Les frères Chapuisat : le voyage intérieur à l'intérieur

Rédigé par Margotte LAMOUROUX
Publié le 04/06/2013

Les frères Chapuisat : le voyage intérieur à l'intérieur

Article paru dans d'A n°218

Les frères Chapuisat nous proposent leur interprétation de l'abbaye de Maubuisson, magnifique édifice cistercien du XIIIe siècle situé dans le Val-d'Oise. Ils nous invitent jusqu'au 3 novembre à participer à une aventure spatiale étonnante, Buisson Maudit, une gigantesque structure de bois labyrinthique sur pilotis à la rencontre de la sculpture, de l'artisanat et de l'architecture. En sollicitant tous nos sens et en nous confrontant à nos limites physiques et psychiques, les plasticiens nous éloignent d'un rapport classique à l'oeuvre d'art, remettant en question la position de l'artiste et celle du spectateur dans la performance contemporaine.

Accessible à cinq personnes maximum, interdit aux jeunes enfants et aux femmes enceintes, dépôt des sacs et des vestes obligatoire, tenue d'explorateur vivement conseillée... les consignes de sécurité intriguent et donnent le ton. Dès les premiers instants, le visiteur grimpe dans l'obscurité sur des planches inclinées et comprend qu'il va vivre une traversée des plus singulières. Après plusieurs mètres à quatre pattes, plié en deux ou couché, la perte de repère laisse place à une véritable prise de conscience du corps : les gestes se font plus précis, les mouvement plus instinctifs. L'intensité de l'expérience est renforcée par des sensations de claustrophobie et de vertige. Les passages exigus (50x50cm pour ramper, 80x50cm pour s'accroupir) se terminent le plus souvent par des culs-de-sac; les points les plus hauts culminent à 5 mètres du sol. Le parcours tortueux et confiné se ponctue d'alcôves aux proportions considérables, qui permettent d'admirer les croisés d'ogives et d'interrompre quelques minutes le voyage introspectif pour se confronter aux autres. À la sortie, le rapport au corps est transformé, l'espace et le temps s'appréhendent d'une nouvelle manière.

Dans une logique d'occupation totale, les Chapuisat allient leur œuvre à leur mode de vie : habitant et travaillant in situ, ils se déplacent d'un chantier d'exposition à l'autre. Leur idées se mettent en forme sur place, en réponse spécifique au contexte. À Saint-Nazaire, un vaisseau suspendu dialoguait avec la base des sous-marins qui l'abritait. Ici, le conduit organique et chaotique souligne salle par salle les anciennes fonctions du bâtiment médiéval. Ainsi, l'amphithéâtre éphémère, qui correspond à l'alcôve la plus spectaculaire, se trouve dans la salle du Chapitre, autrefois dédié à la lecture quotidienne. Si les installations des deux artistes sont réalisées de manière totalement empirique –sans plan, texte ou simulation préalable–, elles relèvent d'un protocole précis. À Maubuisson, aucune des 2 500 planches n'est positionnée à l'horizontale, à la verticale ou assemblée en angle droit; chacune a un but structurel et peut supporter une charge de 100 kilos. Les règles du monument classé interdisant l'appui contre les murs et les fixations au sol, les artistes ont construit une structure autoportante depuis un seul épicentre en dix semaines de montage.

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