A quoi servent les syndicats d’architectes ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 05/07/2012

Article paru dans d'A n°210

Dans une enquête en trois volets, nous allons tenter de clarifier les missions respectives des syndicats d'architectes et de l'Ordre dans la valorisation d'un métier et d'une discipline. Avant d'interroger chacun à leur tour les deux grands syndicats français (l'Unsfa et le Syndicat de l'architecture), nous avons demandé à cinq architectes ce qu'ils attendent de ces institutions.

Pour l'Organisation internationale du travail, les syndicats sont des : « Associations indépendantes de travailleurs ayant pour but de promouvoir et de défendre leurs intérêts. » Issus des corporations, ils ont été interdits en France par la loi Le Chapelier (1791) mais la loi Waldeck-Rousseau a régularisé les syndicats ouvriers. Si leur rôle est désormais surtout défensif, le taux de syndicalisation est passé sous la barre de 10 %. Deux millions quatre cent mille personnes en emploi y sont affilées, dont 600 000 indépendants et employeurs qui recherchent des conseils pour leur gestion ou des moyens de peser sur les décisions des pouvoirs publics. Si les syndicats permettent la communication d'aspirations collectives, leur efficience et leur financement sont souvent sujets à polémiques. Nous renvoyons également au blog du collectif Défense Profession Architecte : <www.defenseprofessionarchitecte.fr>.
Rappelons que l'Ordre et les syndicats n'ont pas les mêmes prérogatives. Celles de l'Ordre sont stipulées dans la loi sur l'architecture de 1977. La profession étant réglementée, la tenue du tableau et la protection du titre sont les attributs spécifiques de l'Ordre, qui protège le titre d'architecte et bénéficie également de la cotisation de tous les architectes inscrits. Outre son rôle de représentation, il a surtout pour mission de contrôler le respect des droits et des obligations conférés par la loi aux architectes, en application du code des devoirs professionnels. Il assure le contrôle de l'assurance professionnelle obligatoire et veille aux intérêts des clients des architectes.

Rencontre avec  Bénédicte Meyniel, agence Lancereau & Meyniel (Poitiers)
DA  : Pourquoi est-on syndiqué ?
Bénédicte Meyniel : Trop d'architectes vivent leur métier en totale solitude jusqu'à ce que des problèmes les poussent à chercher de l'aide ! Ayant siégé dans des groupes de travail intégrant les syndicats et l'Ordre, j'ai la conviction que plusieurs organismes de sensibilité différente doivent coexister et se donner les moyens et la souplesse de travailler ensemble, ce qui n'est pas si simple.
Être syndiqué signifie être protégé et défendu. L'intérêt des architectes envers les syndicats semble croître avec les difficultés de l'exercice et selon le statut (davantage de salariés que de libéraux). Il serait intéressant de voir si les syndicats confirment ces tendances perçues dans les réunions professionnelles.

DA : Qu'attendriez-vous d'un syndicat ?
BM : L'activité syndicale doit la défense des intérêts et des droits collectifs ou individuels des architectes dans le cadre de la loi de 1977 avec deux types d'action. Les services et les permanences de nos syndicats apportent des réponses aux questions qui se posent sur la pratique professionnelle ou la production.
D'autres actions répondent à l'évolution de la profession dans la société : négociation des textes réglementaires avec les ministères, représentation dans les commissions paritaires et les organisations institutionnelles et professionnelles nationales, européennes et internationales, échanges interprofessionnels, formation, prospective…
DA : Quelles sont les questions importantes à défendre ?
BM : Sans hésiter, la qualité architecturale, sa valeur sociale et culturelle, les enjeux de la profession sous l'aspect politique et social. À défaut, aucun combat sur la valeur du point, le seuil, la formation ou tout autre sujet ne sera digne d'intérêt. Il y a un sens qui va de la reconnaissance de la valeur de l'architecture aux moyens à mettre en  Å“uvre pour l'obtenir, et non l'inverse. Ajoutons un versant solidarité qui s'adresse aux architectes afin qu'ils se regroupent et se consolident les uns les autres en évitant l'isolement.

DA : Que pensez-vous de l'Unsfa ?
BM : Ce syndicat déjà ancien possède une assez bonne représentation départementale et régionale, ce qui en fait un syndicat reconnu par les profes-sionnels. Outre ses actions strictement syndicales, il a développé le réseau Archilink, le club Prescrire, le Gepa – organisme de formation –, une revue et un prix  d'architecture.

DA : Que pensez-vous du Syndicat de l'architecture ?
BM : Plus récent, il est né sous sa forme actuelle dans les années quatre-vingt-dix. Sa représentation sur le terrain reste assez timide en dehors de la Région parisienne, alors que ses prises de position ne le sont pas. Souhaitons-lui de parfaire et d'amplifier cette représentation pour créer une vraie alternative.

Points de vue d'architectes
Anne-Charlotte Zanassi, de l'atelier d'architecture Phileas membre du collectif Plan 01 (Paris)
« Bien que non élue, à peu de voix près, me présenter aux élections du conseil de l'ordre d'Île-de-France sur la liste Mouvement m'a intéressée. En évoquant ces questions avec mes confrères de Plan 01, mes associés et nos collaborateurs, j'ai vu qu'ils portaient peu d'intérêt à ces questions. Contre quoi faut-il se battre ? Lutter contre les PPP semble une cause perdue, mais défendre notre rôle dans ces dispositifs vaut sans doute la peine. Je constate également que nombre de confrères, quel que soit leur âge, confondent le rôle de l'Ordre et celui des syndicats. L'Ordre est réputé défendre la profession, mais ce n'est pas son rôle. Beaucoup d'architectes n'identifient pas bien le rôle des syndicats en tant qu'organismes capables d'aider et de fédérer la profession.

Yves-Marie Maurer  - Rennes

« Il y a une quinze ans, nous avions créé un syndicat d'Ille-et-Vilaine qui a vivoté sans l'intérêt de mes confrères. Avec la crise, nos confrères, et notamment les jeunes, prennent conscience qu'il est temps qu'une structure parle au nom de la profession. La récente montée en puissance de la Maison de l'architecture de Bretagne a certainement montré que l'on peut faire quelque chose en dehors de nos agences pour défendre la culture architecturale. Ses actions vers les élus, les maîtres d'ouvrage, les jeunes publics, etc. ont révélé que notre profession était dépendante d'une demande d'architecture indissociable du niveau de la culture architecturale de la population. Les dernières équipes du Croa Bretagne ont montré qu'il était possible de défendre la profession face aux attaques des maîtrises d'ouvrage et de certaines professions (BET, géomètres…). Le moment semble venu de recréer une structure affiliée à l'Unsfa pour défendre des rémunérations correctes. La baisse incessante des honoraires est une menace directe au bon exercice du métier. La formation est un domaine important à consolider et il faut repenser la HMNOP. La représentation dans les commissions paritaires est également indispensable (convention collective, formation…). Ce n'est pas le moment que l'Unsfa et le Syndicat de l'architecture se fassent la guerre, mais chacun doit rendre public son nombre d'adhérents. C'est incroyable ! Nous sommes une profession sous-syndicalisée. Quant à l'Ordre, longtemps décrié en Bretagne pour sa position dans le conflit avec les porteurs de récépissés, il reprend une légitimité. Les équipes du Croa font un bon travail, mais ni l'Ordre ni la MAB n'ont le positionnement institutionnel pour remplacer un syndicat professionnel. »

Ludovic Lobjoy, atelier Lobjoy & Bouvier
Asnières-sur-Seine

« "Défendre" les architectes, la posture m'agace. Ils ont besoin d'être entendus et l'architecture respectée, d'où la nécessité d'une attitude offensive. Quand j'étais au Croaif, avec mes confrères de Mouvement, nous estimions que défense laisse penser que les architectes sont une espèce en voie de disparition. Il est paradoxal qu'une notion aussi jacobine vienne au secours d'une profession réglementée. Jadis, la commande était orientée vers les grands prix de Rome et leurs agences disposaient d'une manne d'architectes bon marché. La loi MOP a rendu obligatoire le recours à l'architecte et beaucoup d'entre eux ne sont pas encore dans une logique de conquête de parts de marché. Nos agences sont des PME et notre profession est à la fois artistique et réglementée, d'où l'ambiguïté. Si le champ artistique renvoie à l'intimité d'une pratique, le rôle social de l'architecte fait le lien entre sa dimension culturelle et son outil de production. Sans lui, l'architecte devient soit un "créateur de dessins", soit un "commerçant". L'architecte détenteur de ce fondement culturel, du rôle social et de l'outil de production, n'a pas besoin d'être défendu. Il a en revanche besoin de tenir sa place à la table de discussion pour défendre "ses parts de marché" et la dimension sociale et culturelle de ses missions, d'où l'existence et l'importance d'un Ordre et de syndicats. Notre code des devoirs est un outil formidable et la tutelle est chargée d'organiser la profession et de promouvoir l'architecture et son enseignement. C'est là que le bât blesse, car l'architecte est perdu soit parmi les ingénieurs du ministère de l'Équipement, soit parmi les métiers artistiques comme aujourd'hui, sous la tutelle du ministère de la Culture. L'architecture doit dépendre d'un ministère capable d'affecter des moyens financiers importants à l'enseignement, d'accompagner le développement économique des agences et de les promouvoir, notamment à l'export comme dans d'autres pays d'Europe. Le fonctionnement ordinal national et régional est un peu coûteux, mais nous avons besoin de proximité pour partager notamment des informations sur les contrats ou les mauvais clients, et pour échanger. Un syndicat peut l'organiser. L'Ordre et les syndicats devraient mieux travailler ensemble. J'ai tenté d'y œuvrer lorsque j'étais élu au Croaif, mais on bute souvent sur l'humain, certains étant attachés à des prérogatives. Sur la directive service, j'ai monté des réunions constructives avec l'Unsfa, le Syndicat de l'architecture et d'autres instances. Plus solidaires, on est plus forts. »

Bernard Ropa  - Paris
« Durant mes études, on évoquait le manque de sens d'un syndicat regroupant patrons et salariés, et le magazine Passion Architecture ne m'a pas incité à approfondir le sujet. Je découvre sur Internet que depuis 1996, le Syndicat de l'architecture a clarifié son statut et se définit comme représentatif des architectes exerçant en libéral ou associés de sociétés d'architecture, alors que l'Unsfa conserve une représentation de toutes les formes d'exercice. Dans les professions de foi, j'ai du mal à distinguer les différences d'objectifs des syndicats et de l'Ordre. Notre profession ne cesse de se fragiliser avec la crise, les PPP, la certification HQE, etc. Il faut relire la Sociologie de l'architecture de Florent Champy (La Découverte, 2001) : le processus se poursuit avec l'invention des CSPS, des conseils en sécurité incendie, des BET environnementaux et, last but not least, des spécialistes sécurité sûreté ! Je rêve d'une organisation professionnelle semblable au Collegi d'arquitectes de Catalunya : puissante, incontournable, prestigieuse par son histoire et ses actions de très haut niveau. Elle valide les travaux des architectes et contrôle la conformité des projets. La qualité de l'architecture catalane et des autres régions dotées d'organismes similaires prouve leur efficience. Des confrères catalans m'ont dit que l'institution dispose de plus d'une centaine de permanents et ses activités culturelles – dont l'édition – sont remarquables. Aujourd'hui, l'Ordre et ses représentations régionales se sont dépoussiérés et le réseau des Maisons de l'architecture apporte un vent de fraîcheur. Pour devenir une autorité réelle, l'Ordre ne pourrait-il pas s'inspirer des collèges espagnols, en devenant par exemple l'organisme d'instruction des permis de construire ? Si, comme je me le suis laissé dire, les Collegi encaissent les honoraires pour leurs adhérents, on imagine aisément les moyens d'action à la disposition de la profession pour faire respecter les paiements et leurs délais. La diversité des représentations est certainement une richesse culturelle, mais pas une force ; l'isolement de la plupart des architectes qui vivent le « nez dans le guidon » est grand et l'adversité redoutable ! »

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