D’a : Peut-on établir une corrélation entre la manière de résoudre le génie climatique par des modèles industrialisés et la pression exercée sur le bâtiment pour optimiser ses ratios de surfaces (compacité des façades, rapports vides/pleins, hauteurs sous plancher…) ? Autrement dit, le confort thermique préconisé ces dernières décennies n’éclaire-t-il pas le contexte économique et normatif auquel sont soumis les architectes ?
Il y a effectivement une date clé, 1974, qui coïncide avec la première réglementation thermique et qui marque un tournant dans la construction et la gestion des bâtiments. Époque du premier choc pétrolier et du choix du nucléaire en France, une énergie chère et peu efficace. Il faut donc économiser sur les consommations de chauffage électrique en renforçant l’isolation des bâtiments et son corollaire, assurer le renouvellement de l’air hygiénique sans avoir à ouvrir les fenêtres. L’une des conséquences de cette politique est la montée en puissance des ventilations mécaniques qui deviennent hégémoniques à partir des années 1980. Indéniablement, on a privilégié la machine censée être fiable plutôt que l’architecture et ses dispositifs passifs, la France ayant toujours accordé un grand pouvoir à la culture des ingénieurs. Une illusion car cette machine peut aussi être mal calculée, mal mise en œuvre et mal entretenue.
En matière de confort d’été, on peut dire sans détour qu’il nous a été complètement indifférent jusqu’à la nouvelle réglementation RE2020, même s’il y avait bien quelques indicateurs auparavant, peu exigeants, comme la TIC (température intérieure conventionnelle). Aujourd’hui, on prend la mesure de tous ces efforts portés à l’amélioration des conditions d’hiver, qui ont eu pour effet de dégrader les conditions d’été. Un sujet crucial avec le changement climatique… Mais la voie royale proposée reste toujours celle de la machine, en l’occurrence la climatisation.
D’a : La nouvelle réglementation RE2020 prend-elle davantage en considération le confort d’été ?
Comme les autres réglementations thermiques, la RE2020 a été conçue dans un esprit très techniciste mais elle introduit un nouvel indicateur pour le confort d’été, le « degré.heure » (DH) d’été, qui doit permettre d’éliminer les solutions les plus mauvaises. Ce dernier est plus pertinent que les précédents avec cependant la même limite : il ne prend toujours pas en compte la vitesse de l’air, un facteur essentiel dans toutes les solutions passives de rafraîchissement. Ce constat s’applique aussi à la norme ISO 7730, rédigée en 1977, qui continue de gouverner le monde du bâtiment alors qu’elle est obsolète. Si elle décrit assez bien les modalités du confort thermique d’hiver à l’intérieur d’un local, elle sous-estime le poids de la vitesse de l’air sur le confort en été et impose de fait le climatiseur comme seul outil à disposition pour rafraîchir l’air. Les normes ne sont jamais neutres, elles poussent toujours dans un sens pour donner un marché suffisant aux industriels.
D’a : On oppose souvent les surcoûts qu’engendrent les dispositifs de ventilation naturelle et de rafraîchissement passif dans les bâtiments…
C’est une certitude, les systèmes de ventilation mécanique et les pompes à chaleur réversibles mises sur le marché ont un coût attractif et l’on peut comprendre les réticences des maîtres d’ouvrage à recourir à des solutions alternatives. Ces solutions bousculent aussi la mécanique bien huilée qu’on applique à chaque programme. Si l’on prend l’exemple des logements collectifs, les techniques de rafraîchissement passif répandues dans les pays chauds misent sur la ventilation traversante de façade à façade. Une difficulté pour nos maîtres d’ouvrage car cela oblige à limiter le nombre de logements par cage d’escalier et donc à multiplier ces cages d’escalier, faute de vouloir recourir à la coursive. Cette ventilation traversante doit aussi profiter aux pièces humides qu’il faut arrêter de « mettre dans des placards ». Ces options ont une incidence sur le linéaire de façade, qui devient plus important. Il convient aussi de mettre en place un bouclier solaire et donc d’équiper le bâtiment de protections en toitures et façades, même celles exposées au nord ensoleillées l’été. Il y a donc de vraies raisons d’augmentation des coûts de construction mais au bénéfice de quel confort ! Les maîtres d’ouvrage seront amenés à reconsidérer certains impératifs dans le contexte du réchauffement climatique.
D’a : Certains bâtiments bénéficient de dispositifs de rafraîchissement low-tech mais avec une automatisation qui entraîne une gestion à la Big Brother…
Encore un réflexe d’ingénieur ! On n’est pas obligé de tout automatiser, on devrait faire davantage confiance à l’intelligence de l’occupant. Un bâtiment ne fonctionne pas comme une voiture, il est donc préférable de limiter au strict minimum ces automatismes qui nous font perdre, à nous autres utilisateurs, la relation à l’environnement. On en vient à (...)