Jamais l’écart n’a été aussi grand entre ce que nous exigeons d’un bâtiment et la capacité que nous avons à le financer. La réglementation, malgré son flot de contraintes souvent absurdes, a porté le logement social, les équipements hospitaliers ou les centres d’accueil des personnes âgées à un niveau sans précédent de qualité fonctionnelle. Il faut se réjouir de l’ambition d’offrir aux plus démunis le meilleur possible. Mais la générosité dans laquelle nous nous drapons ne masque-t-elle pas une grande hypocrisie ? Car on sait que cette exigence de qualité, en augmentant considérablement les coûts d’investissement, ne permet de répondre que partiellement à la demande. Cette course aux objectifs qualitatifs toujours plus élevés – par exemple en terme de sécurité, d’accessibilité et de contrôle – voue à la précarité tous ceux qui ne peuvent accéder à cette manne de confort. Ainsi, plusieurs décennies après les avoir éradiqués, nos villes ont vu resurgir les bidonvilles. Choquant mais supportable dans une France à peine reconstruite, le taudis, aujourd’hui trop infamant, est systématiquement détruit. Poétique, inventif ou fascinant à Lagos, le bidonville est ici une plaie que l’on refuse de voir. Comme si ce n’était pas l’illégalité mais l’indignité de leurs abris qui légitimait l’expulsion de ses habitants. On sait pourtant que les expulsés ne sont presque jamais relogés, si ce n’est dans des conditions encore plus précaires. Sans nier les véritables progrès que la marée réglementaire a malgré tout apportés, force est de constater aujourd’hui qu’elle nous empêche de mieux accueillir les réfugiés, nous oblige à cantonner les migrants dans leurs tentes, nous prive de l’inventivité propre au système d’organisation des bidonvilles et de leur capacité d’évolution, elle confine enfin les architectes dans une autocensure qui bride autant leur responsabilité morale que leur imagination. #
Emmanuel Caille
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