Ancré dans le présent, Drone flirte avec la science-fiction. On reconnaît dans ce premier long-métrage de Simon Bouisson l’École d’architecture de Paris-Belleville, où l’héroïne étudie, et les locaux de l’agence LAN, bureaux de Cédric Kahn. Le réalisateur du Procès Goldman (2023), ici acteur, incarne un enseignant de projet, patron d’agence opaque et charismatique. Arpentant la nef du Hangar Y à Meudon, il débite des lieux communs : « Réinvestir symboliquement un espace, abolir les frontières, c’est ça le travail de l’architecte. » Le film insiste sur l’écartèlement entre virtuel et réel ; où l’emprise technologique accompagne le réemploi et la réhabilitation.
De Montreuil à New York
La technologie se manifeste dans Drone comme un bienfait et une menace pour l’héroïne qui utilise casques de réalité virtuelle ou scanners laser 3D dans son travail et une webcam pour financer ses études comme camgirl à la nuit tombée. Sa vie est perturbée par l’irruption d’un drone au comportement passif-agressif, présence à la fois bienveillante et menaçante. L’intérêt du film réside dans la réussite du design de l’appareil, à mi-chemin entre l’avion furtif et le coléoptère, œil silencieux dérivant en ouverture dans un plan-séquence ascensionnel le long de la grande tour du quartier de La Noue à Montreuil, où elle réside. Les fenêtres-vignettes offrent des scènes nocturnes muettes de la vie domestique à des spectateurs voyeurs qui ne perçoivent plus le bâtiment comme une architecture, mais comme un théâtre.
De l’autre côté de l’Atlantique, Manhattan devient une méga-scène d’opéra sous la direction de Francis Ford Coppola qui déploie sa vision politique de l’urbanisme dans le dystopique Megalopolis. Adam Driver, architecte, œuvre à contre-courant, voulant remodeler les quartiers insalubres comme un self-made (Hauss)man(n). Il envisage de convertir la brique et le béton en fractales organiques de mégalon, un matériau qu’il a inventé et qui peut également remplacer la chair, comme la patte amputée d’un chien. L’architecte démiurge rêve sa ville idéale sous les combles du Chrysler Building où est installée son agence-résidence. « Voici mon plan : une ville dont les gens peuvent rêver », déclare-t-il. Deus ex machina, une catastrophe rase la ville et lui permet de mettre en œuvre son grand chantier. Plaidoyer pour l’altruisme, Megalopolis s’oppose à la plus célèbre fiction d’architecture, Le Rebelle de King Vidor (1949), avec Gary Cooper en architecte minéral et buté.
Démocrature
Le film de Coppola commence là où s’arrête celui de Vidor : un traveling vertical en ascenseur de chantier mène l’héroïne Dominique Francon (Patricia Neal) à Howard Roark (Gary Cooper), droit comme un IPN au sommet de la plus haute tour de la ville, quand Adam Driver, tout en élasticité dans la scène inaugurale, semble prêt à se jeter du haut de son gratte-ciel. Le Rebelle est l’adaptation de La Source vive, écrit en 1943 par Ayn Rand, la romancière qui a inspiré les idées libertariennes d’Elon Musk et Donald Trump. La théorie du livre, reprise dans le film via un discours à la fois victimaire et victorieux de l’architecte, passe difficilement dans le monde polarisé d’aujourd’hui. Gary Cooper y plaide pour un individualisme pur et dur, bien loin du personnage de Megalopolis qui prône l’human friendliness – l’humanité solidaire. Frank Lloyd Wright au Rockefeller Center en 1935, présentant son utopie urbaine Broadacre City1 comme une solution à la dépression économique, est un modèle possible pour les protagonistes de ces deux longs-métrages.
Anticipations
L’architecte figurera cet axe médian entre le rêve et la société dans deux productions attendues pour 2025. Autant de processus sisyphéens qui éreintent des victimes exogènes en leur territoire. Dans The Brutalist de Brady Corbet en salle en février 2025, on assistera pendant 3 heures et 30 minutes à l’ascension d’un émigré hongrois (Adrien Brody), ancien élève du Bauhaus et rescapé des camps, confronté à (...)
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