Un colibri au pays d’Airbus

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 15/11/2019

La terrasse accessible

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°276

Le pôle culturel de Cornebarrieu conçu par Philippe Madec est situé tout près de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Tant à l’échelle du paysage que de ses matériaux, c’est un remarquable exemple d’architecture écologique. À la manière du colibri de Pierre Rabhi, l’architecte « fait sa part », dans le contexte ultra-carboné d’une aire suburbaine dédiée à l’industrie aéronautique. 

L’édifice se tient sur la rive gauche de l’Aussonnelle, affluent de la Garonne, à mi-distance de la colline du bourg ancien et d’un coteau qui accueille un écoquartier dessiné par les ateliers Obras, Fortier et Desvigne. Situé dans le creux du vallon, en zone inondable, le pôle culturel est légèrement décollé du sol, pour échapper aux crues. Il s’aligne à l’ouest sur une ligne de digue qui le protège d’un vaste plan d’eau paysager destiné à accueillir les eaux de ruissellement du nouveau quartier. À l’est, la frondaison sinueuse de la ripisylve referme son horizon, dont seul émerge le beau clocher en brique du vieux village.

Philippe Madec réunit sous une grande toiture-terrasse trois équipements municipaux : une salle de spectacle, une salle de conférences et une médiathèque. Son architecture est très marquée par une grille en bois qui rythme les façades et qui maintient la continuité plastique d’un ensemble programmatiquement hétérogène. Cette trame structurelle est ponctuée d’éléments divers, en bardage bois, en brique, ou en pans de verre. Comme un couronnement, la terrasse prend la forme d’une rampe en bois qui monte d’un étage autour du volume de la salle de spectacle avant d’aboutir sur une grande plateforme habitée de pyramides énigmatiques, au-dessus de la médiathèque. Dessinée comme le pont d’un navire, cette toiture permet de découvrir le paysage et de comprendre sa topographie.

Cette architecture poreuse dégage de nombreux cadrages sur l’extérieur, variés et traversants. Sa composition très libre englobe les trois programmes autonomes dans un espace plus vaste de halls et de circulations, générant une promenade architecturale jusqu’à la terrasse. Elle offre des parcours riches et ludiques, parfois au risque d’une certaine confusion due au grand nombre d’éléments assemblés qui participent à la composition. La salle de spectacle, d’une jauge de 350 places, dispose d’un fond de scène qui peut s’ouvrir au sud sur un théâtre de verdure, retournant ainsi le dispositif scénique à la belle saison. Pour des raisons d’acoustique, notamment de nuisance du trafic aérien, cette salle a été construite en béton, puis habillée de bois. Sur son premier niveau, elle est flanquée de locaux de service et de stockage situés sous la rampe d’accès à la terrasse tandis que son volume utile émerge au-dessus de la toiture. 

 

La fonction porteuse de la terre crue

La salle de conférences, de forme elliptique, occupe le centre du hall d’accueil traversant. Elle est faite de briques de terre crue compressée (BTC), mélange d’argile locale et d’un peu de chaux pour la stabiliser. Sa fonction porteuse, une première en France, a nécessité la délivrance d’une ATEx (appréciation technique d’expérimentation) après des essais au CSTB, pour vérifier son comportement mécanique et sa résistance au feu. Projets après projets, la filière de la terre crue se dote des agréments nécessaires qui permettront son usage banalisé dans quelques années. Ses qualités d’inertie thermique et de régulation de l’humidité de l’air en font un matériau très confortable que la modernité avait oublié. Elle présente l’avantage d’être un matériau naturel, peu transformé et donc peu carboné. Tout comme le Douglas utilisé, qui provient du massif forestier français, même s’il est ici utilisé sous ses formes industrielles, en lamellé-collé et CLT.

La médiathèque se déploie quant à elle sur les deux étages de la partie nord de l’édifice. L’Atelier Madec a résolu la difficulté de l’éclairage naturel d’un bâtiment épais en ponctuant la toiture de pyramides tronquées qui apportent la lumière zénithale au cœur des espaces. Ces volumes saillants accueillent aussi les cheminées de ventilation naturelle qui renouvellent l’air intérieur. Ce dispositif de ventilation naturelle assistée contrôlée (VNAC) gère le débit de renouvellement d’air sans avoir recours aux traditionnelles CTA (centrales de traitement d’Air) consommatrices d’énergie et dont les réseaux de gaines ont la fâcheuse habitude de faire baisser les hauteurs sous plafond. Ici, l’air et la lumière suivent le même chemin et dessinent des espaces aux volumétries généreuses. La médiathèque est chauffée au bois et ne consomme pas plus de 15 kWh/m2/an, soit le standard passif, grâce aux apports solaires et à une très bonne isolation.

L’atelier Madec livre un édifice généreux et attractif, apprécié pour son confort. Son travail sur les matériaux naturels, locaux, peu transformés ne va sans doute pas toujours aussi loin que nous pourrions l’espérer, mais le renouvellement de nos pratiques constructives est une affaire lente et il est difficile de mener plusieurs fronts par chantier. Ici, la brique de terre crue progresse, et nous pourrons bientôt l’utiliser normalement comme élément porteur, ce qui n’était pas le cas avant ce projet. Il démontre aussi que la ventilation naturelle est une solution crédible pour se passer d’équipements techniques sophistiqués qui mettent la qualité de l’air intérieur à la merci d’un filtre bouché. C’est déjà beaucoup et, si chaque projet engagé dans la transition écologique visait à faire avancer d’un petit pas supplémentaire des réglementations héritées de l’ère du carbone, il aurait fait sa part.

La grande terrasse recouverte de bois est sans doute le lieu le plus agréable de l’édifice. Les utilisateurs de la médiathèque peuvent venir y lire un livre, au soleil ou à l’ombre de ses pyramides. Elle forme un belvédère qui nous relie à ce grand paysage que les infrastructures distendues des aires périphériques finissent par nous faire perdre de vue. Pourtant, sur cette plateforme si plaisante, tournoient au-dessus de nos têtes, à basse altitude, des Airbus flambant neufs dont le vrombissement ne semble ici étonner personne. C’est que nous sommes juste en dessous de l’arène d’essais de l’avionneur, dont les ateliers produisent à un rythme d’enfer pour un carnet de commandes rempli pour de longues années grâce au boom du transport aérien, grand émetteur de gaz à effet de serre. C’est la vitalité économique de l’industrie aéronautique qui donne à la commune de Cornebarrieu l’aisance suffisante pour financer un écoquartier et un pôle culturel écologique. Ce paradoxe n’était bien entendu pas une raison de laisser s’installer les marées pavillonnaires et des équipements publics construits comme au XXe siècle. Mais cette situation caricaturale révèle sous une lumière crue l’immense difficulté à penser la transition de notre civilisation occidentale vers un monde post-carbone. 

 

[ Maître d’ouvrage : Ville de Cornebarrieu – Programme : pôle culturel municipal (salle de spectacle, salle de conférences, médiathèque) – Surface : 2 710 m2 – Coût : 7,3 millions d’euros HT – Livraison : 2017 ]

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