Tsukuba Town, Arata Isozaki |
L'exposition « Postmodernism: Style and Subversion 1970-1990 » se tient au Victoria & Albert Museum jusqu'au 15 janvier 2012. Valéry Didelon, qui vient de publier "La Controverse Learning from Las Vegas", l'a visitée à Londres. Il s'interroge ici sur l'ambivalence de ce courant culturel dans lequel nombre d'architectes ont, une fois n'est pas coutume, joué un rôle prépondérant.
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Le moment semble venu. Plus de quarante ans après ses débuts, et près d'une décennie après que sa fin a été proclamée un peu hâtivement, le postmodernisme fait son grand retour. Livres et expositions se multiplient, comme au Pavillon de l'Arsenal à Paris où l'on a récemment pu visiter « Architectures 80 », vaste rétrospective sur l'architecture d'une époque que beaucoup redécouvrent aujourd'hui. Après tout, cela n'a rien d'étonnant. D'un côté, le phénomène postmoderne est encore suffisamment proche dans nos mémoires pour susciter un peu de nostalgie ; de l'autre, il est assez lointain pour que l'on commence à oublier ses pires travers. Le moment est donc idéal pour un "revival", évidemment festif mais peut-être parfois insuffisamment critique.
Par les importants moyens qu'elle mobilise et les pièces qu'elle présente, l'exposition qui se tient au Victoria & Albert Museum mérite toute notre attention. Son ambition est grande : envisager le postmodernisme comme un vaste mouvement pluridisciplinaire et parler tout autant de musique, de mode, de graphisme, de design, et bien sûr d'architecture. À noter que l'art, la littérature ou la science – laquelle, rappelons-le, était le sujet du livre "La Condition postmoderne" de Jean-François Lyotard – sont curieusement absents de l'exposition. L'appréhension du phénomène à travers ses deux décennies centrales est également discutable, puisqu'elle le réduit à ses manifestations les plus visibles et visuelles.
La visite de l'exposition n'en demeure pas moins réjouissante. Toute sa première partie, consacrée pour l'essentiel à l'émergence de l'architecture postmoderne, révèle un état d'esprit rebelle. Dessins originaux, photographies, maquettes et impressionnantes reproductions de fragments d'édifices à taille réelle se succèdent. Les principaux protagonistes sont convoqués : Aldo Rossi, Robert Venturi, Charles Moore, Arata Isozaki, etc. Emblématique des premières années du Mouvement, une grande peinture de l'architecte japonais trône au cœur de l'exposition. Tout en noirceur, elle montre le centre-ville de Tsukuba où se mêlent les ruines d'une ville moderne – détruite par une catastrophe nucléaire ? – et d'une Rome antique revisitée avec ironie. On comprend ici que le postmodernisme a été, au moins durant ses quinze premières années, profondément empreint de critique sociale. Raillant l'utopie technologique, prenant très tôt conscience de la crise écologique, renouant avec un passé jusque-là méprisé, et s'inquiétant de la coupure entre le peuple et les élites, quelques architectes manifestaient alors avec éclat leur insatisfaction. Par leurs projets, leurs dessins et leurs écrits, ils tentaient de subvertir une architecture moderne devenue hégémonique, aveugle et destructrice. Voilà pour le côté sombre et désespéré du postmodernisme, qu'illustrent encore la maison déglinguée de Frank Gehry et un magasin envahi par une nature revancharde de SITE.
Côté plus souriant et plus coloré, il y a ces fameuses années quatre-vingt. Dans l'exposition londonienne, qui accorde également une large place à l'univers des night-clubs et de la mode, une page se tourne avec l'accrochage du "U.S. Dollar Sign" d'Andy Warhol. La thèse des deux commissaires, Glenn Adamson et Jane Pavitt, est en effet qu'après des années de critique radicale, et dans le contexte idéologique du reaganisme et du thatchérisme, les architectes postmodernes succombent au vertige de l'argent. Le gratte-ciel ATT dessiné par Philip Johnson d'un côté, et les luxueux services à café édité par Alessi de l'autre, incarnent en effet à des échelles différentes une forme de renoncement, une fuite en avant dans une économie de marché friande de symboles. Au cours des années quatre-vingt, les designers s'imposent comme des modèles à suivre pour les architectes. Philippe Starck devient ainsi une vedette et réalise trois bâtiments au Japon ; conçus comme des objets de design, ils seront reproduits plus tard sous forme de bibelots décoratifs. L'architecture bascule avant la fin de la décennie dans l'ostentation et le commerce des signes extérieurs de richesse. Le postmodernisme, qui se discrédite aux yeux de l'intelligentsia par sa futilité, n'est plus qu'un style néo-quelque chose dont raffolent les promoteurs.
L'exposition du Victoria & Albert Museum s'achève sur une interrogation : sommes-nous toujours postmodernes, et si oui, première ou seconde façon ? Si l'on s'en tient aux aspects esthétiques, il est évident qu'une page est tournée. L'histoire comme la culture populaire ne sont plus sources d'inspiration pour la plupart des architectes, et nous sommes revenus aujourd'hui à un vocabulaire formel moderniste et abstrait. Si l'on réfléchit aux relations entre l'objet architectural et l'environnement urbain, l'héritage est ambigu. Presque tous les maîtres d'œuvre revendiquent dorénavant la prise en compte du contexte, mais défendent pareillement l'autonomie du créateur. Si, enfin, on observe les rapports que ceux-ci entretiennent avec la société, alors oui, le postmodernisme est bien vivant. À quelques exceptions notables près, les architectes semblent en effet ne plus être porteurs d'un projet social et contribuent plus ou moins consciemment à la valorisation du patrimoine immobilier. N'y aurait-il pas cependant quelque arrogance à le leur reprocher, tant les leçons de morale ont par le passé montré leurs limites ? La formule introductive à l'exposition selon laquelle, si le modernisme a ouvert une fenêtre sur le monde, le postmodernisme apparaît comme un miroir brisé dans lequel il nous faut nous reconnaître, renvoie en tout cas avec brio au désenchantement qui est aujourd'hui le nôtre.
> « Postmodernism: Style and Subversion 1970-1990 » se tient au Victoria and Albert Museum jusqu'au 15 janvier 2012. Plusieurs événements associés, dont on trouvera les références sur le site <www.vam.ac.uk>, ont lieu pendant cette période. Enfin, un catalogue de 320 pages édité par le Musée paraît à cette occasion.
"Glenn Adamson&Jane Pavitt, Postmodernism : Style and subversion 1970-90", London, V&A Publishing, 287x247 mm, 320 pages, 250 illustrations couleurs, 40 £.
A l'occasion de l'exposition sur l'architecture des années quatre-vingt, le pavillon de l'Arsenal a publié le livre "Architectures 80, une chronique métropolitaine", sous la direction de Lionel Engrand et Soline Nivet, Paris, A. & J. Picard, 2011, 49€.
Didelon Valéry, "La controverse, Learning from Las Vegas", Wavre, Belgique: éditions Mardaga, 2011, 170x240 mm, 256 pages, 32€.
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