(Sur) interprétée ? L’essor des centres d’interprétation

Rédigé par Soline NIVET
Publié le 25/06/2018

Présentation au dernier MIPIM (printemps 2018) de la maquette du projet urbain porté par le groupe Eiffage autour de la Cité internationale de la gastronomie (Anthony Béchu et Perrot & Richard, architectes) à Dijon.

Dossier réalisé par Soline NIVET
Dossier publié dans le d'A n°264

Depuis une quinzaine d’années, la construction des centres d’interprétation s’est multipliée en France, notamment dans les territoires ruraux. Importé d’Amérique du Nord – où il a été d’abord développé dans les parcs naturels â€“, ce programme relativement récent consiste à valoriser un territoire à partir de son histoire ou de son patrimoine au moyen d’une installation pédagogique et interactive. Quel est le rôle de l’architecture dans ces musées sans collection qui s’appuient sur l’émotion et l’expérience plutôt que sur l’explication pour construire leurs narrations ?

Lointain descendant de nos anciens écomusées, un centre d’interprétation est une sorte de musée sans collection, qui place la dimension expérientielle au cœur de son projet muséographique. Au moyen d’objets et de dispositifs interactifs, sa vocation est de permettre de mieux comprendre un patrimoine, un site, un métier ou un personnage local en mobilisant avant tout les émotions des visiteurs. Sous la maîtrise d’ouvrage des agglomérations, des communautés de communes mais aussi parfois de filières professionnelles, le centre d’interprétation est censé contribuer à l’image d’un territoire à partir d’une thématique identifiée.

Qu’il s’agisse d’une bataille, d’un bassin industriel ou d’une appellation d’origine contrôlée, la conception des centres d’interprétation exige dès la phase concours que les projets associent très étroitement architecture, scénographie et dispositifs multimédias, et les programmes insistent tous sur la dimension narrative et ludique attendue des projets architecturaux. L’exercice est subtil pour les architectes, sur la corde raide entre effacement derrière le territoire à révéler et illustration plus littérale de la thématique à célébrer. Reste à savoir, par ailleurs, où se situera le point de saturation de cette thématisation accélérée des territoires ?

Car, récemment, la notion d’interprétation s’est encore étendue jusqu’au patrimoine culinaire, depuis que l’Unesco a inscrit, il y a huit ans, le repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Depuis, les vignobles champenois et bourguignon ont également rejoint le patrimoine mondial, et le camembert de Normandie et la baguette de pain sont entrés en lice ! Tandis que les villes de Lyon, Rungis, Tours et Dijon se constituaient en un « Réseau des cités de la gastronomie Â», le label « Sites remarquables du goût Â», instauré dans les années 1990 par les ministères de l’Agriculture et de la Pêche, du Tourisme, de la Culture et de l’Écologie continuait d’être décerné à de nouveaux territoires.

 

L’architecture des sensations

Pour construire sa lisibilité gastronomique, un territoire doit associer un produit alimentaire emblématique à un patrimoine environnemental et architectural exceptionnel et à des infrastructures d’accueil permettant au public de saisir la nature de leur relation. Dans la majorité des cas, ces infrastructures prennent la forme de parcours pédagogiques et de dispositifs d’exposition installés dans des architectures vernaculaires existantes. Parfois, succès oblige, elles s’agrandissent et font l’objet d’une nouvelle programmation architecturale. C’est le cas de la Maison du comté à Poligny (Amiot-Lombard, architectes, livraison prévue en 2020) ou du Centre d’interprétation sensorielle des vins de champagne à Aÿ, dont le concours est présenté ci-contre (Philéas, architectes lauréats).

Cette catégorie d’équipements touristiques relève du centre d’interprétation puisqu’il s’agit, au moyen d’expériences ludiques, pédagogiques ou sensorielles, d’y évoquer un sens (le goût) au moyen des quatre autres. Les dispositifs interactifs numériques y sont beaucoup mis en œuvre, mais pas seulement puisque l’architecture y est mobilisée autant comme un contenant que comme l’expression des sensations gustatives et des savoir-faire mobilisés par les filières locales.

Notre Guggenheim hexagonal en la matière reste peut-être la Cité du Vin de Bordeaux, dont les architectes décrivent la courbe comme une évocation de l’âme et de la rondeur des grands crus bordelais. Faudra-t-il que le futur centre du camembert soit rond et coulant et celui de la baguette long et craquant ? En attendant, du côté de Lons-le-Saunier, la Maison de la vache qui rit (Reichen et Robert, 2009) se refait une beauté, entièrement repensée par l’agence Encore Heureux avec l’Atelier–ZOU. Elle rouvre cet été… et elle n’est pas triangulaire.

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