La réforme du code des marchés publics entraînant la disparition des marchés de définition, la MIQCP a fait introduire le dialogue compétitif dans les procédures de sélection des maîtres d'œuvre pour des réhabilitations et des projets urbains. Cette nouvelle procédure est-elle pertinente ? Ne risque-t-elle pas d'entraîner des dérapages ou de porter atteinte aux dispositifs des concours ? Le point avec Christian Romon, secrétaire général de la MIQCP.
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DA : À la suite à la réforme du code des marchés publics, quelles sont pour la MIQCP les évolutions
les plus significatives dans la passation des marchés de maîtrise d'œuvre ?
Christian Romon : Depuis le décret 2011-1000 du 25 août 2011, dans l'article 74 du CMP dédié aux procédures de passation de ces marchés, trois nouveautés importantes mettent l'accent sur le dialogue et la négociation pour générer une commande de qualité. La première concerne la remise de prestations en procédure adaptée en dessous des seuils européens et la rémunération de cette prestation, qui doit désormais atteindre au moins 80 % de leur valeur, comme dans un concours d'architecture. Le deuxième point concerne le cas où la procédure de concours n'étant pas obligatoire, elle n'est pas choisie : la procédure négociée doit alors prévaloir sur celle de l'appel d'offres. Troisième point : à la suite de la disparition des marchés de définition, le dialogue compétitif peut désormais s'appliquer à la réhabilitation d'un ouvrage et au projet urbain.
La procédure adaptée
en dessous des seuils européens
DA : Qu'en est-il de la procédure adaptée en dessous des seuils européens ?
CR : Dans ce cas de figure, le maître d'ouvrage peut généralement s'en tenir à une mise en concurrence restreinte, fondée sur l'analyse des compétences, des moyens et des références pour sélectionner le ou les candidats avec lesquels il engagera un dialogue et une négociation avant d'attribuer le marché.
DA : Les candidats ne sont donc pas tenus de remettre une prestation…
CR : Pour les cas courants, une procédure adaptée sans remise de prestation, qui met l'accent sur l'échange verbal entre maître d'ouvrage et postulants, peut suffire. Cette procédure, qui ne s'applique qu'aux marchés n'excédant pas les seuils européens, soit 200 000 euros pour les collectivités territoriales et 130 000 euros pour l'État, se distingue du concours d'architecture basé sur la remise d'un début de projet. S'il s'agit d'opérations complexes ou dont les enjeux sont importants, l'article 74 autorise toutefois des mises en concurrence avec une remise de prestation rémunérée par une prime d'au moins 80 % du coût des prestations demandées et remises (le mode de calcul de la prime doit figurer dans l'avis d'appel à candidatures). Le décret ne fixant pas les éventuelles prestations à fournir, le maître d'ouvrage en décide librement, mais se doit de préciser leur nature dans le règlement de la consultation.
DA : Qu'entendez-vous par « opérations complexes ou présentant des enjeux importants » ?
CR : La complexité peut résulter de contraintes particulières liées au site d'implantation, au programme, aux exigences d'intégration dans un site sensible, en périmètre de monument protégé. Dans un projet remporté par l'architecte Adam Yedid à La Celle-Saint-Cloud, s'intégrer au centre ancien à proximité du château de Saint-Cloud représentait un enjeu. Le maître d'ouvrage a défini un montant d'indemnités et a organisé une sélection sur dossiers et références à plusieurs tours avant de s'entretenir avec les trois finalistes invités à remettre une prestation rémunérée. C'est à mon sens une belle illustration d'un cas où un maître d'ouvrage s'est donné les moyens d'approfondir la réflexion avec l'architecte, là où le concours aurait figé les choses à travers son cahier des charges.
DA : Peut-il être demandé aux candidats de fournir
l'esquisse d'un projet ?
CR : Le texte ne le précise pas, mais si le maître d'ouvrage veut un début de conception, la MIQCP recommande vivement de recourir au concours, même en dessous des seuils européens. L'anonymat n'étant pas imposé en dessous des seuils, il pourra faire auditionner les concurrents par le jury. Sans concours, il ne faut jamais commencer le projet et limiter la remise de prestation aux « intentions architecturales ». Les prestations demandées permettront à l'architecte d'illustrer son travail d'analyse de la demande et de soumettre les idées directrices susceptibles de fonder le futur projet. Il peut s'agir d'écrits illustrés de schémas et de croquis servant de support au dialogue et à la négociation. Pour éviter toute surenchère, le maître d'ouvrage pourra prévoir dans le règlement de consultation que toute prestation fournie en plus de celles requises ne sera pas examinée.
DA : Pourquoi cette frontière si ténue entre concours
et procédure adaptée et cette limite sibylline entre « intentions architecturales, croquis, schémas »
et esquisse ? Ne court-on pas le risque qu'un croquis se transforme en projet lors du dialogue ?
CR : Le concours garantit une certaine équité du fait de l'examen par un jury. La prestation retenue dans
ce cadre engage juridiquement le lauréat et tout développement ultérieur du projet qui s'écarterait des lignes directrices du projet initial pourrait conduire à l'invalidation de la procédure et donc du contrat de maîtrise d'œuvre. A contrario, la remise de prestation en amont de la conception n'engage pas le prestataire car la première mission du marché de maîtrise d'œuvre ne sera signée que lorsque l'esquisse sera demandée.
DA : Les maîtres d'ouvrage sont-ils tous aptes Ã
choisir la bonne procédure et à juger des compétences des candidats ?
CR : Dans une procédure adaptée en dessous des seuils, aucun jury n'est requis, mais solliciter un CAUE ou un assistant à maître d'ouvrage compétent est très recommandé afin de limiter les risques de dérive tels qu'une surenchère dans la remise de prestation…
La procédure formalisée
au-dessus des seuils européens
DA : Obligatoire pour les bâtiments neufs, le concours peut être pertinent en réhabilitation. Lorsque le maître d'ouvrage d'une réhabilitation opte pour une autre procédure, pourquoi les textes privilégient-ils la
procédure négociée au détriment de l'appel d'offres ?
CR : Pour la MIQCP, l'appel d'offres n'est pas une procédure pertinente pour choisir un maître d'œuvre, même si elle intègre la présence d'un jury. En réhabilitation, où de fortes itérations existent entre le programme et le début de la conception, un minimum de dialogue est souhaitable pour choisir un concepteur et finaliser les termes du contrat.
DA : Quelles sont les évolutions en maîtrise d'œuvre urbaine ?
CR : Nombre de maîtres d'ouvrage déplorent la disparition des marchés de définitions simultanés consistant à confier, après mise en concurrence, trois marchés à trois équipes pour réfléchir à une solution, puis conclure un marché avec l'auteur de la meilleure proposition. La Cour de justice européenne les a jugés non conformes au droit européen. C'est afin de préserver le dialogue, la souplesse et la continuité indispensables pour retenir et optimiser un projet que la MIQCP a proposé d'appliquer le dialogue compétitif pour réaliser un projet urbain ou paysager ou une opération de réhabilitation.
Cela ne concerne que des commandes complexes dans lesquelles le maître d'ouvrage ne peut objectivement « définir seul et à l'avance les moyens techniques répondant aux besoins » ou encore établir le montage juridique et financier d'un projet.
DA : Comment fonctionne le dialogue compétitif
en maîtrise d'œuvre urbaine ? N'est-ce pas une porte ouverte sur des négociations sans fins avant
l'attribution d'un marché ?
CR : Le maître d'ouvrage retiendra toujours une procédure restreinte pour sélectionner au moins trois candidats sur compétences, références et moyens. Le dialogue engagé sur les bases du préprogramme,
d'un cahier des charges et du règlement de la consultation comporte au moins deux entretiens avec
chaque équipe. Une fois les idées, les points forts,
les points faibles du programme et les éléments pertinents testés, chaque candidat présente ses intentions urbaines lors d'un second entretien suivi d'une discussion. La procédure débouche sur l'attribution d'un accord-cadre de maîtrise d'œuvre mono-attributaire pour passer à l'équipe lauréate des commandes successives au fil de l'opération.
Lorsqu'il s'agit de réhabilitations complexes (sites occupés ou sous circulation, par exemple), les prestations demandées doivent permettre d'étudier les meilleurs moyens et solutions : étude de scénarios et proposition du scénario susceptible de satisfaire au mieux les objectifs afin d'affiner le programme.
DA : Cela ne fait-il pas de l'ombre aux concours ?
CR : Le concours est obligatoire pour tout bâtiment neuf au-dessus des seuils européens. Le dialogue compétitif est réservé aux réhabilitations et à des projets urbains complexes et si le maître d'ouvrage ne peut définir seul et à l'avance les moyens techniques nécessaires. Exclu pour les constructions neuves, il ne peut pas non plus être utilisé pour des opérations simples dont le programme pourrait être fixé avec une bonne précision.
Le concours, peu utilisé en réhabilitation ou en projet urbain, reste toutefois possible si le cahier des charges de la consultation peut être assez bien défini. Le but du dialogue compétitif étant de permettre un échange pour préciser une commande, il n'y a pas de concurrence entre ces procédures.
DA : Le conseil national de l'ordre des architectes
semble avoir un avis différent.
CR : Sur la procédure adaptée en dessous des seuils européens, nous sommes en phase avec l'Ordre sur le fait que la procédure courante (80 % des cas) doit privilégier la simplicité d'une négociation après sélection sur compétences, références et moyens.
Nous nous accordons aussi sur le fait que pour un début de conception, le maître d'ouvrage se doit d'opter pour un concours. Dans les cas résiduels d'une remise de prestation légère sans début du projet, nous estimons que la prestation à fournir doit pouvoir s'appuyer sur toute la palette utilisée par l'architecte : textes, croquis ou schémas. Un simple texte d'intention, comme semble le préconiser le CNOA, ne peut pas selon nous relever de l'indemnisation à 80 % prévue par la loi.
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