Un travail collaboratif et itératif s’est développé dans la durée, et le dialogue engagé comme l’ambition partagée nous ont permis d’apporter les réponses architecturales et paysagères adéquates aux contraintes techniques et réglementaires, financières et calendaires. C’est ainsi que le projet put prendre une valeur de manifeste, dans le territoire du bassin minier tout comme dans le champ patrimonial.
Partir de la mémoire du lieu pour concevoir le projet, c’est ma manière d’aborder, de penser l’architecture : commencer chaque projet par une phase de recherche en archives et sur le terrain pour reconstituer l’histoire du lieu, sa formation, l’aménagement du terrain comme la construction des bâtiments, les transformations qui y ont été apportées au fil des ans, pour en donner au final une transcription graphique dynamique.
Le même travail a été mené à l’échelle des jardins comme de chacun des bâtiments – barreaux1 et carins2 –, d’abord en s’intéressant à leur typologie en termes d’habitat puis à leur construction, qu’il s’agisse du clos et du couvert comme du second œuvre – notamment les menuiseries, certaines étant encore d’origine, les autres plus ou moins récentes, ou encore les innombrables couches de papiers peints comme autant de traces d’occupations et de vies successives.
La restauration des bâtiments s’est trouvée grandement facilitée par toutes ces recherches menées en amont mais pas seulement ; une fois la décision prise d’installer l’espace du centre d’interprétation portant sur le paysage minier dans un nouveau bâtiment afin d’éviter de trop lourdes interventions sur des bâtiments existants trop fragiles, la solution de l’implanter sur l’emprise d’une construction démolie est apparue comme une évidence partagée avec la maîtrise d’ouvrage comme avec l’architecte des bâtiments de France. Dès lors se posait la question de l’architecture contemporaine et de son écriture, la mémoire du lieu est devenue la matière vivante du projet tant en matière de formes, de matière que de couleur.
La notion de « patrimoine culturel évolutif et vivant » utilisée pour qualifier le bassin minier lors de son inscription au patrimoine mondial en 2012 rejoint parfaitement notre approche de l’architecture, que je vois comme une « œuvre ouverte » au sens d’Umberto Eco.
Réflexion et vibration
À la Cité des électriciens, on est en plein rouge et noir ! Pas au sens stendhalien du terme, mais au sens des matériaux : la brique et le charbon sont constitutifs de l’histoire du territoire comme du génie du lieu. Sans la présence du charbon, cette cité n’aurait jamais été construite. Si la géographie fonde toujours l’histoire d’un site, sa géologie explique la matérialité de ses constructions.
S’il existe toutes sortes de manières de construire un mur en briques, celle employée à la cité est l’une des plus simples qui soit ; cela ne nous a pas empêchés d’en tirer parti lorsqu’il s’est agi d’amener de la lumière à l’intérieur des logements en retirant simplement certaines briques, faisant ainsi apparaître le dessin de l’opus utilisé. Pour le nouveau bâtiment, l’emploi des briques comme des tuiles semblait donc aller de soi. Portant une forte ambition environnementale, pour la structure du nouveau bâtiment nous avons remplacé la brique par le bois sous forme de portiques. Pour vêtir cette ossature, la tuile vernissée s’est imposée comme une évidence, pour sa grande pérennité, et aussi pour faire écho aux briques vernissées ornant à l’époque les plus belles maisons. En écho au rouge brique, avec le choix de la couleur rubis, le ciel s’y reflète et le soleil fait vibrer le nouveau corps de bâtiment, lui conférant une présence changeante.
L’analyse des matériaux employés a donc débouché sur des questionnements et des solutions quant aux matériaux à mettre en œuvre dans notre projet. Suivant la même démarche, nous avons choisi, pour l’isolation des bâtiments neuf ou existant, d’employer des copeaux de bois et un isolant textile, le Métisse, produit localement par des personnes en réinsertion à partir du recyclage notamment de jeans, tout comme pour la vêture intérieure du nouveau bâtiment du bois d’aulne produit localement.
Ces choix se sont inscrits dans la réflexion plus large que nous avons menée au cours des études dans le cadre du concours Bas Carbone lancé par EDF autour de la question de l’énergie. Le projet a ainsi été l’occasion pour notre équipe de mener, parallèlement à la recherche historique préalable, une forme de recherche-action, toutes deux ayant un impact direct sur la conception et la réalisation.
L’architecture et la mémoire, une fois de plus, dialoguent dans les formes et les matériaux à travers une approche cherchant à faire corps avec ce qui préexiste, à le remettre en lumière, à tisser des liens entre hier et demain.
Patrimonial rimant avec durable, lorsqu’on intervient sur des bâtiments qui ont cent cinquante ans d’âge, on se doit d’être particulièrement attentionné à leur égard pour leur assurer une nouvelle vie la plus longue possible. De ce point de vue, la bonne définition des travaux à mettre en œuvre est gage d’une pérennité prolongée, le contraire d’une dégradation accélérée. Au final, la qualité d’un projet dépend du dialogue que l’architecte aura su nouer avec l’édifice.
Les multiples temporalités de la vie sur le site sont, elles aussi, extrêmement importantes ; elles sont même le gage du succès de l’opération. Elles sont représentées par cette dizaine de familles qui habitent sur place à l’année, mais aussi par ces artistes en résidence qui peuvent être là pour quelques semaines, parfois quelques mois, par les utilisateurs des gîtes pour une ou plusieurs nuits, sans oublier les visiteurs qui viennent passer là quelques heures seulement. Ces quatre temporalités, ces quatre types d’habitants donnent à la Cité des électriciens sa dimension utopique de la société.
1. Rangée de plusieurs corons.
2. Remise ou appentis typique de la région.