Saint-Ouen |
L’exposition l’AUA une architecture de l’engagement (1960-1985), en dépit de sa densité, a peu abordé le thème de l’esthétisation de la construction, qui fut pourtant une des marques distinctives de notre travail. Un catalogue de plus de 300 pages, illustré de documents originaux et de photographies actuelles des bâtiments, bel objet typographique, publié sous la direction de Jean-Louis Cohen, en collaboration avec Vanessa Grossmann, nourri de nombreuses contributions, a été publié à cette occasion.
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Cependant une entrée manque : celle de l’esthétique proclamée des constructions de l’AUA, car l’engagement de cette coopérative constructive fut de proposer une architecture savante, pour les logements et équipements des Trente Glorieuses, dont la plupart répondaient aux seuls canons du productivisme et de sa conséquence : la répétition de quelques modèles, plutôt frustes.
Notre architecture était pensée comme art de la transformation et affirmait sa matérialité comme champ culturel, pour reprendre les mots de Marc Mimram.
L’architecture comme art de la transformation, du monde, des situations, des programmes et des choses enfin, implique un refus du créationnisme et de l’ineffable du beau, qui sous-tendaient l’enseignement des Beaux Arts, dont les maîtres avaient oublié les leçons du néoclassicisme français, comme du rationalisme projectuel de J.N. Durand ou celui constructif de Viollet le Duc et de ses épigones.
Elle implique aussi la question de la matérialité comme champ culturel, développée par les sociologues et historiens de l’art anglo-saxons ou ceux de l’école de Francfort. Le parti pris des choses, comme le bris-collage, qui doivent tout autant à Lévi-Strauss qu’à Francis Ponge, en furent la trace dans nos bâtiments.
Si nous fûmes Corbuséens, c’est tendance Jaoul, engagés dans la construction d’une esthétique qui paraissait la condition éthique de ce que nous devions aux autres, aux innombrables autres, à la multitude, celle de la démocratie. L’architecture de la démocratie, c’est le logement, l’école, la santé, la culture et le loisir pour tous, et non seulement les châteaux, prisons, églises ou palais de justice où brillaient les architectes de l’ancien régime. Le projet édilitaire de la démocratie fait de l’architecture un art social.
L’esthétique de l’AUA ne découlait pas de la seule question de l’industrialisation ouverte, qui dans le temps même des bâtiments-manifestes de Paul Bossard à Créteil, de l’Atelier de Montrouge à Ivry ou de Candilis-Josic-Woods à Bagnols-sur-Ceze, aurait été notre réponse à la préfabrication lourde des grands ensembles.
Pourtant dans mon travail, la recherche du standard, de ses assemblages, des marges qu’il nécessite, sont un fil conducteur, marqué que j’étais par l’influence du travail de mon père, graphiste, dont les mises en page typographiques composaient avec des règles : celle des corps et des caractères d’imprimerie.
C’est dans la succession des expériences ou des études que j’ai dans mon travail tenté de dépasser cette apparente contradiction.
En 72, parallèlement à l’étude sur les architectures métalliques de Paris, je construis le CES de Romainville avec des éléments Variel-Dumez : containers à structure béton, préfabriqués en usine avec leurs fenêtres, leurs cloisons peintes, les sols terminés. Ce que cette étude et ce chantier m’apprennent est double : le processus d’assemblage des pièces du catalogue industriel dans les halles du XIX° obéit à d’autres règles que la composition des projets maçonnés. Pendant toutes les années de l’AUA, la question de l’assemblage versus le modelage ancien fut centrale dans nos préoccupations. Cette architecture agglomérant des éléments existants, dont la forme finale est autre que celle d’un bâtiment découpé selon les nécessités de la production répétitive, assemblé par simple addition, est dans son esprit d’une même approche que le modèle Multiplus.
Celui-ci prenait acte de la transformation du mode de production. Ce qui a changé pendant les vingt cinq ans de vie de l’AUA, ce sont les entreprises françaises. Ce qui était possible à Vigneux, Pantin ou Sucy-en-Brie, avec un chantier artisanal, ne l’était plus dans le modèle économique des entreprises générales basé sur un outillage performant, un encadrement compétent et une main d’œuvre immigrée, peu qualifiée et peu payée.
Dans ces conditions nouvelles, tout travail doit se référer au concept de l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, cher à W. Benjamin. Il est tout autant technique que formaliste, mais n’est-il pas d’abord formaliste, si l’on entend ce terme comme mise en forme de la nécessité et transformation formelle de la norme ?
Car l’AUA c’est aussi cela. Si l’on compare le travail de Kalisz, Ciriani ou de moi-même, nous sommes tous formalistes –tous post-corbuséens- et différents dans notre approche. Le centre administratif de Pantin, la Noiseraie ou l’immeuble Pasteur à Saint-Ouen sont contemporains, on peut en voir les similitudes et les différences.
Tous ces formalismes passent par la question du construire : étymologiquement construire (en latin) c'est disposer ou ranger avec. Une taxinomie du montage : qui va avec quoi ? Culturellement pratiquement, symboliquement. Qui est dessous et qui est dessus ? Physiquement, gravitairement et symboliquement. Renverser la table ou la dresser. Cette formation du langage architectural n’est pas que stylistique mais structurelle, car si le style tend à rendre tous les propos conformes, le langage –celui de la structure au sens large- rend singuliers des projets différents, dans une suite partageable et compréhensible.
Jacques Lucan, dans sa contribution, remarque la façon polémique que j’ai d’intervenir et écrit que j’en tire quelque plaisir, il ne semble pourtant pas être allé au bout de sa remarque.
Mes bâtiments sont esthétiquement polémiques. A la patinoire de Saint-Ouen, je choisis le low-tech, édifiant en quelque sorte un hangar bien-aimé versus les décorated sheds du post modernisme. De la même façon, alors que Maurice Culot affirmait que seule la fenêtre verticale était démocratique (sic), je confrontais fenêtres horizontales et verticales dans l’immeuble de Saint-Ouen, face au périphérique et, dernière ironie, le garde-corps des coursives dessine le spectacle immobile de R9, narguant les bouchons de la circulation.
Qu’ils soient en béton pour leurs structures et leurs façades, qu’ils soient composites, ces bâtiments, ont un point commun : l’usage ordinaire du matériau (voiles BA ou profilés en acier du commerce), comme l’usage détourné et citationnel de ready-made. Un élément d’ovoïde permet la traversée d’un voile à Vigneux, des briques creuses sont utilisées en claustra, des bacs à laver reçoivent plantes et fleurs, des clôtures préfabriquées en BA, si typiques des lotissements d’avant-guerre, sont employées à Saint-Ouen pour donner une gueule d’atmosphère à des bâtiments neufs dans un quartier de la proche banlieue. Et de façon constante l’usage des petites pièces de préfabrication foraines, comme les panneaux à parement de cailloux, repris de la Tourette, les garde-corps ou les bacs en béton que l’on retrouve dans tous les projets de logements. On pourrait évoquer les artefacts ou les collages cubistes à ce propos, mais il n’y a pas dans ces bâtiments le seul souci du « beau », celui de toute œuvre d’art, mais l’affirmation de la matérialité de la forme, car l’emploi de plaques ondulées d’Eternit ou de tôles tend à dire qu’il n’y a pas de matériaux pauvres, mais une pauvreté de la mise en œuvre, d’autant plus choquante s’il s’agit de matériaux socialement ressentis comme plus riches. La récente réhabilitation de l’immeuble de Pantin, isolé par l’extérieur et carrossé de tôle ondulée, laquée double ton, en est la preuve. Cet attachement à la vulgarité ordinaire des choses traduit aussi un refus de la mode. En général, les bâtiments « démodés » résistent à l’usure du temps.
Dans tous mes projets qui se réfèrent pourtant à la modernité, je n’oubliai et je n’oublie pas que ce mot peut se décomposer entre mode et éternité. Les expositions jumelles de 1982 à l’Ecole des Beaux Arts, La Modernité un projet inachevé dont j’assurais la conception et La modernité où l’esprit du temps sous la responsabilité de Jean Nouvel traitaient différemment de la temporalité comme de son ancrage dans le temps, la mémoire ou l’histoire.
A toutes ces questions, Ernest Bloch a proposé des réponses possibles. La beauté contemporaine ne peut être celle hygiénique de la cuvette de wc, sans aspérités, d’une seule matière ; elle est par essence composite ; les épaufrures du béton, le calepinage des briques, la trace des coffrages, les joints d’une construction hétéroclite s’opposent à la perfection lisse. A l’heure industrielle, toute chose est faite de morceaux assemblés. Le conflit qui nait habituellement de leur confrontation est aussi un moment antagonique que le projet doit résoudre et auquel il doit se résoudre, sauf à réduire l’art de l’architecture à celle du papier peint et penser que forme et contour sont une seule et même chose.
Paul CHEMETOV
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