« Les pieds dans l’argile qui fait les villes. » Morceaux choisis d’une conversation en ligne avec Serge Renaudie

Rédigé par Françoise MOIROUX
Publié le 10/11/2004

Photomontage de Serge Renaudie

Article paru dans d'A n°141

L'empire qu'exerce le Viêtnam sur Serge Renaudie lui tient lieu de remède à toute velléité de certitude sur la ville. Cette dernière n'en est pas moins sa passion, et « infiniment plus que l'urbanisme ». Il revisite la discipline en stratège et en médiateur tout autant qu'en poète-exégète, et… sans faire de bruit. Ancien chef de projet du contrat de ville de Saint-Dizier, conseiller auprès de François Barré et de Wanda Diébolt, aujourd'hui architecte-conseil de la Marne, il intervient dans le cadre d'ORU à Cherbourg, à Auxerre, à Saint-Denis et à Sedan.

   « La ville n'est jamais en fait qu'une suite d'erreurs de toutes les politiques, de toutes les décisions, de toutes les théories qu'on voudrait lui appliquer. L'intérêt réel d'une politique, d'une décision, d'une théorie consiste à remettre en marche la complexité là où la ville tirait vers l'entropie ; mais de là à croire que la ville fera ce qui est prévu, c'est se leurrer. Cela nous oblige à rester modestes et à intégrer l'erreur dans le mécanisme de notre pensée. »
   « La qualité d'architecte n'est garante ni de probité ni de qualité architecturale. La difficulté aujourd'hui, comme de tout temps, réside dans la définition d'une éthique. »
   « S'il devait y avoir une justice pour ceux qui furent, et qui sont encore, parqués ainsi, elle consisterait à investir cet habitat pour le transformer, comme les arènes ou les remparts furent réinvestis. Transformer, c'est le propre de la culture, non ? Pourquoi la sédimentation des villes anciennes est-elle un processus que l'on a tant de mal à intérioriser dans ces cités ? »
   « La conception originelle d'un bâtiment n'est jamais vécue totalement. Un bon bâtiment distille des possibilités d'usage multiples dans le temps. C'est à ses possibles qu'il faut s'attacher, plutôt que de s'évertuer à les bannir. »
   « Travailler avec le "social", c'est, pour moi, travailler avec le corps même de ce qui fait que des individus peuvent vivre ensemble dans un lieu, dans des conditions, tirant leur pertinence du lieu lui-même. »
   « Ce qui est demandé à l'urbaniste, c'est de mettre au milieu de la table autour de laquelle sont réunis les différents décideurs un diagnostic ou un projet dont la première fonction est de permettre à tous de s'étonner sur un même objet : leur ville. Un urbaniste n'invente pas les éléments de son diagnostic ni de son projet, mais la méthode, la manière dont il recompose les éléments de la ville, si familière aux décideurs et aux habitants. Il crée simplement un détournement des habitudes ou un déplacement des regards, sans remettre en cause, a priori, les compétences, les prérogatives, ou les positions. »
   « La ville est là, obligatoirement et définitivement là. Henri Lefebvre replaçait la question ainsi : au troisième millénaire, il y aura une ville mondiale qui va croître peut-être démesurément, certainement démentir les propositions, mais engendrer des propositions nouvelles... C'était un bel optimisme, non ? Il insistait sur cette ville qui s'étend, différentielle et polycentrique, tout en conservant sa fonction organique. Mais, lui, croyait à la positivité de la ville... »
   « Je ne travaille pas ex nihilo, je travaille avec le "déjà-là". Le "déjà-là" n'est ni la trace historique de ce qui a été, ni les scories d'une histoire, ni la banalité du présent… ou pas seulement : c'est ce qui est
là et ce qui manque. Le présent est aussi ce que le passé porte en germe d'inadvenu. Cela peut paraître une évidence, mais sur le terrain, cette évidence se nomme complexité. »
   « Ma méthode d'urbaniste consiste à cartographier la ville à partir de quatre composantes majeures : les entités urbaines, les polarités ou centralités, les liaisons, et ce que j'appelle la "quatrième dimension de la ville". C'est-à-dire les espaces naturels et/ou artificiels, qui possèdent une influence et une continuité assez significatives pour constituer un territoire en soi et qui génèrent de la centralité, de l'attractivité et du lien. Mon schéma directeur du parc-canal en Plaine-Saint-Denis en est la démonstration la plus exemplaire. Cette démarche a pour vertu d'immuniser contre tout ce qui paraît su ou connu et de faire rempart au préconçu. Elle piège ou déjoue l'idéologie réductrice de la pratique de l'habiter et de la réalité urbaine. Elle rencontre le réel de la ville en même temps qu'elle en rend compte. »
   « La mixité, c'est un super concept pour naïfs. Dans le logement social, et sur la base unique des types de financement et de l'âge des bâtiments, une mixité peut s'établir entre le chômeur, l'étudiant et l'instit. On peut certes élargir le panel. Mais faire du Neuilly dans du 4 000, est-ce bien réaliste ? Ce qu'il faut éviter ce sont les ghettos, qui enferment leurs occupants par la volonté commune des gens de l'intérieur et de l'extérieur. »
   « La première chose qui me semblerait utile en matière de démolition-reconstruction serait de reconsidérer le logement social lui-même dans son financement et sa gestion. Nous ne sommes pas arrivés ici sans une grande perversité de la machine. Le seul fait que les loyers remboursent le coût de la construction est une première énormité. »
   « Vivre ensemble, ce n'est pas forcément vivre bien, mais c'est vivre dans une relation à l'autre qui ne soit pas commandée par son refoulement obsessionnel ou niée par une organisation spatiale rigide. Il ne s'agit pas de se rassurer en attribuant à certains dispositifs la capacité de fabriquer une urbanité polie..., mais bien plutôt de veiller à la possibilité d'expérimenter les relations d'altérité et de permettre des
frottements dont l'expérience décuplée relativise les conflits. »
   « La question de la démolition des grands ensembles est tout aussi financière que celle de leur construction. Ne devrions-nous pas être plus optimistes en oubliant que ces milliers de tours et de barres sont le produit d'une rente cynique et en considérant que le bénéfice dégagé est aujourd'hui un bien national à réinvestir ? »

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