Panoramique de la façade ouest |
Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN Pour le siège social de Novædia à Stains, une coopérative d’insertion par l’agriculture urbaine, l’architecte Frédéric Denise, fondateur de l’agence Archipel Zéro, cherche à dépasser les objectifs de la conception bioclimatique en intégrant des éléments de réemploi. Un projet pilote qui a vocation à essaimer dans d’autres territoires. |
« Combien pèse votre bâtiment, Monsieur l’architecte ? » demandait l’ingénieur américain Richard Buckminster Fuller, qui alertait déjà sur la finitude des ressources au mitan du XXe siècle. Pour le nouveau siège social Résilience, réalisé pour la coopérative Novædia, l’architecte Frédéric Denise s’est employé à faire ce calcul, en décomposant la part de réemploi et de matériaux bio et géosourcés. Le résultat laisse entrevoir de belles perspectives aux matériaux de réemploi : 72 tonnes pour un total de 570 tonnes.
Ce projet expérimental a pu voir le jour grâce à la bonne dose d’énergie et de volonté de toutes les parties prenantes. On peut commencer par la coopérative Novædia, un maître d’ouvrage engagé qui place ses valeurs dans l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire et la transition écologique. Elle a développé le site d’agriculture biologique de la Ferme des possibles à Stains (serres, ruches, vergers et potagers) avec l’objectif d’intégrer ce cycle nourricier dans un tissu urbain dense, en mobilisant les ressources humaines de ces quartiers populaires qu’elle s’emploie à former et insérer professionnellement. Résilience vient parachever ce cycle. Le bâtiment abrite des locaux logistiques et de production ainsi qu’une cafétéria au rez-de-chaussée, des bureaux et espaces de réunion et formation à l’étage.
Le terrain classé en zone agricole, et donc inconstructible, a contraint l’implantation dans une étroite bande en continuité de la zone pavillonnaire. En cohérence avec sa vocation agricole, le bâtiment épouse la morphologie de la longère. Sous la toiture à double pente, le plan à rez-de-chaussée est conçu selon le principe de marche en avant, du stockage et de la transformation des aliments jusqu’à la livraison des repas, avec une double circulation périphérique (circuits propres et sales).
L’ambition pour ce programme technique est de l’intégrer dans une architecture bioclimatique qui repose sur des solutions low-tech. Les espaces de distribution en double hauteur à l’ouest forment des espaces tampons seulement chauffés par les apports solaires des façades menuisées. Les pièces sont enveloppées de parois réalisées à partir de caissons de bois et de paille compressée, et un enduit de finition en terre crue (issue de la terre des déblais). Un mur Trombe sur le pignon sud – aveugle car donnant sur un jardin privé – participe à la régulation thermique du bâtiment. Il est réalisé en briques de terres compressées produites lors du festival d’été de Bellastock sur l’île Saint-Denis. Voilà l’essentiel pour la bioclimatique.
Mais la gageure a consisté à la mettre en œuvre avec des matériaux de réemploi. Les menuiseries simples vitrages de la façade extérieure proviennent de logements sociaux à Épinay-sur-Seine qui font l’objet d’une rénovation thermique. Leur format a déterminé le dessin de la façade. Frédéric Denise, spécialisé dans l’architecture bioclimatique, s’est attelé à la filière du réemploi en autodidacte. Établi au Havre, il a créé une plateforme dématérialisée de réemploi avec l’association PERMAC (Plateforme d’Échange et de Réemploi de MAtériaux de Construction), subventionnée à 50 % par la Région, la DREAL et l’Ademe. Cette plateforme met en lien les « donneurs » et « preneurs » dans la région havraise, en veillant à ce que ce soit la même entreprise qui se charge de la dépose des matériaux et de leur repose. L’architecte développe également deux projets au Havre mobilisant une grande quantité de matériaux de réemploi : le Hangar Zéro, une opération lauréate de Réinventer la Seine (containers réformés, structures bois et acier, briques, portes, etc.), et la construction d’une Recyclerie pour Le Havre Seine Métropole à partir de l’architecture modulaire du Centre technique des déchets.
Hasards heureux
Selon l’architecte, le recours au réemploi suppose de savoir saisir des opportunités, qui bien souvent valorisent le projet, et d’accepter une certaine versatilité lors de la conception. « Il faut accepter cette indétermination. C’est un équilibre à trouver entre l’adaptabilité du projet et les aléas qui peuvent survenir sans l’impacter négativement. Nous n’avions pas encore identifié les gisements lorsque nous avons déposé le permis de construire de Résilience. Mais cette forme d’improvisation bénéficie souvent de hasards heureux et hisse la qualité architecturale. »
C’est ainsi que des portes vitrées en acier d’une hauteur de 2,70 mètres ont pu se substituer aux portes standards, moyennant le rajout d’une structure bois supplémentaire pour supporter leur poids. « Travailler avec des matériaux du réemploi nécessite de réfléchir davantage aux détails, aux assemblages, au parcours de l’eau. Cela plonge l’architecte dans une recherche technique que l’on a un peu oubliée depuis l’industrialisation après-guerre », observe-t-il. La double mission AMO (maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre) de Bellastock a aussi été précieuse, pour le sourçage de certains matériaux, mais aussi pour la rigueur « indispensable au déploiement du réemploi », que le collectif a apporté dans la coconception de la façade.
Pour Frédéric Denise, l’un des obstacles principaux au déploiement de la filière, ce sont les garde-fous que se mettent les architectes, avec cette ritournelle question « ai-je le droit ? » plutôt que « est-ce vraiment interdit ? ». La volonté peut aussi s’émousser au contact de la réalité et des censures potentielles que mettent les bureaux de contrôle et les assureurs. « Pour Résilience, nous avons été assistés par un contrôleur technique très motivé sur le sujet et qui a été une force de proposition. Il nous a aidés à nous poser les bonnes questions pour élaborer nos fiches produits. »
Parmi les autres éléments récupérés, l’inventaire du projet Métabolisme urbain sur le territoire de Plaine Commune a permis d’identifier un gisement (cloisons coulissantes, baffles acoustiques, mobilier de la cafétéria, luminaires) sur un site de l’opérateur Engie voué à accueillir la piscine olympique. Dans ses opérations, l’architecte s’appuie aussi beaucoup sur le réseau des entreprises elles-mêmes, une manière « de les impliquer, de clarifier les limites de responsabilité et de contribuer à diffuser la pratique du réemploi ». Le menuisier a ainsi fourni le lot des baies vitrées intérieures qui éclairent en second jour les bureaux. Cependant, parmi les ressources identifiées, l’une d’elles n’a pas pu être exploitée : les tuiles de réemploi en toiture, refusées par l’assureur. « Dès qu’il s’agit de couverture, les warnings s’allument, 70 % des sinistres provenant de ce lot. Et à ce jour, il n’y a pas de cadre référentiel pour recourir à la tuile de réemploi en toiture », précise l’architecte.
Au total, le coût des matériaux de réemploi a été chiffré à 21 400 euros, un coût cinq fois moins cher que l’équivalent en neuf. Et pour éviter toute pression, il y avait un plan B, le même ouvrage avec des produits neufs. Cela a détendu le processus.
Maîtrise d’ouvrage : coopérative Novædia
Maîtrise d’œuvre : Archipel Zéro, Frédéric Denise, architectes ; Emmanuelle Saulnier, cheffe de projet ; Bellastock, AMO et réemploi ; Socotec, contrôleur technique
Entreprises : Sylvamétal, gros œuvre ; Rainbow Ecosystem, fabrication des caissons bois-terre-paille ; Bois 2 Bout, charpente et pose des caissons ; Depuis 1920, menuiseries extérieures, menuiseries de réemploi ; Malingue, métallerie ; Renov Consulting, cloisons ; AF Rénovation plafonds, menuiseries intérieures ; Dalkia, chauffage, ventilation, froid ; Labo Conseil, plomberie ; Portelec, électricité ; Dubrac, VRD
Surface : 1 950 m2
Coût : 2,4 millions d’euros HT (hors cuisine et production de froid) ]
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