Dans l’histoire des sciences et des techniques, lorsqu’une avancée significative permet l’émergence de nouveaux outils de conception, on peut généralement observer deux types de réaction parmi leurs utilisateurs. Ceux qui vont les employer pour faire ce qu’il faisaient ou voulaient faire avant, mais qui était laborieux, difficile, voire impossible à réaliser. Et puis ceux qui, considérant le nouvel outil davantage pour ce qu’il est que pour ce qu’il offre, vont s’en saisir pour inventer une autre façon de voir le monde : une esthétique nouvelle. Ainsi, l’importance de l’apparition de la perspective au X Ve siècle ne réside pas dans sa faculté de faciliter une représentation plus réaliste du monde mais dans celle de bouleverser la relation qui nous liait à lui. C’est, schématiquement, ce qui distingue l’attitude du créatif de celle de l’artiste. Dans la construction, le développement des logiciels de conception 3D a ainsi engendré ces dernières années un nombre considérable de projets dont l’ aspect était directement lié à leurs étonnantes propriétés. On les a, par défaut, qualifiés de non-standard jusqu’à ce que leur succès médiatique en fasse un nouveau conformisme. Sous cette étiquette, se cachent cependant des projets d’ architectes dont les motifs diffèrent radicalement: certains se saisissent de ces nouveaux logiciels afin d’approfondir et de pousser plus loin leur travail. Ou pour faire ce qu’ils n’osaient, ou ne savaient pas faire avant. Mais d’autres poursuivent une vraie réflexion sur la valeur intrinsèque de ces outils. Des re c h e rches de ces derniers naîtra certainement le véritable renouvellement du langage de l’architecture. Sommes-nous aujourd’hui au seuil d’une révolution ou assistons-nous simplement à une évolution des pratiques traditionnelles? Voulant mieux
comprendre les enjeux et les impostures de ces mutations, nous avons interrogé quatre grands spécialistes de ces questions, historien, ingénieurs et architectes. Nous avons accompagné ces entretiens des dernières images que le photographe Ben McMillan nous a envoyées de Pékin sur les grands chantiers des Jeux olympiques.
Emmanuel Caille