« Retour d’expérimentation E+C- » Entretien avec Vincent Priori, ingénieur chez BE Inddigo

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 15/11/2019

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°276

Vincent Priori est ingénieur spécialisé dans la qualité environnementale des bâtiments (QEB), l’optimisation thermique et énergétique et les ENR. Il travaille au sein du BE Inddigo, un bureau d’études indépendant détenu par ses salariés et spécialisé dans la transition écologique. Depuis quelques années, ce bureau d’études participe à la conception de projets dans le cadre de l’expérimentation E+C-, préfiguration de la future réglementation environnementale RE2020.

D’a : Quels sont les objectifs de cette nouvelle réglementation environnementale 2020 ?

Jusqu’à présent, les réglementations thermiques qui se sont succédé, jusqu’à la RT2012 en vigueur aujourd’hui, s’attachaient uniquement à la maîtrise des consommations de l’énergie « conventionnelle Â», c’est-à-dire l’énergie nécessaire pour chauffer/rafraîchir, ventiler, éclairer et produire l’eau chaude, selon une méthode de calcul standardisée souvent éloignée des consommations réelles. Mais nous sommes arrivés à une situation aberrante car nous réalisons désormais des constructions certes très performantes en théorie, mais aussi parfois très sophistiquées, qui comportent plus de matériaux et d’équipements qu’autrefois. Toute l’énergie nécessaire pour fabriquer ces matériaux et ces équipements, pour construire l’immeuble, que l’on nomme « Ã©nergie grise Â», devient très importante et augmente significativement le bilan carbone global de nos constructions contemporaines.

 

D’a : Dans quelle mesure cette augmentation est-elle significative ?

Actuellement, l’énergie grise peut représenter jusqu’à 80 % de l’énergie totale consommée par un bâtiment, sur un cycle de vie de cinquante ans.

 

D’a : Mais n’est-ce pas logique en déduction du fait que, si la part d’énergie d’usage diminue, alors en pourcentage la part d’énergie grise augmente ?

Oui, mais pas seulement. D’abord cette part importante d’énergie grise nous indique une direction pour améliorer encore l’empreinte écologique de nos constructions. Ensuite, la sophistication des matériaux, produits et équipements, leur accroissement ont bien un impact sur l’énergie grise, et donc sur la quantité de gaz à effet de serre émis pour leur fabrication. Selon le type de programme à construire, la quantité d’énergie grise a beaucoup augmenté en trente ans.

 

D’a : Estimez-vous qu’on prend donc en considération deux enjeux à la fois ?

C’est ce que traduit le terme « E+C- Â» : il faut à la fois faire des bâtiments performants en termes de consommation d’usage – c’est le E+ â€“, et sobres par les matériaux et les modes constructifs utilisés pour émettre le moins possible de gaz à effet de serre, lesquels peuvent être retranscrits en kilogramme équivalent CO2 – c’est le C-. Cela suppose que nous devons désormais estimer le bilan carbone de la construction. Ça ne sert plus à rien de complexifier toujours plus la construction pour économiser de l’énergie d’usage, s’il faut pour cela dépenser cette énergie en amont, lors de la construction. Il y a une logique de vases communicants.

 

D’a : L’expérimentation E+C- sert-elle à tester cet objectif avant qu’il ne devienne la règle ?

Oui, il me semble qu’il y a aujourd’hui une base de données d’environ 600 à 700 bâtiments audités, les pouvoirs publics visant le millier pour statuer sur les retours d’expérience et finaliser la réglementation. Mais aujourd’hui pratiquement tous les concours de plus de 10 millions d’euros participent à cette démarche expérimentale, avec des incitations financières mais aussi parce que les acteurs veulent être prêts lorsque la réglementation entrera en vigueur, probablement vers 2021.

 

D’a : Il y a aussi des seuils de performance E1 à E4, C1 à C3. Qu’est-ce que cela représente ?

Ce sont des niveaux de performance. Pour le carbone, on part d’un bâtiment standard contemporain, par rapport auquel un niveau C1 représente une baisse d’environ 20 % de carbone, jusqu’à C3 qui correspond à environ moins 60 % de carbone incorporé. Idem pour l’énergie, de E1 à E3, on baisse de 10 % à 50 % les consommations standard de la RT2012, E4 est un bâtiment à énergie positive tous usages.

 

D’a : Les architectes s’inquiètent que cette nouvelle réglementation conduise à une usine à gaz encore plus complexe que la RT2012. N’y a-t-il pas un risque de captation du savoir par un corps d’experts de plus en plus réduit, seul capable d’y comprendre quelque chose.

Il y a en effet un risque que cela aboutisse à une boîte noire maîtrisée par un petit nombre de spécialistes. La mesure du carbone se fait à partir d’une base de données qui rassemble toutes les informations utiles. Cette base de données, consultable librement sur le site de l’INIES (Institut national d’information sur les caractéristiques environnementales et sanitaires des produits de la construction), est constituée par les fiches FDES (fiches de déclaration environnementale et sanitaire) que les différents fabricants et industriels seront tenus d’élaborer. Pour l’instant, le système est incitatif, donc ces fiches ne couvrent pas encore tout le spectre des produits de construction, et il y a encore des questions de fiabilité des informations disponibles. De même qu’il existe des fiches FDES par produits de construction, il existe des fiches PEP pour les équipements (chauffage, ventilation, etc.).

 

D’a : Quelles sont les informations contenues dans ces fiches ?

Il y a bien sûr le profil environnemental du produit : ensemble d’indicateurs environnementaux calculés sur l’ensemble du cycle de vie, mais aussi les informations santé et confort d’usage, ses caractéristiques, son unité fonctionnelle, sa durée de vie et, enfin, l’auteur de la fiche.

 

D’a : Qui rédige ces fiches, qui les valident ?

Elles sont rédigées par les industriels eux-mêmes, ou par une organisation professionnelle, puis vérifiées par des prestataires habilités, obligatoirement, depuis juillet 2017. En l’absence de fiche, le ministère de la Transition écologique donne des valeurs par défaut, plutôt défavorables pour obliger les acteurs à déclarer les caractéristiques environnementales de leurs produits. Cela pose un problème évident : les gros industriels peuvent mettre beaucoup de moyens pour élaborer des fiches FDES très optimisées qui font apparaître de bonnes performances environnementales tandis que les petits fabricants resteront aux valeurs par défaut s’ils n’ont pas les moyens, comme c’est le cas actuellement avec les filières de matériaux biosourcés, qui ne tirent pas leur épingle du jeu comme elles le devraient. Il y a encore beaucoup à compléter et aussi quelques biais à corriger, notamment au niveau du moteur de calcul, avant que cette base de données soit opérationnelle.

 

D’a : Quels enseignements pouvez-vous tirer de cette période d’expérimentation, et qui pourraient être utiles aux architectes ?

Je dirais que l’un des grands enseignements de cette expérimentation est que le second Å“uvre a un poids réduit dans le bilan global. Bien sûr, il y a des variations importantes, mais ramené à l’échelle d’une construction, cela reste secondaire. Les gros leviers d’amélioration du bilan carbone d’un bâtiment sont la structure et les VRD qui comptent chacun pour 20 à 30 % du carbone du bilan ! Si vous faites un bâtiment avec trois niveaux de parking souterrain, vous explosez le bilan carbone. Idem pour les aménagements VRD extérieurs, dont l’impact qui se mesure à la parcelle est ramené ensuite au mètre carré de surface de plancher, par exemple dans le cas d’un projet qui présente d’importants volumes de déblais-remblais ou de grandes surfaces de parking. Les surfaces vitrées ont aussi une influence significative. À partir des données disponibles, les équipements techniques ne représentent quant à eux qu’environ 10 % du bilan carbone global.

Une autre problématique concerne le niveau de détail du calcul : plus on rentre dans le détail, plus on gonfle le bilan et les concepteurs pourraient être tentés de faussement simplifier le calcul. La FDES de la porte comprend-elle le seuil, la poignée, etc. ?

D’autre part, la méthode de calcul voudrait que, très tôt, nous ayons des métrés dignes d’un DCE, pour faire des choix conceptuels nécessaires dès la phase ESQ. D’où la nécessité encore plus grande pour les architectes de bénéficier de retours d’expérience concrets et chiffrés, basés sur des données fiables et complètes, pour se forger une culture commune et avoir en tête les bons ordres de grandeur.

 

D’a : Ainsi, plus il y a de matériaux, de couches, de développés de façade, moins le bilan carbone sera bon ?

En quelque sorte, oui, il faudra désormais aborder la construction avec sobriété, mais l’idée n’est pas non plus de faire vivre les gens dans des petits cubes. Il faudra raisonner de manière globale, en jouant sur les gros postes carbonés pour s’autoriser plus de liberté ailleurs. Par exemple, un bâtiment en structure bois, léger, permet, en plus de stocker du carbone dans sa structure, de mettre moins de béton dans les fondations. La structure bois n’est pas pour autant une obligation pour répondre à cette problématique.

De nombreuses autres pistes intéressantes permettent de réduire le contenu carbone d’un bâtiment sans cependant brider la créativité des architectes : le réemploi de matériaux en est un des exemples les plus marquants, mais le développement des bétons dits « bas carbone Â» est également intéressant. La légèreté de l’édifice peut être un bon indicateur, la quantité globale de matériaux mis en Å“uvre joue beaucoup, comme leur provenance proche ou lointaine. Je pense que l’économie circulaire a un rôle très important à jouer dans cette démarche.

 

D’a : Comment intégrez-vous les produits issus du réemploi ou du recyclage dans le calcul C- ?

C’est bien toute la problématique : on sait que l’on est bien plus performant si on réutilise des matériaux, a fortiori s’ils proviennent du site lui-même, mais il n’y aura pas d’industriels pour éditer les FDES de ces produits de seconde main ! La réglementation devra faire une place au réemploi, c’est un des enseignements de l’expérimentation à mon sens.

 

D’a : Les matériaux biosourcés ne présentent-ils pas d’avantages déterminants ?

Oui, mais leur impact reste faible dans le bilan global, comparé aux VRD ou à la structure. Ces matériaux ont aussi d’autres avantages comme le confort hygrothermique ou la qualité de l’air intérieur, vis-à-vis de laquelle la réglementation française est moins exigeante que chez nos voisins européens. En réalité, il faudrait ventiler nos bâtiments bien au-delà des 18 m3/h par occupants pour garantir une bonne qualité de l’air intérieur compte tenu des nombreux polluants qui s’y trouvent. Mais c’est un autre sujet.

 

D’a : Nos voisins européens travaillent-ils sur les mêmes pistes ?

Pour une fois, la France est plutôt innovante, il y a peu de comparaisons possibles avec l’étranger sur la question. Je sais qu’en Suisse les valeurs des écobilans ont été élaborées à la suite de ces précédents travaux dans le cadre du programme Ecoinvent2000. Le grand intérêt de ce programme est qu’il regroupe les principales parties prenantes (fabricants, usagers, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises, laboratoires de recherche, etc.) aboutissant ainsi à des valeurs définies par débats contradictoires, correspondant donc ainsi à une moyenne réaliste. En France, on a ce problème d’informations déclarées par les industriels eux-mêmes.

 

D’a : Cette nouvelle réglementation va-t-elle bientôt s’appliquer ?

Il y a encore des débats et la base de données est incomplète, mais l’acculturation des acteurs aux bilans carbone et aux analyses de cycle de vie est en marche. On sait être très performant sur l’énergie, notamment en intégrant des énergies renouvelables. En revanche, il est encore très difficile d’atteindre des niveaux C- exigeants. Certains ont émis l’idée de couper l’objectif en deux, permettant d’être soit E+ soit C-, ce qui serait un dévoiement complet de l’esprit de la démarche. Le visage définitif de cette future réglementation n’est donc pas encore tout à fait connu.

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