Nadine
Face aux héroïsmes architecturaux – mégastructures de béton, cathédrales d’acier high-tech ou minimalisme radical –, la pose de rideaux se réduit à un acte terriblement dérisoire. Si l’on excepte l’univers du théâtre, l’idée de rideau renvoie davantage aux voilages brodés derrière une jardinière de géraniums ou à Nadine, la femme-au-rideau de Twin Peaks, personnage de la célèbre série de David Lynch. Obsédée par la mise au point d’une tringle à rideau totalement silencieuse pour son salon, c’est une femme au foyer forcément névrosée. Dans la filmographie de l’auteur de Blue Velvet, le rideau est un thème récurrent, manifestation de la frontière qui menace de s’ouvrir et de libérer nos pulsions refoulées. Davantage qu’une façade, le rideau est un puissant ressort de l’imagination, il désigne surtout ce qu’il cherche à cacher, tirant de cette ambiguïté sa forte charge dramatique. Mais ni ce pouvoir émotionnel, ni le potentiel de flexibilité qu’il confère à l’organisation de l’espace n’ont pour autant été beaucoup exploités en architecture. Il est par exemple étonnant que pour pallier les contraintes imposées aujourd’hui à la typologie du logement, cette flexibilité n’ait pas été davantage employée. Avec les nouvelles matières plus efficaces acoustiquement ou thermiquement, l’utilisation de rideaux pourrait pourtant permettre d’enrichir les dispositifs spatiaux et leur mobilité à moindre coût.
Depuis quelques années, des agences comme Herzog & de Meuron, OMA, SANAA ou Lacaton & Vassal ont cependant redonné au drapé ses lettres de noblesse architecturales. Il était temps que d’architectures ouvre le rideau.
Emmanuel Caille