Léa Casteigt, Atelier Boteko, Ajap 2020 |
Pour ce dernier
numéro de l’année, nous avons souhaité à nouveau interroger la place des femmes
au sein de la profession d’architecte. Le palmarès des Ajap 2020, quasi
exclusivement masculin (2 femmes sur 27, soit 7,4 %) atteste que les
choses n’avancent guère, même auprès des plus jeunes générations. Aller au-delÃ
du sempiternel constat, tâcher d’esquisser des éléments de réponses à cette
problématique complexe et multifactorielle nous semble néanmoins important pour
alimenter ce débat et ouvrir la discussion. Majoritaires dans les ENSA, les
femmes disparaissent quelques années plus tard des Ajap mais aussi de la tête
des agences. Il suffit d’observer le classement que nous publions dans les
pages suivantes pour constater l’évidence : elles sont tout simplement
sous-représentées, tout comme elles le sont dans les prix, les jurys et
l’enseignement. Dominé par les hommes, le système s’autoalimente et semble
malheureusement avoir encore de longues années devant lui. La prise de
conscience est le préalable de ce changement de paradigme qui s’opère sous
l’impulsion de celles et ceux qui souhaitent en finir avec ces inégalités.
N’est-il pas désespérant de voir que la cause avance si lentement, le palmarès
des Ajap n’étant qu’un exemple parmi d’autres ? |
Alors que l’on parle partout de l’inexorable féminisation de la profession,
le dernier palmarès des Album des Jeunes Architectes et Paysagistes 2020 a de
quoi nous laisser pantoises. Parmi les 241 dossiers reçus et examinés par
le jury, seules deux femmes ont été jugées à la hauteur d’en être sur les
27 architectes récompensés : Léa Casteigt de l’Atelier Boteko
– dont l’associé avait dépassé la limite fatidique des 35 ans –
et Camille Ricard, récompensée aux côtés de trois des quatre hommes qui compose
son agence MoonWalkLocal. Soit 7,4 % de femmes et aucune d’entre elles
n’est seule à la tête d’une agence. Avant de crier à l’injustice, encore
faut-il qu’elles aient candidaté autant que les hommes, et ce n’est pas le cas.
Parmi les 63 dossiers finalistes soumis au jury dans la catégorie
« architectes », 28 % étaient des femmes. Une proportion moindre
certes, mais que le jury n’a pas jugé bon de préserver, allant jusqu’à la
diviser par quatre. Un constat d’autant plus troublant que ledit jury1 comportait
cette année une grande majorité de femmes. Pour une fois – et c’est
suffisamment rare pour être souligné –, la faute n’est pas à chercher dans
le manque de parité de celles et ceux qui attribuent ces distinctions. Les femmes
ne seraient-elles donc pas représentatives de cette nouvelle génération
d’architectes ? Pas suffisamment talentueuses ? Pas à la
hauteur ?
Le palmarès, dévoilé en janvier 2021, en pleine période de couvre-feu,
n’avait sur le moment suscité aucune polémique. Quelques mois plus tard, la
photo des heureux élus posant côte à côte et l’ouverture de l’exposition
consacrée à leur travail à la Cité de l’architecture et du patrimoine rendait
visible le malaise. Est-ce anecdotique quand on sait les bénéfices liés Ã
l’obtention de cette distinction en début de carrière et, surtout, la charge
symbolique que véhicule cette valorisation ? Les réseaux sociaux se sont
emparés de la question, s’écharpant, chacun y allant de ses explications face Ã
ce triste constat. Un des lauréats de cette promotion 2020 a bien tenté
maladroitement de se défendre, lui et ses confrères, tantôt applaudis, tantôt
fustigés par celles qui y ont vu un parfait exemple de mansplaining. Une
illustration manifeste de la manière dont le sujet divise et qui n’est pas
encore acquis, y compris auprès de ces générations supposées plus conscientes
et éveillées sur ces questions que leurs aînés.
Quant au jury, il n’a pour l’heure pas réagi. Pour avancer les chiffres
cités ci-dessus, nous avons sollicité Aurélie Cousi, directrice, adjointe
au directeur général des patrimoines et de l’architecture, chargée de
l’architecture au ministère de la Culture, un poste attribué à des femmes
depuis de nombreuses années maintenant (voir notre entretien p.
1xx). L’occasion d’échanger sur cette évolution à la baisse, bien
malvenue en ces temps où la parité est enfin mise sur le devant de la scène.
Conscient du problème que pose ce palmarès, le ministère de la Culture a initié
un groupe de travail réunissant d’anciens Ajap afin d’analyser comment, en
2021, nous en sommes en arrivés là et, surtout, pour faire évoluer un prix qui
montre clairement ses limites en ce domaine.
Les femmes absentes des grands rendez-vous
Parmi les pistes évoquées, celle de la limite d’âge fixée à 35 ans,
évidemment discriminatoire pour les femmes. L’âge moyen du premier enfant en
France plaide pour ce constat. En 2020, selon les données de l’Insee, il
est de 30,8 ans lors de l’accouchement. Il est d’ailleurs édifiant de
mettre en parallèle le Prix des meilleurs diplômes de la Maison de
l’architecture d’Île-de-France et celui des Ajap. Dans le premier cas, les
femmes sont surreprésentées. Dans le second, elles ont disparu. Que s’est-il
passé durant les quelques années qui séparent ces deux prix et dont la cible
– « les jeunes architectes » – est la même ? La
question de savoir s’il existe des femmes architectes n’a plus lieu d’être,
bien que le métier se soit féminisé plus tardivement que l’ensemble des
professions libérales. En revanche, savoir où travaillent ces femmes
architectes est une interrogation à laquelle de nombreuses réponses se
superposent. D’autant plus que les années ne résolvent pas le problème, a fortiori dans
les grands rendez-vous de l’architecture. Créé en 1975, relancé en 2004, le
Grand Prix national de l’architecture a récompensé seulement deux femmes, Anne
Lacaton en 2008 et Myrto Vitart en 2016, toutes deux associées à un homme. Le
18 novembre 2021, à l’occasion de la clôture de la Biennale d’architecture
de Venise, une conférence revenant sur les vingt et un ans (1980-2021)
d’histoire de cet événement majeur réunissait un plateau 100 % masculin (Roberto
Cicutto, Paolo Baratta, Hashim Sarkis, Amerigo
Restucci et Luca Molinari), oubliant les femmes des
17 éditions passées. Et la bronca qui s’est ensuivie sur Twitter ne
résoudra pas le problème. On s’indigne et on passe au sujet suivant.
Une question lancinante donc : où sont les femmes ? Absentes des
générations précédentes (combien de femmes célèbres entre Jean Nouvel,
Dominique Perrault, Christian de Portzamparc ?), les femmes ne seraient
donc pas non plus représentatives de la nouvelle scène ? Il y a de quoi
s’inquiéter. Le collectif Architoo est né en 2020, à l’initiative d’une
quarantaine d’enseignantes chercheuses des écoles d’architecture et de paysage
en France. Leur objectif est de lutter pour l’égalité et la diversité dans les
écoles où les femmes, majoritaires dans les étudiantes, sont largement
sous-représentées dans le corps enseignant. Face au palmarès des Ajap, Architoo
n’a pas manqué de réagir dans un texte2 publié sur le site de
la revue électronique Métropolitiques : « Il est
désormais urgent d’interroger les modèles et les figures de la profession
d’architecte qui sont transmis à travers ce prix. La sélection des Ajap n’est
pas sans conséquences pour l’avenir de la profession, en termes de
représentation comme en matière de renouvellement des pratiques et de transmission
des savoirs au sein des lieux d’enseignement. Au vu de la portée, de la
consécration et de la dimension publique qui la sous-tendent, l’organisation
des Ajap doit se pencher sur cette distorsion. Elle doit revoir son processus
de sélection afin de ne pas privilégier un genre plutôt qu’un
autre […]. Il est urgent d’ouvrir les yeux et d’enquêter avec
précision sur les causes d’un phénomène qui, quelle que soit la profession,
valorise les hommes au détriment des femmes. Il est surtout urgent d’agir afin
de faire évoluer la représentation de la place des femmes et des hommes dans
l’architecture, au bénéfice de tous et toutes ! »
La maternité est-elle un handicap ?
La formation professionnelle continue (FPC) est une formation spécifique
destinée aux étudiants qui, depuis de nombreuses années déjà , évoluent dans le
monde professionnel. Ils sont de fait plus âgés et souvent parents. Durant
quatre années leur sont dispensés des cours compatibles avec leur emploi du
temps jusqu’à l’obtention du diplôme d’État d’architecte. À l’ENSA Nantes,
trois femmes et douze hommes composent la promotion actuelle des étudiants en
master 1 de FPC. Suite à la formulation orale de ce constat, un des
étudiants assène avec ferveur : « Mais c’est normal ! »
« Mais pourquoi donc ? » lui rétorque-t-on. Réponse de
l’intéressé : « Cela demande quand même énormément d’investissement,
les femmes n’ont pas la possibilité de le faire avec les
enfants. » En 2007 lorsque Ségolène Royal annonce sa
candidature à l’élection présidentielle, Laurent Fabius demande :
« Mais qui va garder les enfants ? » On avait
grossièrement imaginé qu’il s’agissait d’une réflexion de boomer.
Malheureusement, même les plus jeunes reproduisent ces réflexes patriarcaux. En
2021, une femme ne peut manifestement pas reprendre ses études/avoir un métier
chronophage/être ambitieuse et être une mère de famille investie.
Tous les deux ans, archigraphie3 dresse un état
des lieux de la profession. Cette année, un chapitre entier de l’étude est
consacré à la place des femmes au sein de celle-ci. Dans l’éditorial qui
introduit cette étude riche d’enseignements, Elizabeth Gossart,
conseillère nationale de l’Ordre des architectes, écrit : « La féminisation de la profession
se poursuit. En près de vingt ans, la part des femmes est passée de 16,6 %
à 30,7 %, cette augmentation touchant notamment la tranche d’âge des moins
de 35 ans. C’est pourquoi, nous avons souhaité pour cette nouvelle édition
faire un zoom, à partir d’une enquête spécifique conduite par le CRÉDOC, sur la
place des femmes au sein de la profession, en examinant l’évolution de leurs
effectifs et de leur parcours professionnel, ainsi que leur perception des
inégalités. Si la situation s’est un peu améliorée, clairement, la marge de
progrès reste importante qu’il s’agisse des revenus, des pénalités liées à la
maternité (absence de revalorisation salariale, de prime, carrière bloquée) ou
du montant des pensions de retraite. » Elles sont donc désormais un tiers
à être inscrite à l’ordre, cette proportion s’élevant à 48,1 % chez les
moins de 35 ans (23 % pour les 55-64 ans). Elles sont néanmoins sous-représentées à la tête des
agences françaises (28,4 % des associés sont des femmes). Il existe
également d’importantes disparités régionales, la Corse, la Nouvelle-Aquitaine
et la Bretagne se partageant le podium des régions où les femmes sont les plus
représentées.
L’étude archigraphie interroge : « Avez-vous
réduit votre temps de travail pour vous occuper de vos enfants ? » 40 %
des femmes répondent oui, contre seulement 18 % des hommes. « Réduire
votre temps de travail » ou accepter un poste à moindre responsabilité ou
ne pas créer son agence ou refuser un poste à responsabilité. Quelle que soit
la manière dont est interprétée cette question, le constat est le même, la
maternité est peu compatible avec la manière dont les architectes libéraux
exercent généralement leur métier aujourd’hui, la tradition de la charrette
étant toujours bien présente face au mythe d’une situation prétendument
assainie. On sait que la charge mentale incombe toujours davantage aux
femmes dans notre société patriarcale et cet état de fait n’est pas
nécessairement subi par les femmes, il peut aussi être choisi par elles. En
2021, faire des enfants et décider de les élever soi-même est un choix assumé
par beaucoup d’entre nous, au risque de voir une carrière ralentie ou de passer
à côté de postes à responsabilités. De fait, la problématique est systémique.
Comment avoir sa propre agence et être à 18 heures à la crèche ?
Comment avoir sa propre agence et choisir l’allaitement long ? Comment
concilier un rendu de concours et un enfant malade ? On pourrait égrener
une longue liste de questions sans jamais trouver de réponse.
Les enfants n’ont-ils pas un père ?
Pourtant, dans la majorité des cas, les enfants n’ont-ils pas un
père ? Depuis le 1er juillet 2021, le congé paternité est
de vingt-huit jours. C’est une grande avancée mais est-ce suffisant ?
Moins de 1 % des pères prennent un congé parental à temps plein après la
naissance de leur enfant, contre près de 14 % pour les mères, rapporte une
étude publiée en avril 2021 par l’Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE, dépendant de Sciences Po Paris). Toujours selon archigraphie, 43 %
des femmes s’estiment pénalisées sur le plan professionnel par le fait d’avoir
eu des enfants, contre 8 % des hommes. Nous nous sommes amusés Ã
poser la question suivante aux architectes ces dernières semaines :
« Qui quitte l’agence en milieu de journée quand il faut aller chercher un
enfant fiévreux ? » On vous laisse deviner la réponse de ce constat
dénué de toute valeur scientifique.
Autre élément d’explication, l’architecture est de toute évidence une
profession où la constitution d’un réseau est importante notamment au
démarrage. Or, ce temps informel qui permet de construire une carrière s’opère
généralement après la journée de travail, lors des vernissages ou des
dîners en ville, à l’heure où les femmes sont plongées dans le tunnel
bain-repas-coucher.
Autre levier, celui de l’économie. S’il est un état de fait que partagent
les hommes comme les femmes, ce sont les conditions économiques extrêmement
délicates pour qui souhaite créer son agence. De l’aveu de toutes et tous, il
est impossible de gagner correctement sa vie au départ, tout comme il n’est pas
envisageable de travailler 35 heures. Si ce constat est partagé, les
femmes sont à nouveau les premières touchées puisque travailler nuit et jour en
ayant une vie de famille reste toujours la pierre d’achoppement de la
profession. Majoritaires dans les ENSA, seraient-elles donc
ailleurs ? Dans d’autres voies que celles de la maîtrise d’œuvre qui leur
permettraient notamment de jongler plus facilement entre vie professionnelle et
vie privée ? Face à cette situation qui peut apparaître comme une impasse,
les femmes choisissent d’autres formes d’exercices, pour des systèmes
juridiquement plus cadrés qui leur assurent la possibilité de mener de front
vie privée et professionnelle. On les retrouve ainsi dans les institutions,
en maîtrise d’ouvrage, dans les collectivités, mais aussi dans le
fonctionnariat, un phénomène encore difficile à traduire par des données
chiffrées.
La charge symbolique des prix
Quelle que soit l’estime ou l’importance qu’on leur porte, les prix participent
de la reconnaissance, de la représentativité de la profession et donc de la
visibilité des architectes. Lorsqu’une femme est récompensée, c’est coup
double. Elle voit son travail légitimé mais aussi son statut de femme affirmé
sur une scène à dominante masculine. Le Prix des Femmes Architectes apparaît
comme semble acter l’acmé de cette situation déséquilibrée, l’existence même de
ce prix légitimant un état de fait : « Ce prix a pour but de mettre
en valeur les œuvres et les carrières de femmes architectes, afin que les
jeunes femmes architectes puissent s’inspirer des modèles féminins existants,
et d’encourager la parité dans une profession à forte dominante
masculine », indique l’ARVHA, instigateur du prix. Soit. Isoler les femmes
d’une compétition semble un préalable hautement discutable, légitimant en guise
de postulat initial qu’hommes et femmes, en matière d’architecture, ne
joueraient pas dans la même cour. De fait, on peut s’interroger sur ce prix
dédié qui aurait comme effet contreproductif de permettre aux autres de
s’affranchir de cette question. Peut-être le combat sera-t-il gagné le jour où
ce prix n’aura plus raison d’être.
Prix autrement plus prestigieux, le Pritzker Prize n’a pas vraiment de
leçon à donner. Si Anne Lacaton est cette année corécipiendaire avec
Jean-Philippe Vassal, elle est seulement la sixième femme Ã
être récompensée, après Zaha Hadid (2004), Kazuyo Sejima (2010), Carme Pigem
(2017) et Yvonne Farrell et Shelley McNamara (2020) depuis la création du prix
en 1979. Dans le même temps, 44 hommes ont reçu la prestigieuse
distinction, Denise Scott Brown ayant tout bonnement été évincée du tandem
qu’elle formait avec Robert Venturi, récompensé seul en 1991. Manque de
modèles ? Découragement avant même d’avoir commencé tant le paysage ne
laisse que peu d’espoir ? C’est aussi une des causes avancées pour
expliquer ces disparités. Peu de femmes dirigent leur agence seule et en nom
propre en France. Il suffit d’observer le classement des agences d’architecture
par chiffre d’affaires que nous publions dans ces pages. Il nous faut remonter
à la place 48 pour voir la première femme figurer dans le nom de l’agence,
en l’occurrence Pascale Dalix, associée à Frédéric Chartier. Et à la place 182,
pour trouver la première à exercer seule en nom propre : Gaëlle Péneau.
Inégalité systémique
L’absence de parité commence très en amont, dès l’école (voir
« Vous reprendrez bien un peu de femmes ? », p. 71).
L’inégalité dans le corps enseignant où les hommes sont largement majoritaires
– environ 70 % et jusqu’à 75 % dans le champ du projet –
produit un système qui forme le creuset de ces disparités. Ce manque de modèles
dès l’école empêche certaines de se projeter. Anne Labroille,
architecte-urbaniste et cofondatrice de l’association MéMO (Mouvement pour
l’équité dans la maîtrise d’œuvre) intervient régulièrement dans les ENSA pour
sensibiliser étudiantes et étudiants sur ces questions de discrimination et
d’égalité femmes-hommes dans les métiers de l’architecture, du paysage et de
l’urbanisme. Ce travail de terrain est l’occasion d’échanges salutaires avec
celles et ceux qui feront l’architecture demain.
Corollaire de ce déséquilibre, cette domination masculine de la profession
se traduit également par des attitudes sexistes, du harcèlement moral et des
propos graveleux auxquels sont confrontées les étudiantes dans les ENSA.
Architoo a publié un manifeste en 2020, dénonçant cette situation :
« Décrypter et objectiver ces actes et procédés, c’est déconstruire les
stéréotypes et les rôles assignés, c’est donner les ressources et les outils
pour agir », résumait le collectif. Cette sensibilisation dès l’école
est un levier essentiel pour faire évoluer les mentalités et mettre en place
les conditions d’une équité possible très en amont puisque ces inégalités
systémiques se perpétuent tout au long de la vie professionnelle.
Qu’en est-il des écarts de salaire ? Depuis le mercredi
3 novembre 2021, 9 h 22, les femmes toutes professions
confondues travaillent gratuitement. Établie par l’Office européen de statistiques
Eurostat, cette donnée symbolique traduit néanmoins l’inégalité salariale entre
les hommes et les femmes, estimée à 16,5 % en 2021 (contre 15,5 % en
2020). L’architecture n’échappe pas à la règle. Toujours selon l’étude archigraphie
2020, la profession creuse encore plus cette inégalité salariale. Le
revenu moyen des femmes (mais pas nécessairement à statut égal) exerçant
dans le champ de l’architecture en 2018 est de 33 300 euros, tandis
que celui des hommes est de 54 916 euros, soit une différence de
40 %.
Où sont les hommes ?
Si la cause avance, le combat est encore devant nous. En décembre 20184, d’a consacrait
un dossier à la question du féminisme en architecture, dossier qui actait du
manque d’équité criant entre hommes et femmes. « Ce n’est pas qu’une
affaire de femmes puisque nous sommes collectivement impliqués dans les
réflexions et les débats quant à l’évolution de notre profession et la
fabrication de nos villes », résumait Stéphanie Dadour, autrice de ce
dossier. Car malheureusement, on entend peu d’hommes s’exprimer sur le sujet.
Ils ne sont pas toujours conscients de ces inégalités, allant parfois jusqu’Ã
les balayer d’un revers de la main. Puisque,
pour l’heure, ce sont toujours les femmes qui assument la grossesse et
l’allaitement, l’équité n’est pas pour demain.
Ne faudrait-il pas plutôt envisager le problème dans l’autre sens et
revenir à des problématiques échappant au genre ? Pourquoi l’architecture
impose-t-elle un tel rythme de travail ? Ne faudrait-il pas encourager
d’autres manières d’exercer ce métier ? La charrette, culturelle et
systémique, est-elle réellement inévitable ? Les femmes n’ont pas attendu
que la révolution vienne de la gent masculine. Elles se dirigent massivement
vers des postes qui leur permettent d’exercer l’architecture autrement. Car si un
médecin libéral ou un avocat a le contrôle de son emploi du temps, un
architecte, beaucoup moins. Le tempo est donné par les échéances de rendus, sur
lesquelles il n’a pas le pouvoir.
C’est donc le système tout entier qu’il faudrait revoir et en particulier
la manière dont les architectes, hommes et femmes, sont traités et acceptent
l’inacceptable. Et notamment cette culture de la charrette aux conséquences
multiples. Cette façon d’exercer ne devrait pas être la seule
option. Mais soyons optimistes, les nouvelles générations ont beaucoup Ã
apprendre à leurs aînés. Ces modèles archaïques devraient, sinon s’éteindre,
largement diminuer. Les nouvelles configurations familiales, de couples ou
encore l’absence de désir d’enfants chez les jeunes générations pourraient
rebattre les cartes et ouvrir la voie à une parité accrue. De même que les
jeunes générations refusent de sacrifier leur vie personnelle et inventent
d’autres façons d’exercer le métier, insufflant un peu plus d’équilibre dans
une profession où les salariés ont longtemps été corvéables à merci. Les
paroles se délient, les femmes s’expriment, il était temps. C’est une première
étape. Le sujet doit désormais prendre une réelle dimension politique pour être
enfin suivi de faits. Une révolution dans laquelle les hommes ont également un
rôle à jouer, sans craindre pour leur pré carré. Ils ont au contraire tout à y
gagner.
1. Composition du jury du concours des Ajap 2020, présidé par la ministre
de la Culture, représentée par Aurélie Cousi, directrice de l’architecture,
adjointe au directeur général des patrimoines et de l’architecture ;
présidents associés : Jacqueline Osty, paysagiste, Grand Prix national du
paysage 2018 et Grand Prix national de l’urbanisme 2020, coprésidente pour les
paysagistes et Pierre-Louis Faloci, architecte, Grand Prix national de
l’architecture 2019, coprésident pour les architectes. Membres : Sylvie
Adigard, journaliste, Télématin, Denis Dessus, président du Conseil
national de l’Ordre des Architectes (CNOA), représenté par Roland Marques,
conseiller national, Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de
l’Aménagement, du logement et de la nature (DGALN), ministère de la Transition
écologique, représentée par Anne Vigne, directrice du programme
« Réinventons nos cœurs de ville » au Plan urbanisme construction
architecture (PUCA), Élise Giordano, architecte, Ajap 2018, Jérôme Goze, PDG de
La Fabrique de Bordeaux Métropole, Léa Hommage, paysagiste, Ajap 2018,
Anne-Sophie Kehr, présidente du Réseau des maisons de l’architecture,
Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité de l’architecture et du
patrimoine, Jean-Baptiste Minnaert, directeur du Centre André Chastel,
laboratoire de recherche en histoire de l’art, Alfred Peter, paysagiste,
Nathalie Régnier-Kagan, architecte, professeure à l’ENSA Paris-Val de Seine,
Laurent Roturier, directeur régional des Affaires culturelles d’Île-de-France,
Joanne Vajda, architecte, professeure à l’ENSA Paris-Malaquais.
2. « Où sont les femmes ? L’égalité selon les Albums des jeunes
architectes et paysagistes (Ajap) », Collectif Architoo, Métropolitiques.
3. archigraphie 2020, observatoire de la profession d’architecte,
Ordre des architectes, 2020.
4. « L’architecture et la question féministe », Stéphanie
Dadour, d’a n° 268, décembre 2018-février 2019.
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