Réemploi 6/8 - Questionner les méthodes Halle de colombelles, Encore Heureux et Construire architectes

Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 01/07/2021

Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN
Dossier publié dans le d'A n°291

Pas à pas et dans chaque projet, Encore Heureux met en place les leviers qui permettront au réemploi de franchir une étape à sa diffusion, et de fabriquer des outils reproductibles. Pour la grande halle de Colombelles, un bâtiment industriel transformé en tiers-lieu (classé ERP) situé en banlieue de Caen en aval sur l’Orne, les architectes associés à l’agence Construire ont proposé une méthode reposant sur deux innovations : la création d’un lot 01 dédié au réemploi et la rédaction de cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) « à trou », soit des CCTP spécifiques qui permettent la mise en Å“uvre des matériaux de réemploi, ou neufs en cas de défection des premiers. 

Faire advenir le programme plutôt que l’imposer, installer une permanence sur le site pour le concevoir avec tous les acteurs, et bien sûr mettre en Å“uvre des matériaux de réemploi avec les artisans, chaque projet d’Encore Heureux et Construire est une aventure humaine, comme en témoigne la halle de Colombelles. 


Avec la gigantesque tour de refroidissement, cet ancien atelier électrique est le dernier vestige d’un fleuron de la région, la Société métallurgique de Normandie, balayée par la crise et les délocalisations, puis rasée du paysage ; à ces deux exceptions près. Sur ce plateau progressivement ré-urbanisé par l’aménageur Normandie Aménagement, l’architecture de cette double nef se prête à une programmation singulière : un tiers-lieu dédié à l’économie circulaire. Ateliers de fabrication, espaces de travail collaboratifs, salles de réunion et de répétition et café-restaurant investissent ce vestige pour proposer une alternative au monde classique du travail. Ces différentes fonctions sont regroupées dans la petite nef sur deux niveaux. La structure légère en bois, qui a été rajoutée pour les accueillir, déborde en balcons sur la grande nef, laissée libre et presque en l’état, pour recevoir les grands rassemblements et tous types d’événements. L’enveloppe originelle de béton, conservée et réparée, est laissée à l’appropriation des graffeurs. 


Dès la phase d’études, le réemploi a représenté une ambition conjointe de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre. Elle s’est d’abord incarnée dans la Cité de chantier, construite par le collectif ETc et ouverte au public. Lieu d’éclosion du projet et de pratiques démonstratives, elle a ensuite constitué la base de vie du chantier. L’expérimentation s’est poursuivie dans la mise en Å“uvre du projet lui-même, par l’élaboration d’une méthode destinée à être reproductible. Celle-ci repose sur deux innovations. La première est l’introduction du lot 01, dédié au réemploi, au même titre que les autres lots dans l’allotissement des marchés de travaux. Il a été attribué à l’association Le WIP, fondée par des salariés de l’ancienne usine et gestionnaire du lieu depuis. Celle-ci s’est chargée de faire la recherche des matériaux de réemploi sur les chantiers de démolition de la région et de leur déconstruction, puis de produire les documents techniques, de les préparer ou transformer pour les mettre à disposition auprès des autres entreprises du chantier. Compte tenu des espaces libres alentour, la logistique n’a pas été un problème sur ce site, alors qu’elle peut constituer une vraie difficulté dans la densité des milieux urbains. 


Des petits pas, mais essentiels 


L’autre volet innovant porte sur les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) à trous, qui permettent de prescrire des éléments de réemploi alors que leur disponibilité n’est pas encore garantie au moment de cette prescription. Les marchés des entreprises sont établis sur un système de variante décrit dans le CCTP. Si le lot 01 est en mesure de proposer des matériaux de réemploi aux entreprises, elles doivent s’engager à les poser. Dans le cas contraire – une date limite de validation de l’option réemploi est fixée –, elles se chargent de la fourniture et de la pose des matériaux neufs, comme dans un marché classique. Cette particularité des CCTP à variante permet de garantir l’exécution des travaux dans le respect du calendrier en cas d’un gisement défaillant en matériaux de réemploi. 


Parmi ces gisements (cf. dessin illustré), les laines minérales ont nécessité des tests en laboratoire réalisés par une école d’ingénieurs en Normandie. « Plus qu’un intérêt économique, il y a un enjeu pédagogique à former les étudiants à la caractérisation des matériaux anciens issus de l’industrie », soutient l’architecte Morgan Moinet, directeur et cofondateur avec Encore Heureux du bureau d’études REMIX. Et si une seule porte coupe-feu et une seule menuiserie extérieure de réemploi ont été introduites dans le projet, l’architecte fait valoir que ce sont des petits pas, mais essentiels. « L’assureur prend un risque modéré et, si tout va bien, il pourra ensuite accepter une utilisation plus massive. » Dans ce projet, le réemploi prend une dimension démonstratrice de sa faisabilité dans un projet ERP, soumis au code des marchés publics. Il a fait aussi l’objet d’un retour d’expérience auprès des artisans ; une manière de capitaliser sur cette expérience pour anticiper les chantiers futurs. Dernier point, le bureau d’études G-ON a fait le calcul des impacts environnementaux économisés grâce au réemploi. On retiendra ces deux chiffres : 25 095 kg C02 équivalent, soit un mur de 580 m2 de béton de 16 cm d’épaisseur, et 18 901 kg de déchets produits.


Lieu : Colombelles 

Maîtrise d’ouvrage : SEM Normandie Aménagement + Établissement public foncier de Normandie 

Maîtrise d’œuvre : Construire et Encore Heureux, architectes ; Motta, paysagiste ; CAP EXE, OPC, Albert & Co, Ligne BE, T&E ingénierie, ECRH, ATEVE, BET 

Programmiste : Aubry & Guiguet 

Maîtrise d’usage : Le WIP 

Coût : 5,8 millions d’euros HT 

Surface : 3 650 m2 (SDO) 

Calendrier : études, 2015-2017 ; chantier, 2018-2019

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