Profession architecte : quelle place pour les femmes ? Entretien avec Aurélie Cousi

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 02/01/2022

Aurélie Cousi

Article paru dans d'A n°295

Ces dernières semaines, le Palmarès des Ajap 2020 a suscité la polémique, notamment sur les réseaux sociaux. Malgré un jury majoritairement féminin, seules 2 femmes sur 27 architectes ont été désignées lauréates, soit 7,4%. Dans le prochain numéro de d’a (à paraitre ce 20 décembre), nous poursuivons la réflexion sur le sujet de la représentation des femmes dans la profession d’architecte. L’occasion d’interviewer Aurélie Cousi, présidente du jury, directrice, adjointe au directeur général des patrimoines et de l’architecture, chargée de l’architecture au Ministère de la Culture. Nous avons évoqué avec elle cette controverse mais également des pistes de réflexion pour faire évoluer ce prix qui atteste que le chemin vers l’égalité femmes/hommes est encore long. En attendant la sortie du numéro, nous publions ici l’intégralité de cet échange.

D’a : Le dernier palmarès des Ajap a suscité la polémique en raison de l’infime proportion de femmes récompensées : 7,4 %. Comment analysez-vous cette situation ?

Parmi les candidatures figurent 30 % de femmes alors qu’elles représentent plus de la moitié des étudiants dans les écoles et que la parité est quasiment atteinte chez les architectes de moins de 35 ans [NDLR : 48,1 %] inscrits à l’Ordre. Les prix sont le reflet de la profession, donc ce palmarès pose clairement question. Je trouve positif que tout le monde s’en empare. Lorsqu’il y a 25 % de femmes récompensées, cela ne choque personne. Lorsqu’il y en a 7,4 %, cela choque tout le monde. Tant mieux si cela peut faire bouger les lignes. Ce résultat n’est pas satisfaisant et interroge de manière plus globale la représentation des femmes dans les métiers de la maîtrise d’œuvre en nom propre, et plus globalement dans les métiers de l’architecture. Nous avons lancé mi-novembre un observatoire de l’économie de l’architecture et le sujet de la sociodémographie de la filière est important. La part des femmes dans la profession fait partie des sujets que nous allons explorer plus avant avec l’Ordre, les syndicats et l’ensemble de la profession.

 

D’a : Sur quels critères s’est basé ce jury majoritairement féminin pour établir son palmarès ?

Lors du jury, les critères étaient avant tout des critères de projet. Nous avons analysé les dossiers sur de purs critères de conception, de production et de ce que nous souhaitions raconter de la profession, des commandes et des pratiques à travers ce palmarès. Nous avons valorisé ce qu’il se passe dans les territoires, dans la ruralité, dans les petits centres-bourgs, à l’image de tout ce qui fait la politique de l’architecture et de l’urbanisme depuis quelques années. Également le recours aux matériaux locaux, aux techniques innovantes de construction. Il n’y a pas de raison que ces critères favorisent plus les hommes que les femmes.

 

D’a : Comment expliquez-vous que les femmes candidatent moins aux Ajap ? La limite d’âge n’est-elle pas discriminante pour elles ?

Autour de la trentaine, les femmes expriment plus que les hommes leurs difficultés à concilier vie familiale et professionnelle, en viennent à se désengager de fonctions de responsabilités dans les agences ou à se désinscrire de l’Ordre. Effectivement, il faut peut-être revoir ce critère de limite d’âge fixée à 35 ans. C’est probablement à ce moment que se crée une forme de dissociation entre les hommes et les femmes. 30-35 ans, c’est l’âge auquel on a des enfants et celui où s’opèrent des choix entre la vie privée et un métier qui est extrêmement exigeant.

 

D’a : Au-delà de la question de l’âge, quelles pistes envisagez-vous pour améliorer la situation ?

Face à ce résultat, nous avons décidé de regarder concrètement et précisément ce qui s’est passé. Nous allons lancer en janvier 2022 un groupe de réflexion réunissant des Ajap 2018 et 2020 pour comprendre si, au niveau des candidatures et des critères de sélection, il existe un biais genré. J’ose penser qu’il n’y a pas d’architecture genrée. Mais le fait est qu’avec nos critères, nous obtenons cette année une part de femmes qui est très faible et dont on ne peut se satisfaire.

Nous allons donc étudier toute la chaîne depuis les candidatures. Après la première phase d’expertise qui a retenu 63 dossiers d’architectes, 28 % des candidatures étaient féminines. Ce n’est donc pas à ce moment-là que cela s’est joué cette année.

Mais les proportions passent de 50 % de femmes de moins de 35 ans inscrites à l’Ordre à 30 % de candidatures féminines et à 7,4 % de lauréates. Nous devons comprendre pourquoi elles ne candidatent pas plus, puis faire une rétroanalyse afin de comprendre pourquoi, face aux critères du jury sur la qualité architecturale et la représentativité de la commande, il y a si peu de femmes. Très honnêtement, pour l’heure, je ne sais pas l’expliquer et je m’en désole. Ce palmarès pose de toute évidence la question de ce qui émerge lorsque le genre n’est pas un critère proactif.

Il faut parvenir à la parité dans les candidatures afin de dépasser ce plafond de 30 % qui devrait être à 50 %, soit en jouant sur l’âge, soit sur l’appel à candidatures. Il nous faut trouver le moyen de susciter plus de candidatures. Cette promotion très masculine des Ajap s’est sentie bousculée par cette question. J’espère que ce débat va les encourager à promouvoir les femmes au sein de leurs agences, à s’associer avec des femmes comme codirigeantes.

 

D’a : Ces prix sont certes le reflet de la profession, mais plutôt d’une manière parmi d’autres d’exercer la profession. Il existe d’autres voies que la maîtrise d’œuvre en nom propre, dans lesquelles les femmes sont d’ailleurs très présentes…

Je me pose plus globalement la question de savoir ce que nous valorisons de l’architecture. Nous travaillons beaucoup avec Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, sur la reconnaissance de la diversité d’exercice de la profession, sur la valorisation de ce que l’architecte apporte à la société. Il est vrai que nos prix valorisent plutôt des œuvres, la réalisation, la conception. Or, je pense qu’il nous faut également mieux mettre en avant le travail de l’architecte en médiation, en conseil, en maîtrise d’ouvrage… Il y a d’ailleurs plus de femmes en maîtrise d’ouvrage, des femmes qui font des choix de métiers différents, de postures autres vis-à-vis des collectivités, des donneurs d’ordre pour faire avancer la qualité architecturale. Nous souhaitons mobiliser l’observatoire de l’économie de l’architecture sur ce point. Car aujourd’hui, on ne sait pas bien mesurer la part des architectes, et notamment des femmes qui ne se dirigent pas vers l’inscription à l’Ordre, vers la HMONP, mais plutôt vers la maîtrise d’ouvrage. Ce sont tous ces métiers que nous devons valoriser, d’autant plus qu’ils ont un réel impact sur la qualité architecturale. C’est moins médiatique qu’une image d’architecture pour un prix, mais c’est aussi le rôle du ministère de la Culture de promouvoir l’architecte dans toutes les façons d’exercer.

 

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