"Indescrible"
Il y a trente ans, le développement des outils de création numérique pour l’architecte s’annonçait comme une révolution, engendrant son lot de hérauts et prophètes qui renvoyaient les sceptiques à leurs archaïsmes. Mais sans une remise en cause des fondements de la discipline architecturale, l’application des techniques digitales a entraîné nombre de malentendus. L’engouement pour les blobs est à cet égard significatif, les concepteurs de ces volumes néoténiques frisant l’imposture dès lors qu’ils prétendaient que seul leur logiciel en rendait possible la réalisation. Comme si Borromini, GaudÃ, Saarinen ou Gaudin n’avaient su concevoir des volumes complexes sans Rhino® ou Catia®. D’autre part, annoncée comme le sésame entre concepteurs et réalisateurs – de l’intuition à l’industrialisation en quelques clics –, la numérisation des processus d’élaboration de ces blobs se révélait également décevante lors de leur mise à l’épreuve sur le chantier. En réaction à ce qu’ils soupçonnaient à juste titre être de la naïveté, les autres architectes se refusaient aveuglément
à voir dans les technologies numériques autre chose qu’un outil plus performant, se privant du même coup de leurs formidables potentialités.
Mais alors que s’estompe la fascination pour les chimères digitales, des projets conçus numériquement affrontent plus rigoureusement la réalité du chantier, même s’ils appartiennent encore à des commandes exceptionnelles en termes programmatique et budgétaire : le musée d’art de Tel-Aviv de Preston Scott Cohen, la tour Phare de Morphosis ou la Fondation Louis-Vuitton de Frank Gehry. Pour notre dossier de ce mois-ci, nous sommes allés rencontrer ces architectes, ingénieurs et maîtres d’ouvrage qui mettent aujourd’hui ces outils en oeuvre. Ils nous parlent autant de la formidable opportunité qu’ils leur offrent que des écueils dont il faut se garder.
Emmanuel Caille