricciotti. Sous la provocation et la séduction de l'architecte de Bandol, il faut savoir lire l'ambition pour une architecture méditerranéenne authentiquement contemporaine.
La monographie d'architecte est un exercice périlleux qui oscille généralement entre hagiographie et fadaises et où l'on prête au récipiendaire (qui en est aussi souvent le commanditaire) des hommages, les intentions les plus nobles, les attitudes les plus désintéressées. Les affirmations ont d'autant plus de force qu'elles prétendent toujours ériger l'architecte en rempart contre la médiocrité et la veulerie générale des autres confrères.

L'historien de l'art Paul Ardenne, dans l'essai qu'il consacre à Rudy Ricciotti, tente d'échapper à ce terrible destin et y parvient parfois, ce qui est déjà honorable. Il faut dire que l'objet de son étude n'est pas banal. Rudy Ricciotti est un architecte qui ne ressemble à aucun autre : provocateur, séducteur, colérique, moralisateur et véhément avec jubilation. Sorte d'autonomiste, guérillero de l'architecture, avec son cigare, c'est un peu le Che de Bandol, rôle qu'il endosse avec un orgueil à peine dissimulé. C'est toucher là l'une des contradictions du personnage que Paul Ardenne a bien vue mais dont il tente à grand peine de démêler l'écheveau : « fer de lance de l'opposition de l'architecture au pouvoir » (sic), Rudy Ricciotti n'en reste pas moins l'un des architectes de sa génération qui a le plus construit avec l'état, la région, les communes ou… Lafarge. Comme le souligne très justement l'auteur, quand la subversion est institutionnalisée et que la société libérale bourgeoise aime à jouir de la désobéissance, « asseoir à son profit une réputation de voyou – réputation toujours enviée au pays des hommes-veaux », est très payante. Lucide, il se demande si cette position n'est pas celle du bouffon. Nous aussi, il faut bien l'avouer.

Le livre relève plus de l'essai biographique que de la monographie et rien n'est fait, sur le plan iconographique, pour nous aider à mieux comprendre l'architecture de Ricciotti. Le texte de Paul Ardenne est enserré entre deux stocks d'images pleine page et de qualités inégales. Ni plan, ni coupe, ni légende ne viennent éclairer notre lanterne sur le cas de l'agitateur de Bandol. C'est frustrant, mais sans doute est-ce une façon de nous prendre à revers et de nous montrer que la singularité du travail de Ricciotti est ailleurs. C'est la tâche à laquelle l'auteur s'est attaqué, tentative difficile tant les réalisations de l'architecte échappent aux schémas de pensée habituels. Si l'architecture de Rudy Ricciotti peut prendre des attitudes de triviale provocation, c'est qu'elle est une architecture de combat. Celui d'une lutte tenace et, il faut le reconnaître, courageuse contre la dictature varoise du pseudo-provençalisme et tous les néo : modernismes, déconstructivismes et autres tendances bataves version Gucci/Prada. Son ambition, qui n'est pas dénuée d'une forme de romantisme, est de réinventer les conditions contemporaines pour une pensée méditerranéenne de l'architecture (1). Il lui faut pour cela se détacher des tics régionalistes. Le choix du jury pour le musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée s'interprète sans doute au regard de cette attitude de l'architecte ; on mesure en même temps le défi que cela représente pour lui.

Présentées à la villa Noailles à Hyères dans l'exposition « Villas-spectacles, Rudy Ricciotti architecte » qui lui est consacrée, ses maisons sans concession, refusant le diktat fonctionnaliste et régionaliste, peuvent être perçues comme une tentative de retrouver l'essence de l'abri primitif. La violence brutaliste qu'elles manifestent souvent est probablement une façon de repousser la tentation mortifère de la nostalgie et de la fascination du mythe des origines. Cette confrontation permanente avec le monde qui l'entoure est constitutive de ses projets, et elle peut en brouiller la lisibilité. Son attitude de boxeur rock'n'roll (tendance Alan Vega, pas Johnny !) le conduit parfois à une radicalité, comme au stadium de Vitrolles, qui dans sa superbe peut se révéler une impasse : « Envisager une architecture de dissidence en termes concrets est d'office problématique » remarque Paul Ardenne avec à propos.

Rudy Ricciotti, c'est sûr, fait de l'architecture un acte politique : «Républicain, (…) barbare romanisé égaré par le temps», il «carbure à l'énergie, au coup de sang, à la colère», invite à venir sur son divan plutôt «qu'à prendre des archicalmants» (2). L'homme s'offre entier. Doit-on alors regretter les masques dionysiaques du personnage ? Ils occultent, en effet, plus qu'ils ne le révèlent l'art singulier de l'architecte, son réel talent de constructeur, l'apollinisme de ses villas méditerranéennes ?

(1) Voir « Ricciotti (s) », la belle vidéo réalisée par Jean-Luc Charles pour l'exposition.
(2) Texte de R. Ricciotti dans le livre d'éric Lapierre : « L'architecture du réel » aux éditions Le Moniteur.


A lire : Codex, Rudy Ricciotti, by Paul Ardenne, édition Ante Prima/Birkhäuser, 160 x 215 mm, 288 pages (194 photos pleine page), 65,95 euros.

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