Architectes au charbon
La modernité du siècle passé envisageait le monde comme un territoire à conquérir, assainir et modeler au gré des idéologies nouvelles. Ce positivisme militant n’hésitait pas à faire table rase du passé. À rebours de cette arrogance, de plus en plus d’architectes s’attachent aujourd’hui à tenter de nous montrer la beauté du monde à travers ce que nous percevons d’abord comme laid ou inhospitalier.
La rarescence des ressources de la planète et de l’espace habitable, la prise de conscience par les architectes du rôle dérisoire qu’ils ont joué dans l’élaboration du paysage contemporain les poussent aujourd’hui à modifier radicalement leur attitude. Il leur faut désormais prendre le monde tel qu’il s’est imposé à nous, en annihiler la violence tout en en révélant les forces.
Jusqu’à leur déclin dans les années soixante-dix, les sites des grands bassins à charbon européens ont ainsi été victimes d’une terrible avidité dans l’exploitation de leurs ressources naturelles et humaines. Le pays minier est devenu le repoussoir des aspirations à un cadre de vie idéal. Le lieu même où il ne faisait pas bon vivre, comme en témoignait avec ironie Bienvenue chez les Ch’tis.
La formidable métamorphose de ces territoires depuis les années quatre-vingt-dix, de la Ruhr à Lens en passant par Mons en Belgique, montre combien l’art des paysagistes et des architectes sait puiser dans la part sombre des choses pour en révéler des éclats inattendus. « La vraie beauté est si particulière, si nouvelle, qu’on ne la reconnaît pas pour la beauté », écrivait Proust. Et qui d’autre que l’auteur du Côté de Guermantes a si justement su, par la grâce d’une écriture novatrice, parler du passé sans laisser la nostalgie embaumer son reflet. C’est un peu ce qu’ont fait les maîtres d’œuvre des transformations actuelles de ces grands sites miniers que nous vous présentons ce mois-ci. Koolhaas, Nouvel, Sejima & Nishizawa, entre autres, ont su magnifier cet héritage réprouvé sans jamais céder au passéisme.