Vers la fin du logement ultrastandard ?

Rédigé par Benoit JOLY
Publié le 03/04/2018

Lauréat du projet Passerelles à Jointville-le-Pont, Eiffage Construction et Lankry Architectes

Article paru dans d'A n°261

Tandis que les architectes se mobilisent contre la loi ELAN, soucieux de préserver un niveau de qualité architecturale dans l’habitat social, s’opèrent en parallèle des expérimentations significatives dans la promotion privée. Depuis maintenant un an que son site internet est en ligne, la start-up HABX ambitionne d’incarner le chaînon manquant entre les particuliers et les opérateurs. Elle leur propose de co-concevoir en amont du permis de construire des logements entièrement personnalisés : en quelques clics, les particuliers enfilent les habits du maître d’ouvrage et définissent un programme idéal en fonction de leur budget. Aux architectes ensuite de tout faire rentrer dans le gabarit de leurs bâtiments. Benjamin Delaux, aux manettes de cette « proptech spécialisée dans le crowdbuilding » 100 % française, nous livre ses premiers retours d’expérience en s’appuyant sur les nouvelles typologies d’appartements qu’il voit émerger.

D’a : Comment est née l’idée d’HABX ?

Benjamin Delaux : HABX est un produit qui a été conçu avec et pour les architectes. Nous avons trop souffert de subir des opérations stéréotypées et standardisées qui ont le même nombre d’appartements, tous calqués sur le même modèle, qu’ils soient à Boulogne-sur-Mer ou à Nice. Après un début dans la grande distribution, je me suis passionné pour l’immobilier. J’ai passé un DESS de programmation urbaine et architecturale en 2003, pour travailler ensuite sur des objets urbains mixtes, avec des produits très novateurs comme les résidences intergénérationnelles, des pôles de compétences urbaines et des métiers de la ville… À chaque fois que nous abordions les programmes de logements, nous nous retrouvions dans des situations assez difficiles. L’idée d’HABX est née en 2011 durant une étude urbaine que l’on menait à Bordeaux, dans le cadre de la création de 50 000 logements. C’était pour une ZAC dotée de transports en commun, avec l’architecte-urbaniste Djamel Klouche. Un jour, je lui ai posé cette question : « Et si on demandait aux particuliers ce qu’ils veulent vraiment en termes de logement ? » Nous souhaitions sortir du dogme politique des élus qui, pour telle ou telle raison, ciblent une catégorie d’habitants et donc orientent la production des logements en conséquence. Et nous souhaitions également nous écarter de la volonté des promoteurs qui visent les meilleurs résultats sur leurs opérations, en obéissant aux exigences de leurs actionnaires. Nous nous sommes dit qu’en replaçant les usagers au cœur du processus, nous pourrions à nouveau normaliser le système. L’idée étant de sortir du choc de l’offre en passant au choc de la demande.

 

D’a : Votre site internet s’adresse aux particuliers qui peuvent formuler leur projet idéal en ligne. Mais comment travaillez-vous avec les architectes ?

L’architecte d’une opération établit une volumétrie, une image architecturale, le positionnement de son immeuble. Il tient la maîtrise d’œuvre de son projet. Notre rôle est de lui proposer – en fonction de la demande des futurs acquéreurs – des typologies de logements spécifiques. Par exemple, un 85 m2 au troisième étage plutôt orienté sud, dans lequel il y aurait tel type de salle de bains et de cuisine. Nous dessinons un plan de principe pour que nos clients puissent le valider et qui serve de base de travail à l’architecte ensuite. Tout architecte est content de savoir qu’il travaille de façon sensible pour des personnes qu’on a identifiées, plutôt que sur des produits désincarnés. D’autant que nous n’influons pas sur l’architecture de l’immeuble ; nous travaillons dans un volume capable. Certes, ce volume va peut-être se déformer et se distordre un petit peu à la demande des utilisateurs, mais les requêtes formulées par les particuliers restent rationnelles. Personne ne nous a encore demandé de salons triangulaires ou de salles de bains rondes. Par ailleurs, nous développons un outil BIM de relation maîtrise d’ouvrage-maîtrise d’œuvre en open source qui permettra en live de positionner cette demande et cette typologie sur les plans de niveaux. L’architecte travaille sur la partie qualitative et sensible du projet, détermine le fonctionnement des logements, leur articulation dans le bâtiment, l’impact sur les façades…

 

D’a : Votre site internet offre la possibilité d’enrichir les projets de jardins partagés ou de buanderies sur le modèle des coopératives… Comment êtes-vous amenés à prédéfinir tous ces programmes ?

Effectivement, quand on a réfléchi à HABX, à partir de 2012-2013, il y avait dans la loi ALUR un volet participatif. Nous nous sommes demandé si le logement participatif n’était pas un modèle qui pouvait redonner un peu de qualité d’usage et faire flancher les prix du logement. Nous avons vite trouvé compliqué d’inclure les gens dans la phase de conception – le caractère latin rend difficile le coopératif en France. Donc HABX repose surtout sur un modèle collaboratif où chacun fait ce qui lui plaît, mais le fait de son côté. Et grâce à nos outils, nous assemblons toute cette demande pour en faire quelque chose de productif, dans des délais raisonnables. Quant aux espaces partagés, ils ne sont pas définitifs mais juste proposés. Ils sont issus d’une discussion que nous avons avec le promoteur, sur la capacité à dédier des espaces partagés dans une résidence. Ensuite s’établit un vote des futurs habitants, qui vont effectivement pouvoir choisir entre une salle de sport ou un potager, un appartement à partager ou un espace de coworking. Dans le 13e arrondissement, nous venons de démarrer le chantier d’un projet de Manuelle Gautrand qui a été lauréat de Réinventer Paris. Tous les acquéreurs sont copropriétaires de deux ateliers, d’un potager, d’une terrasse partagée, d’une salle de sport ainsi que d’un local commercial de 70 m² en pied d’immeuble. Il va leur permettre – au travers de la location – de couvrir leurs charges de copropriété.

 

D’a : Depuis maintenant un an que le site est ouvert, quels sont les constats que vous effectuez sur les demandes formulées par les particuliers ?

Nous observons – dans les programmes en général, et dans les opérations en particulier – de nombreux cas intéressants. Prenons l’exemple du fameux T3 qui, à partir de l’imposition des normes PMR, devient un espace absolument inutilisable, puisqu’il faut traverser la chambre pour aller aux toilettes ou dans lequel on peut faire sa vaisselle depuis son canapé. Le T3, dans les demandes que nous recevons, disparaît complètement. Or, cette disparition s’exerce au profit de grands T2. Ces T2 sont boostés par l’accession à la propriété, par de jeunes couples. Ces primo-accédants n’ont pas envie d’un T2 réduit à 38 m2, mais plutôt étendu à 50 ou 60 m2. Un couple de retraités a même souhaité réaliser un T2 de 80 m2 avec un très grand espace de vie : une cuisine fermée de 25 m2, un salon de 30 m2 puis une chambre avec salle de bains plus modeste. Nous programmons aussi de grands T4 – entre 90 et 110 m2 – pour des couples avec deux enfants qui ont envie de vivre confortablement. Fait encore plus surprenant, nous programmons plusieurs T6, ce qu’on ne voyait plus depuis plus longtemps. À Bussy-Saint-Georges, dans une opération d’Epamarne/Epafrance avec qui nous avons signé une convention de partenariat la semaine dernière, nous avons eu quatre demandes de T6 allant de 126 à 150 m2 dans une opération de 80 logements.

 

Nous observons globalement une dédensification des programmes, où les surfaces de logement sont sensiblement plus grandes. Récemment, pour une opération dans un secteur plutôt tendu – à Sartrouville – nous sommes passés de 54 à 41 logements, avec une surface moyenne de logements qui a basculé de 54 à 67 m2.

 

D’a : Vous affirmez que votre outil permet d’optimiser les prix. Sur quels postes les économies portent-elles ?

Il y a d’abord une économie de risque pour les opérateurs. Le fait de demander aux clients en amont ce qu’ils souhaitent réduit le risque commercial, financier. Il y a ensuite une compression des coûts de distribution. Quand vous fabriquez un produit sans savoir pour qui, il vous faut ensuite trouver cette personne, faire de la publicité, des dépenses marketing. Le modèle HABX – au-delà d’intriguer – intéresse aujourd’hui fortement puisqu’il a fait ses premières preuves. Il existe en France nombre de petits et moyens opérateurs qui peuvent avoir du mal à gérer cette question programmatique avec les collectivités. Depuis la semaine dernière, nous apportons des solutions de financements de développement de leurs opérations extrêmement bonifiées, à partir du moment où elles sont développées sur le modèle d’HABX. Enfin, en termes d’économies de projet, il y a le coût technique. Quand un opérateur prévoit à la base une opération d’immeuble de 55 logements, et qu’au final avec HABX il n’en compte que 41, des économies sont réalisées de facto. Ce sont 41 portes d’entrée et non 55, autant de compteurs électriques… cela permet de placer les budgets ailleurs.

 

D’a : Vous étiez au MIPIM récemment. Quel rôle y joue aujourd’hui la proptech ?

Selon nous, on ne fera pas des villes numériques parce que nous resterons des hommes en chair et en os qui ont besoin de vivre dans des villes physiques. Je trouve que la proptech s’est beaucoup placée sur le champ de la numérisation, avec le BIM, la réalité augmentée, les visites virtuelles, etc. Pour nous, la digitalisation de l’immobilier passe par la personnalisation. De la même manière qu’on peut aujourd’hui personnaliser ses chaussures ou sa voiture sans aucune difficulté sur internet. C’est l’idée de replacer les utilisateurs et les habitants au cœur du dispositif. Nous nous plaçons non pas comme support, mais comme média.

 

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