Quelles stratégies juridiques pour les architectes quand marchés publics et libéralisme s'imbriquent ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 07/02/2011

Marchés publics d’architecture et d’ingénierie, de Michel Huet et Amélie Blandin

Article paru dans d'A n°197

En publiant un ouvrage traitant des marchés publics d'architecture et d'ingénierie, Michel Huet et son associée, Amélie Blandin, offrent un bel outil tant aux architectes qu'aux ingénieurs et maîtres d'ouvrage. Spécialiste bien connu du droit d'auteur et du droit de la construction, l'avocat est également un homme de terrain. À travers une analyse des processus de passation, des cadres contractuels d'exécution et des questions relatives aux responsabilités, aux assurances et aux contentieux des marchés publics d'architecture et d'ingénierie, leur livre aborde avec pragmatisme des notions allant de la loyauté à la bonne foi, en passant par le dol, la violence ou la communication masquée.

DA : Comment voyez-vous l'évolution des marchés publics ?
Michel Huet et Amélie Blandin : À la suite de la refonte, en 2009, du code des marchés publics et de celle des CCAG, on parle de nouvelles réformes et il n'existe plus guère de stabilité du droit. Les règles changent
en permanence et Bruxelles « a bon dos », tout cela au profit des grands groupes financiers et du BTP. Les 9/10e du code des marchés publics concernent les entreprises et les appels d'offres, avec une attention
particulière apportée aux coûts.
Le projet d'architecture est de moins en moins concerné. C'est pour le moins inepte car c'est le cadre de vie de notre société qui est en jeu. Parfois décriée, la procédure de concours de l'article 74 du code des marchés publics est essentielle pour garantir cette qualité. De la même manière, il est regrettable que nous ayons perdu la bataille des marchés de définition, supprimés au nom des règles européennes, alors que leur intérêt était unanimement reconnu.

DA : Parallèlement à la maîtrise d'oeuvre, quels sont les marchés publics où l'architecte peut être partie prenante ?
MH : Les architectes interviennent de plus en plus dans le cadre de contrats d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou de programmation. Fait plus rare, nous avons monté des opérations dans lesquelles le maître d'ouvrage délégué est un architecte. À cela s'ajoutent les marchés globaux et les PPP face auxquels les architectes sont parfois réticents, par volonté d'indépendance. Je suis convaincu que, quel que soit le type de contrat, l'architecte a toujours une possibilité d'agir.
Sa posture dans les marchés publics est d'ailleurs une question importante. Elle doit être abordée sous l'angle du montage de l'opération et sous l'angle contractuel. Il faut toujours garder en tête les modalités pratiques de répartition des tâches entre cotraitants, le forfait de rémunération, le rôle du mandataire commun, le traitement des demandes de modifications… Il faut aussi anticiper les litiges récurrents comme la défaillance de certaines entreprises ou les demandes de rémunération complémentaire.

DA : Votre ouvrage peut donc aider les architectes à se positionner et à négocier…
MH : Oui, pour les projets bâtis et les projets urbains. À travers quatre fonctions : la maîtrise d'oeuvre, bien sûr, mais aussi tous les autres marchés publics ayant trait à l'acte architectural et urbain, aménagement, maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'usage.
C'est un ouvrage résolument pratique qui dépasse le cadre habituel des marchés de maîtrise d'oeuvre de la loi MOP afin d'aider les professionnels à connaître, pour mieux les maîtriser, les procédures de passation et les modalités d'exécution des marchés publics. Nous intégrons les dernières réformes du code des marchés publics, du CCAG-PI et des assurances. Les montages d'opérations, les techniques de négociation et les problèmes les plus fréquents dans l'exécution des marchés sont analysés par le biais de cas concrets et sous forme de questions-réponses.
J'ai toujours milité pour que l'architecture soit institutionnalisée afin d'être reconnue comme discipline. Face au droit de la construction, je me suis donc attaché à faire reconnaître au titre de disciplines nouvelles le droit de l'architecture et le droit de l'urbain, enseignés depuis plus de vingt ans à l'université Paris II (Cercol).

DA : N'assiste-t-on pas à une judiciarisation excessive des relations contractuelles ?
MH et AB : Lorsque, dans les années 1990, la pratique des marchés publics, en particulier de maîtrise d'oeuvre, s'est imposée comme un domaine d'intervention important, notre clientèle s'est progressivement étendue aux bureaux d'études, aux paysagistes et aux économistes, puis aux maîtres d'ouvrage publics et aux aménageurs, avec un accroissement parallèle des litiges liés à l'urbanisme et à l'aménagement urbain. À partir des années 2000, le bouleversement des pratiques, né de la loi Solidarité et renouvellement urbain
(SRU) et du développement des thèmes environnementaux liés à la haute qualité environnementale et à la ville durable, a provoqué un redéploiement des architectes et un nouvel essor des activités de notre cabinet; mais principalement dans le domaine du conseil (aide au montage d'opérations) et non du contentieux. Parallèlement, l'imbrication du droit public et du droit privé s'accélère aujourd'hui en raison du développement des montages contractuels et financiers type conception-réalisation et PPP.

DA : Dans ce contexte, comment aider les architectes à défendre leurs intérêts ?
MH : Face aux intérêts libéraux et à l'accélération de la décomposition d'une société où chacun fait le constat affligeant de l'incapacité à maîtriser une évolution rationnelle, le droit est déstabilisé. Il n'apporte plus la pérennité d'antan et fonctionne de plus en plus par ordonnance, alors que les conflits d'intérêt donnaient lieu avant à des débats devant le Parlement. Dans ce contexte, les contentieux pourraient être de plus en plus nombreux, mais les architectes n'ont ni le temps, ni les moyens de s'y engager et ils craignent parfois des retours de bâton de la part des maîtres d'ouvrage.
Est-il pertinent de trop judiciariser les choses ? Autant que possible, mieux vaut éviter de monter les marches du palais ! Le rôle de l'avocat est d'abord maïeutique. En questionnant son client, il l'aide à préciser ses besoins et ses objectifs.
C'est à partir d'une analyse objective d'une situation qu'ils définissent ensemble l'éventail des stratégies possibles. Avant d'entraîner notre client dans une procédure potentiellement longue et coûteuse, nous l'aidons à préciser ses attentes en privilégiant la réussite de l'opération, autant que faire se peut au moindre coût et dans le respect du droit des créateurs. Pour cela, il convient de tisser l'habit juridique qui épouse les relations contractuelles et non pas s'obstiner à faire entrer les faits dans un montage juridique correct, mais abstrait et inadapté.
Si un règlement amiable est impossible, nous n'hésitons pas à saisir les tribunaux pour obtenir satisfaction. Récemment, nous avons obtenu du juge administratif qu'il sanctionne l'illégalité d'une procédure de concours et qu'il indemnise un groupement de maîtrise d'oeuvre de son préjudice : alors que ce groupement avait été classé en première position par le jury de concours, le maître d'ouvrage avait déclaré lauréat le candidat classé second, pour des motifs tirés non pas de l'appréciation du jury mais du rapport de la commission technique. C'est totalement irrégulier, compte tenu du rôle spécifiquement dévolu au jury.

DA : Que dire de la passation des marchés ?
AB : Nous abordons, bien sûr, les marchés de maîtrise d'oeuvre en décryptant chacune des grandes étapes d'un concours, tout comme les autres procédures utilisées pour la passation des divers marchés d'études ou d'assistance confiés à l'architecte : procédure négociée ou adaptée et appel d'offres.
Nous nous arrêtons également sur la technique de l'accord-cadre, celle du marché de conception-réalisation et du contrat partenariat. Nous évoquons ainsi les points de vigilance auxquels l'architecte doit être attentif pour préparer son dossier de candidature et son offre. Nous soulignons les obligations du pouvoir adjudicateur – par exemple dans la définition du programme ou l'information des candidats – et précisons les rôles de la commission technique et du jury. Nous traitons également la question des concours sans suite. Pour chaque thème, les litiges potentiels et la jurisprudence sont abordés à
travers des cas pratiques.

DA : Par ces temps de concurrence exacerbée, l'architecte peut-il vraiment négocier facilement ?
MH et AB : Les architectes signent trop facilement leurs contrats. Même si c'est parfois difficile en pratique, il ne faut pas oublier que le marché de maîtrise d'oeuvre issu d'un concours est un marché négocié et que tout est négociable dans les marchés publics. C'est d'autant plus vrai que les transformations progressives du rapport public/privé dans les marchés publics nous incitent à définir de nouvelles stratégies de négociations en associant des éléments de droit privé – objet, cause, consentement… – aux grandes notions du droit public comme la bonne foi, l'équité ou la loyauté.
On voit que la tendance des marchés publics va vers la négociation et le dialogue compétitif. Si rien n'est donc jamais perdu, il appartient cependant aux architectes de se familiariser avec l'esprit du droit et les outils qu'il leur apporte. Or ils ont rarement le temps de le faire. À Marseille, où nous avons monté une antenne, les architectes locaux nous disent qu'ils peinent de plus en plus à accéder aux marchés publics.
Après avoir organisé des consultations juridiques bénévoles afin de les aider à appréhender de façon concrète les problèmes rencontrés, nous avons mis au point des formations au sein des agences.

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