Le sourire de Catherine Jacquot, présidente du CNOA. |
Dans une visée pragmatique et prospective, le Conseil national de l’Ordre des architectes lançait en 2014 les Universités d’été, un « laboratoire d’idées collaboratif ouvert à toutes les expertises et toutes les expériences » (architectes, experts, élus, chercheurs, étudiants, enseignants, habitants) et « une vitrine pour une discipline et une profession engagées sur des sujets sociaux, économiques, environnementaux et citoyens ». La
formule consiste à ouvrir le débat sur Internet en sollicitant
témoignages et retours d’expérience, puis à conclure par un
colloque. |
En 2015, face aux mutations sociales, politiques, économiques ou environnementales qui font évoluer la société et le rôle des architectes, deux thèmes de réflexion étaient retenus. Avec pour toile de fond le foisonnement législatif (lois MAPTAM, ALUR, NOTRe, transition énergétique…), le premier porte sur la question cruciale de l’architecte au service des territoires ; le second sur l’architecture comme investissement d’avenir. La journée de clôture de cette seconde session, organisée avec le soutien de la ministre de la Culture, les ENSA et le CRO Rhône-Alpes, s’est tenue à l’ENSA de Lyon le 26 juin dernier.
Dans le forum Internet, ce sont surtout des architectes qui se sont exprimés sur les préoccupations courantes : missions, défense de la diversité de la production, rémunérations, affirmation d’un rôle sous-estimé, évolution des permis de construire, missions de conseil potentielles à conquérir auprès des élus de territoires ruraux par exemple. Sans oublier les sujets cruciaux comme l’arrivée du BIM.
Dans ces contributions1 qui n’engagent que leurs auteurs, citons quelques points repérables : le rôle de l’architecte patron et de l’architecte auteur ; la gestion des agences face au poids croissant des contraintes administratives ; le respect de la fonction, notamment sur de petits projets, le risque de concurrence que fait peser l’ingénierie publique : « Dans les Pyrénées-Atlantiques, avec le service technique de l’APGL/Maison des Communes, c’est la disparition programmée des architectes dans le territoire rural mais aussi dans les petites villes béarnaises et basques ». Le souhait d’« un nouveau rapport entre habitat et agriculture » pour contrer le gâchis des paysages de l’Hexagone où l’équivalent d’un département est dénaturé tous les sept ans. Le souci de transformer en intelligence collective les énergies souvent contradictoires des acteurs de la ville quand des donneurs d’ordre rêvent de se passer d’architectes et que les architectes se méfient des « grands groupes qui font la ville à coups de smart city et de services globaux ». Faire évoluer la commande publique en « cessant de saucissonner les commandes » servirait-il « une vision urbaine globale et transversale à long terme » pour s’adapter aux spécificités des territoires ? Quand tant d’études « se périment faute de mise en œuvre », « généraliser la pratique des contrats cadres pour installer la relation MOE/MOA dans la durée et dans une relation de partenariat plutôt que d’exécutant » ou disposer de cahiers de programmes sous forme d’objectifs à atteindre serait-il pertinent ?
Si peu d’élus se sont exprimés, les architectes ont pu apprécier le soutien de la contribution d’un présidentiable, Alain Juppé, maire de Bordeaux et président de Bordeaux métropole. « Il faut conserver à l’architecte son rôle de maître d’œuvre. Quels que soient les talents des bureaux d’études – et on connaît bien sûr leur rôle essentiel dans tout projet –, c’est l’architecte qui doit continuer à dessiner, à innover, à oser, à interpréter et à convaincre. […] Je le dis tout aussi clairement, la réforme des marchés publics […] qui vise à généraliser les contrats globaux, ce qui signifie, ne nous voilons pas la face, que les concours d’architecture deviendront marginaux, est une mauvaise réforme. Oui, les concours d’architecture coûtent cher puisqu’il faut rémunérer les trois ou cinq candidats présélectionnés. Mais supprimer les concours – le rêve de beaucoup de services administratifs – correspond à de fausses économies et, en outre, à de maigres économies. Certes, il est des cas où les PPP, demain les contrats globaux, se justifient : les textes le prévoyaient déjà et il aurait été bon d’en rester là . Les contrats globaux, nous le savons bien, vont pénaliser les jeunes architectes et leurs petites agences, souvent porteuses d’enthousiasme, de créativité et d’ouverture naturelle vers un monde en permanente mutation. Ils vont – ce qui laisse perplexe quant aux convictions idéologiques des promoteurs des ordonnances – favoriser les logiques des grands groupes. Ils risquent surtout de formater une profession qui restait remarquablement française – avec tout ce que cela signifie – dans son organisation mais aussi son individualisme, dans sa culture et dans ses traditions. »
La journée de clôture
Agnès Vince, directrice chargée de l’architecture, adjointe au directeur général des patrimoines du ministère de la Culture, Noël Brunet, président du CRO Rhône-Alpes, Michel Le Faou, adjoint au maire de Lyon chargé de l’urbanisme, aménagement, habitat, logement et Dominique Nachury, députée du Rhône, ont notamment accompagné la journée clôture du 26 juin à l’ENS de Lyon2. Riche de la diversité des intervenants, elle a nourri la transversalité d’un débat sur l’évolution des métropoles – Lyon étant plébiscité comme exemple – l’échelle communale et intercommunale, les actions menées dans les territoires interstitiels ou ruraux, l’innovation architecturale et urbaine et le numérique pour la création de valeur3. Signalons la synthèse dense et sans langue de bois de Mireille Ferri, directrice générale de l’Atelier international du Grand Paris. Dans son approche géopolitique du « rééquilibrage des territoires et de l’efficacité économique de l’après carbone », elle a insisté notamment sur la nécessité de connecteurs adaptés à chaque territoire et l’importance de l’anticipation des mutations et les aléas. Ses interrogations sur le plan d’évacuation de Paris en cas d’inondation sont un exemple éloquent : la ville serait privée d’électricité et d’Internet et le marché de Rungis n’assure que quatre jours d’autonomie alimentaire.
Et si pour Dominique Nachury, « les communes sont l’ADN français et un lieu de vie et patrimonial, mais plus nécessairement le lieu du pouvoir ». Catherine Grandin, directrice du CAUE du Rhône, rappelle qu’il serait utile que les petites communes soient mieux aidées par les architectes. Et Florence Bougnoux, architecte, de préciser que dans la métropole lilloise, des maires de petites communes ont su prendre le pas sur la métropole. Et d’ajouter que lorsqu’en deux décennies plusieurs élus se succèdent sur un territoire, il n’est pas rare que l’architecte soit le seul à rester sur place pendant toute la durée d’un projet urbain. Nathalie Mezureux, directrice de l’École d’architecture de Lyon, abonde en ce sens quant au rôle que peuvent tenir les architectes dans les espaces de décision des territoires de montagne ou ruraux. Elle indique d’ailleurs qu’après les réformes territoriales qui réduisent les ressources des collectivités, les écoles d’architecture croulent aujourd’hui sous les demandes des décideurs territoriaux. La question d’une concurrence déloyale des écoles à l’égard des professionnels étant ainsi posée, elle rappelle que ce conseil ne saurait être apporté que dans une situation préopérationnelle.
Particulièrement réjouissante fut l’intervention d’Anthony Koenig, chef de projet urbanisme à la mairie de Joinville, petite commune de Haute-Marne, qui a insisté sur la pertinence qu’il y a à associer de façon régulière les compétences et le savoir-faire d’un architecte dans un tel contexte. Écouter Vincent Fristot, adjoint à l’urbanisme, au logement, à l’habitat et à la transition énergétique auprès d’Éric Piolle, maire de Grenoble, était plus insolite. Content d’évoquer des expériences d’écoconstruction avec les habitants et le bataillon d’intervenants divers et aléatoires dont il s’entoure, sans doute dans une volonté de bien faire, il a déroulé un propos peu convaincant où les architectes ne brillent que par leur absence. On pourrait presque se demander si Grenoble n’irait pas mieux sans lui…
« Faire ensemble est toujours pédagogique »
Nous avons demandé à Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l’Ordre des Architectes, quel bilan tirer de ces universités d’été.
Que retenez-vous de ces universités d'été ?
Au-delà d’un moment de réflexion indispensable pour les architectes, ces Universités sont un temps d’écoute et d’échange avec les élus chargés de la gouvernance des territoires. Avec 300 participants à Lyon, l’intensité des débats témoigne de l’état des lieux face aux mutations des modes de vie, de l’aménagement et du cadre bâti. Elle montre la richesse des solutions suggérées par les architectes et leur réflexion pour éviter de répéter les erreurs du passé et la construction de logements standardisés. Ils réfléchissent aussi à leur rôle dans cette nouvelle donne liée à la transition écologique dont la COP21 sera la première étape et au numérique qui transforme nos façons de travailler. La question majeure de la transition énergétique, fondamentale pour repenser la ville et le territoire, peut déboucher sur des choses très concrètes pour l’exercice de la profession et la survie des agences. J’ai aussi perçu une part de perplexité entre la demande de règles jugées nécessaires pour vivre ensemble et la critique vis-à -vis de normes qui contraignent le projet.
Quelles sont vos attentes ? Sont-elles partagées ?
Nous allons publier les actes ainsi qu’un bilan très précis du Crédoc (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Le site reste ouvert à d’autres contributions et les débats du 26 juin seront relayés sur notre site et sur les réseaux sociaux, ce qui nous permettra, entre deux sessions, de nourrir nos échanges avec les conseils régionaux, le réseau des CAUE et des maisons de l’architecture, les écoles. Tout ceci nous renforce auprès de nos interlocuteurs politiques des ministères du Logement, de l’Écologie et de la Culture pour faire des propositions très concrètes dans tous les domaines, notamment sur l’architecture à petite échelle et l’aménagement du territoire. Beaucoup ont été reprises dans le dispositif de la SNA orchestré par la ministre de la Culture et par Patrick Bloche, rapporteur de la loi CAAP (création artistique, architecture et patrimoine). Nous avons notamment proposé dans ce projet de loi un amendement obligeant le recours à l’architecte dans les permis d’aménagement. Nous proposons aussi un permis déclaratif réduisant les délais et facilitant les autorisations si un architecte intervient pour de très petites opérations en dessous du seuil, comme la maison individuelle.
Sur 30 000 architectes inscrits en France en 2013, un quart gagnait moins de 546 euros par mois et 10 000 étaient non imposables. Cette paupérisation n’est-elle pas incompatible avec l’exercice de l’autorité indispensable à leurs missions ?
Ces chiffres recouvrent des situations très variables. La moitié des architectes concernés par ces chiffres exercent seuls. La hausse des demandes d’exonération de cotisations qui nous sont nous adressées montre l’importance de la crise. Il est impossible d’exercer dans ces conditions et, s’ils pratiquent le dumping des honoraires, ils courent à une mort certaine. Nous expliquons aux collectivités que le critère de prix ne saurait être le seul, mais si l’architecture est une culture, l’architecte doit aussi intégrer les questions économiques. Si nous voulons préserver la présence de 30 000 architectes répartis sur tout le territoire, il faut conserver des agences de toutes tailles, mais elles doivent alors être capables de se regrouper et de s’organiser en réseau pour travailler sur des projets d’échelles diverses.
La profession doit-elle s’appuyer sur ses figures les plus médiatiques pour conforter ses missions au profit de tous ?
Elle s’appuie sur les architectes de renom dont certains sont très soucieux pour l’architecture et la profession. Les AJAP ont participé aux Universités d’été. Certains ont monté un collectif et les grands architectes français nous ont soutenus quand nous avons défendu la procédure des concours contre l’avis de Bercy. Nous avons eu gain de cause et cela a été confirmé par la lettre que m’a adressée Emmanuel Macron le 27 juillet (www.architectes.org), garantissant le maintien des concours.
Un architecte contributeur évoque la nécessité de soigner l’image des architectes et voit dans le recours obligatoire l’image d’une profession aux abois. Comment expliquer cette situation quand, paradoxalement, tant de commanditaires se félicitent d’avoir travaillé avec eux au terme d’un projet ?
Chaque législation dépend de la culture du pays concerné. En Suisse, le recours à l’architecte n’est pas obligatoire, mais la culture architecturale est mieux partagée par les commanditaires, d’autant que si ces particuliers ne font pas appel à un architecte, le coût de leur assurance est doublé, voire triplé. Chez nous, le recours obligatoire est un mal pour un bien. Si les actions pédagogiques que mènent tous les partisans de l’architecture permettent d’améliorer la culture des investisseurs, des assureurs et de tous les maîtres d’ouvrage occasionnels ou non pour que nous ayons en France, des maîtres d’ouvrage éclairés, il sera bien temps de supprimer ce mal nécessaire.
De fait, les maîtres d’ouvrage heureux d’avoir travaillé avec un architecte le sont justement parce qu’ils ont découvert à l’occasion d’un projet mené à bien tout l’intérêt d’une telle collaboration. Faire ensemble est toujours pédagogique.
Face au déferlement de contraintes administratives, Paul Chemetov propose d’ouvrir une plateforme de marchés publics où chaque agence déposerait en début d’année ses documents administratifs sous forme de fiche type téléchargeable par les maîtres d’ouvrage. Le site de l’Ordre pourrait-il s’en charger ?
C’est une bonne idée. L’Ordre des architectes prépare d’ailleurs la mise en place de la plateforme « architectes pour tous » avec une géolocalisation des agences et des books téléchargeables. Dans le cadre de la SNA, nous avons aussi demandé le renforcement du rôle des conseils régionaux, ce qui permettra de mieux lutter contre les signatures de complaisance.
Propos recueillis par C.D.
1. À consulter sur le site des universités d’été : www.universites-architecture.org‎
2. Ibid.
3. Nous invitons nos lecteurs à se procurer les actes à paraître en octobre.
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