l’appartement de Jannick Thiroux. Quand l’intérieur du collectionneur s’apparente lui-même à une installation, les pistes se brouillent. Dans la salle à manger, Passages, de Florence Doléac (2002), chaises de Robert Wilson, sculpture d’Eric Dietman |
Entre monstration, démonstration et partage, l’espace privé du collectionneur oriente l’histoire de l’art et la muséographie. Quand Daniel Bosser, Jannick Thiroux, Marc et Josée Gensollen façonnent leur cadre de vie autour de l’art contemporain en appartement ou dans une ancienne filature, la sphère domestique nuance la tyrannie du white cube. Si la mise en espace illustre leur relation aux œuvres et au parcours des artistes, l’architecture donne le ton. |
Avec « L’intime, le collectionneur derrière la porte », l’exposition inaugurale d’Antoine de Galbert, Paula Aisemberg et Gérard Wajcman à la Maison rouge à Paris en 2004, montrait comment l’art contemporain s’immisçait chez les collectionneurs. Le remarquable livre de Nadia Candet, Collections particulières, 150 commandes privées d’art contemporain en France, nous y entraîne à nouveau et révèle comment ces commandes s’inscrivent dans des univers contrastés.
Lieu interactif, l’intérieur du collectionneur est aussi celui du critique d’art Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000). En juin 1981, il vida son loft parisien et invita les jeunes peintres de la Figuration libre à y exposer. En transformant radicalement la scène artistique, il permit à Combas, Boisron, Alberola, Di Rosa et Blais d’être repérés. Au moment où les musées se disputent mécènes et visiteurs, les collectionneurs, qui ont nourri pendant des siècles les collections publiques, tendent désormais à créer leur propre fondation en sollicitant les grands noms de l’architecture. En contraste avec ces lieux si fréquentés, l’espace privé du collectionneur jouit d’une nouvelle aura. Il renoue avec la quiétude contemplative et l’esprit de partage des cabinets de curiosité créés jadis par des mécènes et des humanistes, de Manfredo Settala en Italie à sir John Soane à Londres, qui réservaient certaines pièces de leur habitation à la conservation et à l’exposition d’œuvres et d’objets. La spatialité de ces cabinets eut un impact décisif sur l’architecture des musées. Aujourd’hui, pour les collectionneurs et les architectes, l’art contemporain n’est pas incompatible avec la domesticité. Celle-ci revient d’ailleurs par ricochet dans les musées quand la scénographie de l’exposition « Coollustre » d’Éric Troncy pour la collection Lambert en Avignon délaisse les parois neutres du white cube pour renouer avec l’idée de superposition et de mélange. « Regardeurs fertiles », ces amateurs éclairés ancrés dans leur époque inventent des atmosphères pour des œuvres qu’ils côtoient au quotidien.
Jannick Thiroux, 100 mètres carrés, immeuble de Jean Dubuisson, Paris XVIIIe.
Jannick Thiroux a eu très tôt l’œil pour repérer des artistes comme Sigurdur Arni Sigurdsson, Erik Dietman ou Claude Lévêque. Entre coups de cœur et découvertes, il a réuni 300 pièces, sculptures, dessins, photos et objets. Conseil et enseignant en cosmétologie, il habite boulevard Ney à Paris, dans un immeuble construit par Jean Dubuisson. Il a choisi un lieu dans lequel il pourrait faire entrer des œuvres d’art choisies et vivre en famille, en parfaite osmose avec sa collection et dans une architecture qu’il aime. Comment l’appartement familial se plie-t-il aux exigences du jeune collectionneur ? « Je vis dans mon siècle avec l’état d’esprit d’un homme qui connaît bien les styles et s’affranchit du passé. L’architecture de Dubuisson étant admirablement pensée, je n’ai rien changé. Elle m’offre une série de boîtes blanches géométriques, des vues sur jardin, la lumière, la fonctionnalité et une enfilade de balcons. » Dans cet appartement de cinq pièces à la fois intimiste et ludique, l’accrochage change deux fois l’an. Il joue du contraste entre accumulation et sélection d’œuvres. Dans la salle à manger et le salon, Passages, de Florence Doléac, est une œuvre de commande : clin d’œil aux enfilades des grands appartements des collectionneurs du XVIIIe siècle, six portes énigmatiques se font face. Depuis le balcon, c’est un portrait fantomatique qui se dévoile en clair-obscur. « Seuls entrent ici des objets conçus par des artistes, des designers ou des architectes : fauteuils de Kuramata, Ron Arad ou Frank Gehry, chaises de Robert Wilson… Ce lieu qui a ses lois nous a notamment incités à choisir des moquettes signées par des créateurs tels que Garouste et Bonetti ou Andrée Putman. En les associant à la collection, nous montrons ces sols comme des œuvres. » Dans cet univers domestique, les sculptures s’affranchissent de leur base. Inspiré d’un autel roman, Poireau Ortie, de Didier Trenet, s’est mué en socle puis en coffre, avant d’être donné au musée de Picardie. « J’achète par plaisir et pour aider les artistes qui font des propositions. Mais je refuse de faire vivre ma collection dans un lieu exclusivement créé pour elle. Trop de collectionneurs créent leur propre fondation, il faut réapprendre le don aux collections publiques auxquelles le collectionneur doit pouvoir apporter son regard. » Préférant dématérialiser sa collection, il fait des dons à des institutions comme le Centre Pompidou ou la Tate Modern. Autre prolongement de sa collection : « Des certitudes, sans doute(s) », une exposition partielle au musée de Picardie et à l’Esad d’Amiens en 2008. « Je n’ai pas la capacité de créer, conclut Jannick Thiroux, mais je consacre ma vie à la création et j’y suis confronté en permanence. » Et s’il sollicitait un jour un architecte ? Ce serait pour réaliser une cabane, si petite soit-elle, qui deviendrait un autre lieu à investir.
Daniel Bosser, 150 mètres carrés dans un immeuble
de 1909, Paris XIe
Claude Rutault, Joseph Kosuth, Michel Verjux, Philippe Cazal, Véronique Joumard… Découvreur au regard aiguisé et mécène engagé, Daniel Bosser fait de sa collection d’œuvres minimales et conceptuelles un art de vivre et de penser dont il tisse depuis trente ans le fil conducteur. Enfant des corons, après avoir travaillé dans les ressources humaines, il exerce aujourd’hui une activité de conseil dans le monde de l’art et préside l’association des Amis du palais de Tokyo.
En 1994, avec Jakob et McFarlane qui avaient alors peu construit, il entreprit de restructurer son appartement dans un bel immeuble de rapport du boulevard Richard-Lenoir à l’architecture semi-industrielle. Ensemble, ils ont décloisonné et remodelé un grand cinq pièces traversant pour y faire entrer la lumière, ouvrir l’espace en préservant la domesticité, susciter des tensions, créer perspectives et points de vue. Entre stabilité et mouvement, les œuvres sont mises en scène dans ce lieu intemporel très personnel qui évolue depuis quinze ans au gré des accrochages.
L’accent est actuellement mis sur Set of shelves, de Guillaume Leblond. Dans une partie du salon, où l’épaisseur des façades cadre ses cinq structures en soulignant leur dynamique, la sculpture trouve une place de choix. En face, AMZ de Claude Rutault, une œuvre réactualisée, fait du collectionneur un partenaire, complice d’un artiste dont la partition se joue à plusieurs.
« Cet appartement n’est ni un musée, ni un lieu figé. Pour moi, un white cube clos réservé aux œuvres ou un loft sous verrière étaient exclus. J’aime le concept d’appartement et le contact visuel avec l’extérieur et Paris. En donnant carte blanche aux architectes pour investir les lieux, je les ai considérés comme des artistes. Leur intérêt pour l’art et les créateurs que je leur ai fait découvrir m’a plu. »
L’appartement est structuré par la galerie d’entrée remodelée et le mur cimaise qui lui est perpendiculaire. Ce dernier s’étire sur 27 mètres, du salon donnant sur le boulevard Lenoir à la chambre sur cour. Cette véritable « page blanche », qui vit naître l’élaboration d’une commande de neuf monochromes de Kees Visser, est offerte aujourd’hui à Claude Rutault. La galerie d’entrée, ponctuée par des œuvres d’On Kawara, Mathieu Mercier, Raphaël Zarka et Vittorio Santoro, oriente le regard vers Set up in order to be blown down (« Établi afin d’être renversé »), de Lawrence Wiener, face à Rutault.
Dans la chambre, à l’extrémité du mur cimaise, sont mis en résonance les éclats bleus d’Hantai et la matière épaisse d’un Sam Gilliam ; en vis-à -vis, le jaune lumineux d’un Martina Klein fait écho. Près du lit, la maquette d’un projet de Laurent Parriente pourrait trouver un développement dans la galerie d’entrée. L’artiste s’interroge sur la relation entre espace, corps et lumière par un rite de passage entre des cloisons couvertes de poudre de craie. Dans cet appartement où rien n’est figé, une dialectique s’instaure entre les achats, les commandes et la liberté offerte aux artistes. Et quand une partie de la collection s’invite au musée Matisse du Cateau-Cambrésis, ce n’est pas un hasard si les œuvres retrouvent cet esprit domestique dans l’antichambre de l’exposition
. « Extraits », œuvres de la collection de Daniel Bosser, 2005, musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis.
Marc et Josée Gensollen, la Fabrique, 750 mètres carrés dans une ancienne filature à Marseille
En 1972, Marc et Josée Gensollen, deux psychiatres marseillais, achètent leurs premières œuvres. En octobre 2004, désormais reconnus internationalement dans l’univers de l’art contemporain, ils décident d’ouvrir au public une collection d’art conceptuel d’environ 300 pièces. Pour s’affranchir des contraintes de leur appartement de type haussmannien, ils déménagent à Marseille et restructurent une ancienne filature avec l’architecte Harald Sylvander. Sur les quatre niveaux d’un bel espace fluide où un patio relie deux ailes, intimité et monstration s’imbriquent, à l’écoute des œuvres et des artistes. Son nom, la Fabrique, traduit bien ce qui anime ces collectionneurs. C’est « une maison de rendez-vous » au sens duchampien : les œuvres mises en scène sont en prise directe sur la vie quotidienne et des commandes peuvent être créées in situ. Pour ceux qui le découvrent, c’est un espace d’initiation à des langages inconnus.
« Depuis 2006, nous avons eu 4 000 visiteurs et cette convivialité avec la collection a tout changé, affirment-ils. Dans l’appartement, trop de pièces étaient reléguées en réserve et les discussions se terminaient autour des livres de la bibliothèque, ce qui a eu une incidence sur le concept spatial de la Fabrique dont le salon-bibliothèque est le centre névralgique. » L’architecte avait pour mission de ne pas caler l’espace, d’en faire le moins possible et d’effacer les traces de la vie quotidienne. Discrète sous la lumière des sheds industriels, l’intervention n’en est pas moins savante. Sur un mur du salon-bibliothèque, six étagères offrent 70 mètres de linéaire. Entre les lignes se glisse un bandeau de lumière. Clin d’œil au Georges Pompidou de Victor Vasarely, un portrait cinétique de Guy Debord anime cet espace où Tino Sehgal est venu mettre en scène une performance. Un mur écran masque la chambre et sert aux projections les soirs de conférence.
Dans la salle à manger, une installation de Franz West avec seize chaises mises en couleur par Heimo Zobernig et des luminaires de Liam Gillick. À côté, une installation de Dominique Gonzalez-Foerster sert de chambre d’amis. À l’étage inférieur, l’exposition noue des connivences entre divers artistes, parmi lesquels Daniel Buren, Liam Gillick ou Gabriel Orozco. Avec ZNS, Zentral Nerven System, Didier Fiùza Faustino a créé pour les deux psychiatres un cerveau recomposé où, assis face à face, ils peuvent traiter de choses sérieuses. Ce cadre dépouillé s’est affranchi des meubles, des objets anciens et des souvenirs de l’appartement. Aujourd’hui, la collection prend une tournure plus radicale et immatérielle en proposant régulièrement à des artistes d’investir l’espace. « Pour nous, la représentation ne compte guère, ce qui nous motive, c’est la captation d’une belle idée. Dans ce monde où tout est réifié, des œuvres comme Title Working 2005 de Mario Garcia Torres ou les réactualisations de Roman Ondak et Tino Sehgal, qui ne sont pas lestées par cette matérialité, ont un bel avenir. » Bel avenir aussi pour ce lieu dont l’extension est programmée. Impliqués dans le développement de la foire de Turin, Artissima, les deux collectionneurs ont exposé en 2005 au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière (« Strictement confidentiel »).
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