Règles professionnelles pisé : un long processus

Rédigé par Dominique GAÜZIN-MULLER
Publié le 05/11/2020

CEES

Dossier réalisé par Dominique GAÜZIN-MULLER
Dossier publié dans le d'A n°285

Jean-Marie Le Tiec est spécialiste de l’architecture en terre, enseignant-chercheur à l’ENSA de Grenoble et praticien. Avec ses confrères de l’agence NAMA, il a signé plusieurs bâtiments en pisé exemplaires, dont le Conservatoire européen des échantillons de sol de l’INRA à Orléans et le groupe scolaire de Miribel. Responsable du pôle « dessin-chantier Â» du laboratoire CRAterre, il accompagne régulièrement des équipes qui ont choisi de construire en terre crue. Il a participé avec son mentor, Patrice Doat, à la rédaction d’un ouvrage collectif sur le pisé paru cet automne.

Dominique Gauzin-Müller : Est-il toujours difficile de construire en pisé en France aujourd’hui ?
Jean-Marie Le Tiec : Le nombre croissant d’architectes qui souhaitent valoriser des matériaux décarbonés et faire appel à des savoir-faire locaux a remis en lumière la construction en terre. Mais la technique ancestrale du pisé n’est toujours pas encadrée par des règles professionnelles. La multiplication de projets intégrant des murs en pisé dans des bâtiments publics a mis en évidence les problèmes posés par l’absence de textes de référence permettant aux contrôleurs techniques de valider les études engagées et les travaux réalisés. Cette carence en référentiels reconnus oblige presque systématiquement les maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et entreprises à s’engager dans une longue et coûteuse procédure de demande d’Appréciation technique d’expérimentation (ATEx) de type B, soumise à l’approbation d’un comité d’experts réunis par le CSTB. Dans la majorité des cas, cette démarche met fin à l’ambition des maîtres d’ouvrage, incapables d’assumer le décalage de planning et le dépassement budgétaire induits. Au cours de la dernière décennie, environ dix projets publics ont cependant réussi à obtenir une ATEx B validée par le CSTB pour du pisé, porteur ou non porteur. Le besoin crucial pour les professionnels d’avoir des textes de référence a interpellé le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, qui pilote leur rédaction. Plusieurs associations régionales ont été créées en 2012 afin de cibler les techniques de construction issues des territoires, dans le but de publier non plus des règles professionnelles, mais des guides de bonnes pratiques (pisé, bauge, torchis, terre allégée, enduit terre). Ces documents, parus en décembre 2018, sont en accès libre.


Quels sont les autres freins à l’essor du pisé dans notre pays ?
La filière terre crue est très ancienne en France, mais les acteurs sont peu nombreux et les entreprises de très petites tailles. Par ailleurs, la logique constructive ancestrale est liée à la nature de la matière première locale : on adapte la technique de construction à la terre disponible. La logique industrielle est absente de cette démarche, et il n’existe pas de producteur de matériaux capable de porter financièrement des essais de caractérisation, comme c’est habituellement le cas. Certains voient dans cette absence d’industrialisation un frein au développement rapide de la filière. D’autres la considèrent comme l’opportunité de valoriser les intelligences constructives et les savoir-faire, au lieu d’appliquer des recettes sans les comprendre. Autrement dit, de remettre au cÅ“ur de l’acte de bâtir les artisans, architectes et ingénieurs plutôt que d’utiliser des produits normés issus de catalogues. Le coût de construction est un autre frein majeur. Le pisé nécessite beaucoup de main-d’œuvre, dont le coût est élevé en France. Dans le contexte actuel, on peut cependant y voir un atout, car c’est une technique créatrice d’emplois.


Comment lever les différents freins ?
Il faut agir à court, moyen et long terme, en actionnant trois leviers. Le premier est la production de textes de référence, accompagnée du financement de campagnes d’essais de caractérisation des techniques de construction en terre. Le deuxième est la formation des maîtres d’œuvre (ingénieurs et architectes), mais aussi des maîtres d’ouvrage, assureurs et contrôleurs techniques, ainsi que des artisans et entrepreneurs. Il est enfin nécessaire de prendre en compte pour le financement des projets le coût global et pas seulement le coût d’investissement.


Comment voyez-vous l’avenir du pisé ?
Comme toutes les techniques de construction issues de matériaux biosourcés et géosourcés, le pisé présente de réels atouts pour l’architecture contemporaine. Tout en étant porteur, il apporte de l’inertie et contribue à la régulation hygrométrique des espaces intérieurs. Il est esthétique, réversible et créateur d’emplois. D’autre part, il peut facilement être associé à d’autres matériaux dans une logique d’intelligence constructive utilisant le bon matériau au bon endroit, en fonction des besoins et du bon sens. Néanmoins, bâtir en pisé nécessite un savoir-faire particulier, dans le respect de règles de mise en œuvre spécifiques.


Les Règles professionnelles pisé, sur lesquelles de nombreux acteurs travaillent depuis une douzaine d’années, vont-elles enfin être publiées ?
Un travail d’écriture pour un document technique de type ATEx A sur la technique du pisé a été entamé par CRAterre et AsTerre en 2008 avec les acteurs isérois. Ce travail de longue haleine, concerté et collaboratif, a été mis à l’épreuve sur différents bâtiments publics, et a contribué à la réalisation de nombreuses opérations. Ce document a évolué grâce à une démarche itérative, en capitalisant les connaissances scientifiques et les retours d’expérience des acteurs de chantier de chacune des opérations. Une attention particulière a été portée pour que les dispositions présentées dans l’ouvrage n’interdisent en rien la construction artisanale privée, tout en facilitant la construction d’équipements publics. Cette phase de travail a demandé énormément de temps d’écriture et de réécriture concertées. En 2017, nous avons pris contact avec Le Moniteur, qui vient de publier cet ouvrage collaboratif intitulé Construire en pisé. Il faudra encore patienter pour la parution des Règles professionnelles pisé. Tous les acteurs de la filière doivent en effet s’entendre afin de soumettre un texte à l’Agence qualité construction (AQC) et à sa Commission prévention produits (C2P). La parution du Guide des bonnes pratiques pisé puis de Construire en pisé apporte déjà une base solide sur laquelle il faut capitaliser.


Quels sont l’objectif et le contenu de Construire en pisé ?
Cet ouvrage vise à faciliter la mise en chantier d’ouvrages en pisé, notamment pour les établissements recevant du public (ERP). Il constitue une base de référence pour les professionnels du bâtiment : maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, bureaux d’études et de contrôle, entreprises, etc. Il décrit les dispositions techniques pour la réalisation d’ouvrages porteurs et non porteurs, en s’appuyant sur l’analyse des pratiques traditionnelles et sur le développement récent de la connaissance scientifique du matériau. Ce livre met l’accent sur l’importance d’une bonne conception architecturale associant protection de l’ouvrage et approche environnementale. Il propose aussi une méthode de contrôle du matériau et de sa mise en Å“uvre, afin d’assurer la qualité de la production des éléments construits, en facilitant le dialogue et la compréhension mutuelle entre les différents acteurs du projet.


Pour en savoir plus :
www.asterre.org/les-guides-de-bonne-pratique/
Construire en pisé – Prescriptions de dimensionnement et de mise en Å“uvre, ouvrage collectif sous la direction scientifique de Michel Dayre, Patrice Doat, Arnaud Misse et Jean-Marie Le Tiec, Le Moniteur, novembre 2020.

Abonnez-vous à D'architectures
.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Novembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
44    01 02 03
4504 05 06 07 08 09 10
4611 12 13 14 15 16 17
4718 19 20 21 22 23 24
4825 26 27 28 29 30  

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…