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Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN BFV architectes ne s’interdit aucune filière, aucun mode constructif, aucun matériau. Depuis l’immeuble Pulse, livré en 2019 à Saint-Denis, le réemploi a élargi leur palette. Pour cet ensemble de bureaux de 30 000 m2, les faux planchers techniques issus de chantiers de démolition de la région parisienne ont lancé la filière, ce marché de travaux conséquent ayant permis de lever les barrières techniques et assurantielles. La crèche, ouverte l’année suivante dans le 20e arrondissement de Paris, s’habille d’une résille de bois protectrice, réalisée à partir des portes palières de logements HBM tout proches qui faisaient l’objet d’une mise aux normes incendie. Une opération pilote là encore, réalisée à la faveur d’un concours de circonstances et portée par toute la chaîne des acteurs publics et les architectes. |
Dans la rue de la Justice à Paris, la crèche se distingue par une vêture filigrane de bois qui n’est pas sans rappeler celle du siège du Conseil européen et de l’Union européenne à Bruxelles1. Cette maille, qui enveloppe les étages et dont l’esthétique tranche avec la minéralité des immeubles alentour, a une fonction protectrice. Elle préserve l’intimité des enfants exposés aux regards des immeubles voisins et à l’espace public tout en protégeant de l’ensoleillement direct. L’équipement est en effet ramassé sur une étroite emprise au sol, parcimonieusement gagnée sur l’espace vert protégé d’un ensemble de logements sociaux de Paris Habitat. Cette configuration dicte sa situation en proue sur la rue et l’empilement des différentes unités sur quatre niveaux au-dessus du rez-de-chaussée. Une organisation atypique pour ce programme habituellement réparti dans un bâti plus bas pour être en prise avec des cours. L’exiguïté de la parcelle amène aussi à disséminer les espaces extérieurs : un petit jardin retranché derrière l’immeuble, de larges balcons au droit des unités et une terrasse plantée au dernier niveau. On comprend mieux alors les fonctions de cette résille protectrice.
Lors du dépôt du permis de construire, les architectes avaient déjà posé le principe du réemploi. Ils avaient proposé de recourir à des palettes à usage unique, conscients cependant que cette hypothèse n’était pas optimale et qu’il fallait la faire évoluer, le temps d’identifier le gisement. En l’occurrence, c’est à une grande part de hasard qu’ils l’ont trouvé eux-mêmes, en passant devant le chantier de rénovation d’une cité HBM à quelques centaines de mètres du leur. Ils voient les portes palières en chêne massif, qui ne sont plus aux normes coupe-feu, partir à la benne, et prennent contact avec l’opérateur, la RIVP. Les architectes prennent l’initiative de mettre en lien les services de la Ville et le bailleur social, faisant valoir l’intérêt que les deux parties pouvaient y trouver. L’implication de la Mairie, qui se positionne sur la question du réemploi, a facilité la mise en place de la chaîne : réservation des places de stationnement pour les conteneurs de récupération, mise à disposition des entrepôts de stockage des Ateliers de la Ville de Paris. La RIVP a aussi eu la souplesse de détendre son calendrier, le dégondage des portes et leur dépose soigneuse prenant plus de temps qu’un démontage pour la casse. Sur les 630 portes palières, 500 ont pu ainsi être recyclées. Le dessin de la vêture a été mis au point avec le menuisier, en tenant compte des différentes longueurs de châssis issues des cadres de portes. Après leur découpe, rabotage, ponçage et rebouchage, ces éléments ont été assemblés et posés par panneaux d’une hauteur d’étage. Précisons que, d’un point de vue sémantique, c’est du bois de chêne et non des portes qui habillent la façade. Ses caractéristiques étant connues, il n’y a donc eu aucun veto de la part du bureau de contrôle.
Pour un autre projet, une résidence étudiante et 32 logements en accession à Pierrefitte-sur-Seine, l’agence étudie une autre vêture : la brique de réemploi issue des chantiers de déconstruction de Plaine Commune. Mais il s’agit cette fois de promotion immobilière privée. L’incertitude de la ressource (quantité et couleur) et l’éventualité que celle-ci ne soit pas homogène en raison de ses différentes provenances soulèvent des réticences de la part du maître d’ouvrage qui doit aussi prévendre les logements sur des images conformes à la construction livrée. Les architectes pensent à l’inverse que cette action militante peut être un argument de vente écoutable auprès des acquéreurs. La proposition est soutenue par la ville, l’aménageur et l’urbaniste coordonnateur du secteur. Faire accepter l’idée auprès de l’opérateur nécessite cependant de démontrer que la filière existe, qu’elle est largement répandue en Belgique si le gisement faisait défaut sur le territoire (1 500 m2 à trouver), avec exemples à l’appui. Outre le fait d’avoir des quantités suffisantes pour garantir l’homogénéité demandée, il s’agit aussi de l’obtenir au même prix que la fausse vieille brique qui a quand même été posée en option. Pour les architectes, ces moments d’expérimentation, riches mais chronophages, doivent amener à faire évoluer la règle, seul moyen de basculer vers d’autres méthodologies constructives.
1. De l’architecte Philippe Samyn et livré en 2016.
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris
Maîtrise d’œuvre : BFV architectes (Thibault Dezellus et Solweig Doat, chefs de projet) ; Berim (BET TCE et HQE) ; Acoustique Vivié (BET acoustique) ; Bellastock (MOE, conseil, réemploi)
Programme : crèche multi-accueil de 99 places et crèche familiale de 40 places
Surface : 1 198 m2 SDP
Coût : 4,3 millions d’euros HT
Calendrier : 2017-2020
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