Martin Szekely, designer du subtantiel

Rédigé par Karine DANA
Publié le 03/04/2018

Vue d'ensemble de l'étagère "Construction" avec Martin Szekely de dos, 2015, bambou et laiton

Article paru dans d'A n°261

Dans l’ancienne prison Boulan, qui servait jusqu’alors de réserves au musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux, sont présentées du 26 avril au 16 septembre prochains une quarantaine d’œuvres du designer Martin Szekely sélectionnées suivant un titre-thématique transversal : « Construction ».

Six ans après la dernière exposition phare du designer au Centre Pompidou intitulée « Ne plus dessiner », qui marquait une forte volonté de revenir à un état primal du meuble, l’exposition « Construction » organisée par le madd-bordeaux s’attache à présenter le travail de Martin Szekely comme une recherche constante d’élémentarité et de justesse. « Nous voulions montrer aux visiteurs l’importance de l’œuvre de Szekely, très peu connu du grand public, sans pour autant être rétrospectif. « Construction » est un thème transversal à toute sa démarche qui est de l’ordre de la concentration et de la moins-disance. À force de remonter à l’essence même de toute pièce de mobilier, d’aller jusqu’aux limites de ce que peut apporter un matériau, d’atteindre une telle précision dans la conception de chaque plan, il se dégage une beauté accessible à tous, portée par l’efficacité constructive », nous explique Constance Rubini, commissaire de l’exposition et directrice au musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux.

 

            Sélectionnées pour mettre en évidence cette approche, les œuvres choisies sont scénographiées par le designer lui-même dans ce nouveau lieu d’exposition qu’est l’ancienne prison Boulan, située à l’arrière de l’hôtel de Lalande où se trouve le musée. Les œuvres qui appellent le plus de modularité et d’extensivité sont situées dans les cours centrales : les pièces Opus (2016), Unit (2011), Construction (2015) ou encore Heroic Shelves 365 (2009) y sont exposées en très grande dimension. Dans les cellules jouxtant ces volumes, des pièces plus circonscrites telle que la chaise Cornette (autour de 1978), la chaise Cork (2000), Manière Noire (2013) ou l’Armoire (1999). Dans l’une des alvéoles également, la pièce The Drawers and I – un grand mur de collections, constitué uniquement de tiroirs superposés et juxtaposés de différentes profondeurs  vient tout juste d’être produite par Szekely. Tirant parti de la rudesse d’espaces encore non réaménagés, le designer s’est attaché à montrer son mobilier de manière franche et directe, créant ainsi une relation d’immédiateté avec le public : des pièces telles quelles dans un lieu tel quel. « Il y a une quête d’essentialité dans le travail de Szekely qui cherche à aller au plus près de la définition d’une table, d’une chaise, d’une étagère en gommant tout superflu. Cette condition extrême fabrique une dimension ornementale intéressante, non décorative mais issue des assemblages et des contrastes de surfaces », ajoute la commissaire. Elle précise que le travail du designer sur ses nombreuses pièces développées avec des industriels, tel que le verre Perrier ou le mobilier JCDecaux, sera également présent, hors les murs de cette exposition, celle-ci étant plus précisément dédiée à ses expérimentations pour des galeries.

 

Plage de silence

Cette recherche intime, au plus près de l’acte de fabriquer, conduit le designer à jouer avec cet essentiel. « Refroidir, ce pourrait être un mot d’ordre en ces temps de surchauffe où tout semble vouloir – et devoir – solliciter les sentiments, les sensations et l’affect. N’aurions-nous pas, au contraire, de plage de silence et d’espace pour le retrait ? Les meubles, par leur nature ordinaire, remplissent parfaitement ce rôle. C’est ce rôle que je rappelle : je mets en évidence leur origine, leur définition, leur mise en œuvre et leur destination », dit Martin Szekely. Son approche du monde par soustraction est une manière de revenir à l’essentiel, au fragile, mais aussi d’introduire de l’inquiétude dans les positions d’équilibre, de risquer par la matière.

 

Cette attitude est particulièrement lisible dans ses réalisations d’étagères qui expriment les lois du contreventement. Chacun des assemblages engendre un pas, un décalage, un triangle laissé visible, et chaque plan traduit un état de souplesse, de minceur et de légèreté issu d’une quête d’optimisation absolue de la matière. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le designer s’intéresse de près aux matériaux composites : « Dans le passé, les objets étaient le plus souvent soit mono-matières (terre, cuir, bois, pierre…), soit faits de matériaux juxtaposés ou assemblés. Ces dernières années a eu lieu une révolution : l’avènement de la colle, qui a permis d’envisager les “matériaux composites” (fibre de carbone et résine, nid-d’abeilles en aluminium et feuilles d’aluminium, plâtre haute densité, latté de bambou…). Un matériau composite surpasse en solidité la résistance de chacun de ses composants pris isolément. De leur cohésion résulte un matériau inédit, pourvu de qualités nouvelles. Cela revient à envisager une infinité de possibilités pour chacun des cas. Ainsi, nous pouvons penser le matériau en fonction de l’objet à réaliser, et non plus adapter l’objet au matériau existant, ce qui modifie en profondeur l’approche du projet », explique Martin Szekely à Constance Rubini lors d’une conversation épistolaire provoquée pour l’occasion, et qui constituera une pièce maîtresse du catalogue Construction associé à l’exposition du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux.

 

 

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