Maubeuge, capitale européenne du déclassement culturel 2015

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 04/03/2015

Maquette de travail de réhabilitation de l'Arsenal de Maubeuge pour accueillir le Centre Pompidou provisoire

Article paru dans d'A n°233

Si l’histoire de l’architecture est en partie faite de projets abandonnés ou de bâtiments dont l’achèvement s’est prolongé bien au-delà des espoirs de ses auteurs, le phénomène s’est considérablement aggravé ces dernières années. Le Centre Pompidou provisoire à Maubeuge est l’une des nombreuses victimes de ce dysfonctionnement. Douloureuse, la frustration des auteurs de ces projets n’est pourtant rien à côté de la gabegie financière de ces mésaventures et de ce qu’elles trahissent de la valeur de nos politiques culturelles.


L’abandon du projet de Centre Pompidou provisoire à Maubeuge, alors que son chantier démarrait deux années après son lancement, témoigne d’un problème désormais si fréquent en France que nombre d’acteurs de la construction paraissent résignés à cette ubuesque situation. À l’automne dernier, c’est le musée des Beaux-Arts de la ville de Reims qui était abandonné par la nouvelle municipalité, là aussi au moment où le chantier allait démarrer. Après un concours lancé en 2011 et réunissant 139 équipes, le projet du Britannique David Chipperfield avait été choisi. Un musée de 55 millions d’euros pour 11000 m2. Cinq millions d’euros d’études y sont engloutis, l’abandon étant justifié par la nécessité de reconstruire une patinoire et une piscine. 


À Toulouse et à Montpellier, ce sont les projets de la Maison de l’image du musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie qui ont été enterrés après les municipales du printemps 2014. Il faut dire que certains élus n’hésitent pas à lancer des opérations sans s’être préalablement assuré de leur pertinence politique ou de leur faisabilité financière. Cette irresponsabilité n’engendre pas seulement une perte de temps : elle a un coût. À l’heure ou État et collectivités se voient contraints de faire des économies budgétaires, notamment dans la culture, ces dépenses inutiles se révèlent particulièrement indécentes. Les conséquences de cette incompétence sont aggravées par un phénomène qu’architectes et entreprises du bâtiment ne connaissent que trop bien : l’effet délétère du calendrier électoral auquel se conforment les chantiers. Au mépris de leur logique économique et technique, beaucoup d’opérations – même celles déjà en chantier – sont remises en cause après chaque changement d’équipe municipale ou régionale. Les élus n’hésitent pas à abandonner des projets dont ils ne peuvent revendiquer la paternité. 


Quand les projets ne sont pas brutalement abandonnés, les arrêts successifs de leur mise en Å“uvre et les modifications de programme entraînent d’importantes augmentations des coûts. En multipliant les intervenants et donc les sources de financement, la régionalisation a aggravé ces blocages. Beaucoup de projets sont lancés sans que la question des budgets de fonctionnement ne soit réglée. État, région, agglo et municipalité s’accusent alors mutuellement de faire capoter les opérations. Si l’incompétence de la commande publique n’explique pas toutes les dérives budgétaires du musée des Confluences à Lyon (de 61 à 364 millions d’euros !) ou de la Philharmonie de Paris (de 118 à environ 300 millions d’euros de coût de travaux), elle en est très majoritairement responsable. D’autres projets, malgré leur sobriété budgétaire, comme l’arsenal de Maubeuge (5,8 millions d’euros pour 5500 m2 de surface brute), ont été définitivement abandonnés. Depuis son lancement, près de 1 million d’euros avait pourtant déjà été dépensé : élaboration d’un programme, consultation, études de la maîtrise d’œuvre et dédommagement pour l’entreprise ayant remporté l’appel d’offres. 


Au-delà des conséquences financières générées par ces médiocres conflits politiciens, l’échec du Centre Pompidou provisoire de Maubeuge est malheureusement emblématique de politiques qui ne parviennent plus aujourd’hui à inscrire la culture au sein d’une vision englobant le développement à la fois économique, social, urbain et paysager. Les décisions paraissent désormais davantage fluctuer au gré des opportunités personnelles. Maubeuge a été une des premières villes françaises touchées par la désindustrialisation à la fin des années 1970. Perdant le quart de ses emplois en quelques années, elle s’est paupérisée et sa situation sociale s’est fortement dégradée. L’implantation d’une antenne d’un des plus célèbres musées d’art contemporain au monde – 3000 m2 d’espace d’exposition pour seulement 5,8 millions d’euros – est une aubaine à laquelle beaucoup de villes auraient rêvé. Rappelons que le Centre Pompidou-Metz a coûté 65 millions d’euros avec un budget de fonctionnement annuel de près de 12 millions. Ne peuton par ailleurs s’interroger sur cette impuissance publique alors qu’une fondation privée – LouisVuitton – a su aligner 900 millions d’euros pour abriter ses collections d’art dans le bois de Boulogne, à deux pas de Neuilly, une des villes les plus riches de France. Avec ce budget au mètre carré, Maubeuge aurait pu reconstruire 75 fois son arsenal. 75 fois…


VIE ET MORT D’UN PROJET CULTUREL


En juin 2010, dans le cadre de la programmation « Maubeuge 2015, capitale régionale de la culture », l’agglomération de Maubeuge-Val de Sambre, dont le président, Rémi Pauvros, est aussi maire de Maubeuge, décide de reconvertir le vieil arsenal du centre-ville en centre d’art. Ce bâtiment long de 103 mètres et haut de 15 mètres est amarré perpendiculairement à la Sambre en limite du centre-ville. En 2015, la ville de Mons, en Belgique, à 20 kilomètres au nord-est, sera capitale européenne de la culture ; l’idée est de tirer parti de cet événement pour redynamiser Maubeuge. Après le choix de Lens pour accueillir l’antenne du Louvre, Arras, Valenciennes et Maubeuge veulent elles aussi exister sur la carte culturelle des villes du Nord-Pas-de-Calais et cherchent ensemble des synergies. Le consultant culturel de Rémi Pauvros est Didier Fusillier. Enfant du pays, ce dernier est à la fois directeur de la Maison des arts de Créteil, de la scène nationale du Manège à Maubeuge et de Lille3000. Une consultation est organisée entre cinq équipes d’architectes et, en décembre 2012, le tandem formé par les Liégeois de l’atelier d’architecture Pierre Hebbelinck et les Lillois Hart-Berteloot est retenu. Après une annulation de concours, un nouveau concours, un recours solidaire de quatre équipes et une annulation… de la première annulation, le travail pouvait commencer.



L’ARRIVÉE DU CENTRE POMPIDOU


 Les délais sont courts et les architectes sont déjà en train de boucler leur avant-projet sommaire, lorsqu’en juillet 2013 le Centre Pompidou manifeste son intérêt pour l’Arsenal de Maubeuge. Après l’expérience mitigée du Centre Pompidou-Metz, dont la gestion est difficile, le centre a développé le concept de « Centre Pompidou mobile » avec l’atelier Construire (Patrick Bouchain et Loïc Julienne). Stimulante, l’expérience est néanmoins coûteuse pour les villes où s’installe le barnum muséal.

Les coûts excessifs proviennent moins de l’architecture que des problèmes de sécurité et de gestion des équipes sur place, peu habituées au système forain. Naît alors l’idée de « Centre Pompidou provisoire » : des équipes du centre et leur collection investissent des lieux pour quatre années au moins. Malaga – en Espagne – et Maubeuge doivent accueillir les deux premières expériences. Les architectes adaptent alors rapidement leur projet initial pour se conformer aux normes de sécurité internationales exigées par les collections du Centre Pompidou. Le budget passe ainsi de 3,5 à 5,8 millions d’euros. À titre de comparaison, sachant qu’aucun programme n’est exactement comparable dans le rapport surfaces d’exposition/surfaces totales (administration, auditorium ou réserves) et dans le rapport du neuf par rapport à de la transformation, le prix au mètre carré de l’Arsenal de Maubeuge est de 1800 euros/m2 , alors qu’il est 5300 euros pour le Louvre-Lens et 3400 euros pour le musée-atelier du verre de Sars-Poteries, à 20 kilomètres de Maubeuge.

 

LE TÉLÉPHONE NE RÉPOND PLUS


En février 2014, a lieu la première réunion de chantier avec l’entreprise adjudicatrice. À partir de cette date, la maîtrise d’ouvrage – l’agglomération Maubeuge-Val de Sambre – ne donne plus aucun signe de vie, n’envoie plus les ordres de service à l’entreprise. Il semble que la ville et la région n’arrivent pas à se mettre d’accord pour boucler le million de budget annuel de frais de fonctionnement. Aux élections municipales de mars 2014, le maire socialiste Rémi Pauvros est battu par l’UDI-UMP Arnaud Decagny. Daniel Percheron, président socialiste du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, qui vient de débloquer 45 millions pour un nouveau stade de football à Lille, refuse l’aide financière de la région. Fin décembre 2014, après dix mois de silence, les architectes reçoivent une lettre qui leur annonce l’abandon du projet et la résiliation de leur contrat. Dans quelques mois, le Centre Pompidou-Malaga accueillera ses premiers visiteurs avec une exposition consacrée aux portraits.


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